U comme Utiles : les entrepreneurs le sont-ils ?
Un ami, pourtant fort éclairé sur un grand nombre de choses, se confesse à moi : « Je prends enfin conscience de l’utilité des entrepreneurs ! » et il me regarde avec attention – comme si j’en incarnais subitement à moi tout seul l’espèce - et lâche aussitôt : « Mais au fait qu’est-ce qu’un entrepreneur ? ».
Et puis, soudain, il se tait. Son visage s’illumine : il lui vient en mémoire la parabole de Saint-Simon distinguant en gros les entrepreneurs (le mot actuel n’est bien sûr pas énoncé) et les producteurs (de l’époque) des aristocrates et politiciens (de l’époque également), les premiers paraissant, selon le comte, bien plus utiles à la société (de l’époque encore, 1819) que les seconds. Mon ami avait donc déjà la réponse (de Saint-Simon).
Mais, à cette double question – qu’est-ce qu’un entrepreneur et celui-ci est-il utile ? - par cet article, et sans me prétendre être le Saint-Simon des sociétés modernes, je voudrais quand même tenter humblement, à ma façon, sinon de traiter le sujet, au moins de (re)lancer ici le débat.
Dans l’échelle des facteurs de la création d’entreprise, l’entrepreneur1 - qu’il ne faut pas confondre avec le « manager gestionnaire » - est sans doute à la première place. Au XII ème siècle le verbe « entreprendre » signifiait « saisir, attaquer, surprendre » ; c’est en réalité aujourd’hui (comme hier) ce qu’il ne doit (devait) cesser de faire.
Aujourd’hui, le mot signifie « démarrer quelque chose, comme une affaire », c’est ce qui caractérise son identité de départ. Mais entrepreneur, il ne l’est pas seulement au moment de la création, il doit l’être tout le temps, car l’entreprise est fragile, mortelle, concurrentielle, et nécessite une revitalisation et une reconstruction permanentes.
Les deux significations donc cohabitent et s’incarnent dans la personne physique et (forcément) dynamique de l’entrepreneur, cet animal énigmatique et vaguement héroïque, (pro)créateur de l’entreprise (personne morale), celui sans qui l’entreprise ne serait doute pas (ou moins), celui qui la nomme et la fait vivre.
Est il donc utile ?
Il est le créateur mortel de l’entreprise mortelle elle-aussi, et en cela il ne doit pas se prendre lui-même pour un dieu (on a vu la chute de J2M ou Jean-Marie Messier à Vivendi, mais, au fait, était-il un entrepreneur ?). Il est vrai qu’aujourd’hui les « hedge funds » et autres investisseurs financiers, sans visages et sans corps, transnationaux et bien peu vertueux, sont devenus pour une part importante les nouveaux « entrepreneurs », mais il reste les nombreux créateurs de PME….
Bien sûr, d’autres facteurs importants participent de l’existence et de la survie de l’entreprise. Dans le désordre, il faut (assez rapidement) des relais (des équipes), des fonds (si possible propres pour ne pas dépendre entièrement des banques), et, ce n’est pas le moindre, des clients (c’est la demande en adéquation avec l’offre proposée).
Il faut encore une idée-force têtue ou un rêve tenace, portés par ce même entrepreneur et son équipe, qui se concrétisent par un produit ou un service : « Mon rêve, écrivait Steve Jobs, le créateur d’Apple, est que chaque individu dans le monde possède son propre ordinateur ». Il l’a fait.
Existe-t-il alors une personnalité type de l’entrepreneur, ce créateur d’emplois et de richesse ? Faut-il être normal ou particulièrement névrosé pour accomplir ce sacerdoce à haut risque où l’on peut tout gagner et tout perdre ? Faut-il appartenir à une caste ou une classe sociale déterminée ou déterminante ?
Cet homme ou cette femme doivent posséder une bonne dose d’énergie sans doute, une volonté (pas très éloignée de l’obsession), de l’enthousiasme (il faut aussi que le dieu soit intérieur), un brin de mégalomanie, un zeste de paranoïa, le sens du mouvement, l’envie d’en découdre et probablement… l’incapacité absolue de faire autre chose ! Si l’un de ces éléments manque à l’entrepreneur en activité, à ce moment-là, il y a probablement le risque de la banqueroute !
Si l’on pioche, au hasard, trois exemples d’entrepreneurs célèbres : Henry Ford (1863-1947) est un fils d’immigré fermier, quasi analphabète qui réussit à bâtir un empire industriel et des méthodes de management qui portent encore son nom ; Marcel Dassault (1892-1986) lui fut ingénieur, déporté et résistant et il créa ce qui est encore aujourd’hui le « premier constructeur aéronautique du monde » ; quant à notre petit dernier, Steve Jobs (1955-2011), il fut enfant adopté, grand amateur de LCD et fan de Bob Dylan, et on sait bien ce qu’il est advenu de ses fructueux « trips » et fantasmes. Si l’on excepte le second, le premier et le dernier n’étaient pas des foudres de guerre scolaire.
Faut-il faire une grande école pour être entrepreneur ?
On songe à la phrase attribuée à de Gaulle : « Il est plus facile de sortir de polytechnique que de l’ordinaire ».
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1 Mais qu’est-ce qu’un entrepreneur ? : « l’entrepreneur » est un état (celui qui crée une entreprise ; le chef d’entreprise) et celui qui possède un état d’esprit (la mentalité d’entreprendre, on peut être salarié collaborateur et se révéler dans ce sens… entrepreneur) ; le manager, au service de l’entrepreneur, souvent salarié de l’entreprise, a pour principales fonctions de gérer des ressources, qu’elles soient matérielles, techniques, financières ou humaines.