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vive les sociétés modernes - abécédaire
12 novembre 2013

U comme Utiles : les entrepreneurs le sont-ils ?

 

Un ami, pourtant fort éclairé sur un grand nombre de choses, se confesse à moi : «  Je prends enfin conscience de l’utilité des entrepreneurs ! » et il me regarde avec attention – comme si j’en incarnais subitement à moi tout seul l’espèce - et lâche aussitôt : «  Mais au fait qu’est-ce qu’un entrepreneur ? ».

Et puis, soudain, il se tait. Son visage s’illumine : il lui vient en mémoire la parabole de Saint-Simon distinguant en gros les entrepreneurs (le mot actuel n’est bien sûr pas énoncé) et les producteurs (de l’époque) des aristocrates et politiciens (de l’époque également), les premiers paraissant, selon le comte, bien plus utiles à la société (de l’époque encore, 1819) que les seconds. Mon ami avait donc déjà la réponse (de Saint-Simon).

Mais, à cette double question – qu’est-ce qu’un entrepreneur et celui-ci est-il utile ? - par cet article, et sans me prétendre être le Saint-Simon des sociétés modernes, je voudrais quand même tenter humblement, à ma façon, sinon de traiter le sujet, au moins de (re)lancer ici le débat.

Dans l’échelle des facteurs de la création d’entreprise, l’entrepreneur1 - qu’il ne faut pas confondre avec le « manager gestionnaire » - est sans doute à la première place. Au XII ème siècle le verbe « entreprendre » signifiait « saisir, attaquer, surprendre » ; c’est en réalité aujourd’hui (comme hier) ce qu’il ne doit (devait) cesser de faire.

Aujourd’hui, le mot signifie « démarrer quelque chose, comme une affaire », c’est ce qui caractérise son identité de départ. Mais entrepreneur, il ne l’est pas seulement au moment de la création, il doit l’être tout le temps, car l’entreprise est fragile, mortelle, concurrentielle, et nécessite une revitalisation et une reconstruction permanentes.

Les deux significations donc cohabitent et s’incarnent dans la personne physique et (forcément) dynamique de l’entrepreneur, cet animal énigmatique et vaguement héroïque, (pro)créateur de l’entreprise (personne morale), celui sans qui l’entreprise ne serait doute pas (ou moins), celui qui la nomme et la fait vivre.

Est il donc utile ?

Il est le créateur mortel de l’entreprise mortelle elle-aussi, et en cela il ne doit pas se prendre lui-même pour un dieu (on a vu la chute de J2M ou Jean-Marie Messier à Vivendi, mais, au fait, était-il un entrepreneur ?). Il est vrai qu’aujourd’hui les « hedge funds » et autres investisseurs financiers, sans visages et sans corps, transnationaux et bien peu vertueux, sont devenus pour une part importante les nouveaux « entrepreneurs », mais il reste les nombreux créateurs de PME….

Bien sûr, d’autres facteurs importants participent de l’existence et de la survie de l’entreprise. Dans le désordre, il faut (assez rapidement) des relais (des équipes), des fonds (si possible propres pour ne pas dépendre entièrement des banques), et, ce n’est pas le moindre, des clients (c’est la demande en adéquation avec l’offre proposée).

Il faut encore une idée-force têtue ou un rêve tenace, portés par ce même entrepreneur et son équipe, qui se concrétisent par un produit ou un service : « Mon rêve, écrivait Steve Jobs, le créateur d’Apple, est que chaque individu dans le monde possède son propre ordinateur ». Il l’a fait.

Existe-t-il alors une personnalité type de l’entrepreneur, ce créateur d’emplois et de richesse ? Faut-il être normal ou particulièrement névrosé pour accomplir ce sacerdoce à haut risque où l’on peut tout gagner et tout perdre ? Faut-il appartenir à une caste ou une classe sociale déterminée ou déterminante ?

Cet homme ou cette femme doivent posséder une bonne dose d’énergie sans doute, une volonté (pas très éloignée de l’obsession), de l’enthousiasme (il faut aussi que le dieu soit intérieur), un brin de mégalomanie, un zeste de paranoïa, le sens du mouvement, l’envie d’en découdre et probablement… l’incapacité absolue de faire autre chose ! Si l’un de ces éléments manque à l’entrepreneur en activité, à ce moment-là, il y a probablement le risque de la banqueroute !

Si l’on pioche, au hasard, trois exemples d’entrepreneurs célèbres : Henry Ford (1863-1947) est un fils d’immigré fermier, quasi analphabète qui réussit à bâtir un empire industriel et des méthodes de management qui portent encore son nom ; Marcel Dassault (1892-1986) lui fut ingénieur, déporté et résistant et il créa ce qui est encore aujourd’hui le « premier constructeur aéronautique du monde » ; quant à notre petit dernier, Steve Jobs (1955-2011), il fut enfant adopté, grand amateur de LCD et fan de Bob Dylan, et on sait bien ce qu’il est advenu de ses fructueux « trips » et fantasmes. Si l’on excepte le second, le premier et le dernier n’étaient pas des foudres de guerre scolaire.

Faut-il faire une grande école pour être entrepreneur ?

On songe à la phrase attribuée à de Gaulle : « Il est plus facile de sortir de polytechnique que de l’ordinaire ».

 

JPG

 

1 Mais qu’est-ce qu’un entrepreneur ? : « l’entrepreneur » est un état (celui qui crée une entreprise ; le chef d’entreprise) et celui qui possède un état d’esprit (la mentalité d’entreprendre, on peut être salarié collaborateur et se révéler dans ce sens… entrepreneur) ; le manager, au service de l’entrepreneur, souvent salarié de l’entreprise, a pour principales fonctions de gérer des ressources, qu’elles soient matérielles, techniques, financières ou humaines.

 

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Commentaires
P
En me plongeant pour l'occasion dans Schumpeter j'ai retenu les trois idées suivantes:<br /> <br /> <br /> <br /> 1/ l'innovation est la fonction essentielle de l"entrepreneur et de l'entreprise.("Théorie de l'évolution économique" 1926)<br /> <br /> <br /> <br /> 2/ l'entrepreneur est le principal responsable de l'évolution économique (id): « l’impulsion fondamentale qui met et maintient en mouvement la machine capitaliste est imprimée par les nouveaux objets de consommation, les nouvelles méthodes de production et de transport, les nouveaux marchés, les nouveaux types d’organisation industrielle – tous ces éléments créés par l’initiative capitaliste »<br /> <br /> <br /> <br /> 3/ les conditions de l'innovation ayant changé ( bureaucratisation de la fonction entrepreneuriale) nous vivons la fin des entrepreneurs (et du capitalisme). ("Capitalisme", socialisme et démocratie" 1942)<br /> <br /> <br /> <br /> Ces idées font-elles encore sens aujourd'hui?
P
Merci pour ces précisions; elles sont éclairantes mais font apparaître en même temps la complexité du sujet.
J
Peut-être faut-il en effet être moins vague. <br /> <br /> Tentons de clarifier. <br /> <br /> 1/ Chef d’entreprise : c’est le boss, le patron, le dirigeant. Mais il n’est pas forcément le fondateur… il possède tout ou partie du capital de l’entreprise, soit il a été désigné par les « propriétaires » de la société. <br /> <br /> 2/ Entrepreneur : classiquement, ce sont les chefs d’entreprise du secteur de bâtiment ou des travaux publics. Ou des pompes funèbres. <br /> <br /> Mais l’acception s’étend aux chefs d’entreprise qui conduisent un projet d’entreprise. <br /> <br /> L’adjectif par lui-même qualifie un comportement d’initiative, de projet, de créativité. <br /> <br /> 3/ Le manager signifie plutôt un gestionnaire de ressources, mais le manager s’il est gestionnaire au service du chef d’entreprise , peut être également « entrepreneur » et conduire des projets spécifiques dans sa zone d’intervention…<br /> <br /> 4/ Le fondateur de l’entreprise peut être le chef d’entreprise mais peut aussi déléguer le management de son entreprise à un « manager entrepreneur »… ou bien vendre son entreprise un temps après l’avoir créée…<br /> <br /> En conclusion, quatre hommes peuvent occuper ces quatre postes, mais un seul homme peut les cumuler : celui-ci peut être à la fois chef d’entreprise, entrepreneur, manager et même fondateur de son entreprise.<br /> <br /> On pourrait ajouter un cinquième poste : « l’investisseur » qui lui achète tout ou partie du capital d’une entreprise dans un but (souvent) exclusif de retour financier sur investissement. <br /> <br /> Est-ce que Tapie est un entrepreneur ?<br /> <br /> Bernard Tapie est surtout un marchand-investisseur dans le secteur du rachat et de la (re)vente d’entreprises. <br /> <br /> De ce point de vue, c’est plus un marchand, un « business man », un « investisseur-négociateur-parieur » qu’un entrepreneur au sens usuel du terme, même s’il est… entreprenant !
P
Mais ne faut-il pas distinguer marchand d'entreprises et entrepreneur (voire chef d'entreprise)? Il me semble que fonder une entreprise et travailler à la faire vivre est bien différent d"acheter une entreprise en difficulté pour la revendre au meilleur prix le plus vite possible
Y
Je dirai "entrepreneur", même s'il a seulement créé des sociétés financières pour racheter des entreprises de production en difficultés, en vendre certaines, dans l'état, d'autres, avec plus value, après relance. Le personnage n'est pas sympathique. Ses survies après faillites et emprisonnement n'en sont pas les moindres raisons. On sent comme un pari de sa part de triompher de ses ennemis.
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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