Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
vive les sociétés modernes - abécédaire
9 mars 2013

U comme allocation Universelle

 

Tout citoyen a droit, sans condition autre que celle d’être citoyen, aux moyens matériels élémentaires de l’existence sociale. Ce droit naturel trouve sa formule positive dans la reconnaissance constitutionnelle d’un droit individuel et universel au revenu de base, ou revenu primaire inconditionnel, pour tout citoyen majeur de l’Union européenne.

 

On peut s’interroger sur l’incidence que revêt l’instauration d’un tel droit en ce qui concerne l’intégration politique des ressortissants. Une vaste discussion s’ouvre à ce sujet. Il y a effectivement du pour et du contre.

Du côté des adversaires, on fait valoir qu’un tel droit : a) constituerait une incitation à la paresse, à l’oisiveté (mère de tous les vices) ; b) qu’il y a des effets « désaffiliants » et « déresponsabilisants » de l’inconditionnalité ; c) qu’une réponse monétaire est inappropriée au traitement de problèmes sociaux ; d) qu’enfin un dispositif financier qui favorise autant les riches que les pauvres est simplement inique.

Du côté des partisans, si l’on se contente du « tac au tac », on réplique qu’il y a contresens sur les ressorts de la motivation sociale : le besoin de reconnaissance, en effet, n’est pas moins fort que la tendance à l’oisiveté. Surtout, la menace de suspension de l’aide sociale, loin de stimuler l’initiative, l’incitation à travailler et à entreprendre, la paralyse au contraire. 

Il y a en outre un aveuglement sur les effets d’un renforcement de la conditionnalité de l’aide sociale. Cela incitera davantage encore à la tricherie, avec des conséquences négatives pour le civisme, ainsi que cette attitude de principe – plaie de nos administrations publiques – qui repose systématiquement  sur une méfiance impliquant de multiples contrôles de situation. Les adversaires du droit inconditionnel au revenu de base sous-estiment l’impact symbolique d’un revenu minimum garanti « en tout état de cause ». Outre qu’un tel droit dispense des justificatifs inhérents aux demandes de prestations sélectives, il stabilise les perspectives d’une réalisation de soi responsable.

Enfin, il ne faut pas confondre entre le principe (le droit) et le mécanisme (par exemple, l’allocation universelle). L’Allocation universelle est un moyen parmi d’autres de satisfaire au principe. Cette confusion se double d’une autre : entre le montant net de l’Allocation universelle et un montant brut imposable. En parlant de revenu primaire inconditionnel, on implique la notion de montant brut imposable. Il s’ensuit que le revenu de base disponible varie en fonction de la progressivité de l’impôt sur le revenu des personnes physiques[1].

L’« utopie réaliste »[2] est celle d’un revenu social : 1) primaire, plutôt que disponible ; 2) inconditionnel, plutôt que subsidiaire; 3) universel, plutôt que sélectif ; 4) substantiel, plutôt que misérable ; 5) irrévocable, plutôt que substituable, de sorte que l’ayant droit – tout citoyen majeur de la communauté politique de référence – puisse cumuler ce revenu de citoyenneté dans son intégralité avec tout autre revenu, quelle qu’en soit la source. Je comprends, en effet, l’Allocation universelle (AU) ou Revenu Primaire Inconditionnel (RPI), fondamentalement, comme un revenu de citoyenneté. En le définissant ainsi, on implique qu’il se justifie par quelque chose de plus qu’une liberté accrue de choisir sa vie, et il signifie davantage aussi qu’un renforcement quantitatif du droit de vivre décemment. Le RPI se justifie certes par une obligation de solidarité que la société doit assurer à chacun de ses membres. Non pas, cependant, pour que ceux-ci ne meurent pas de faim ou de froid (ce à quoi, en principe, pourvoient nos Etats), mais pour qu’ils soient stabilisés moralement face aux aléas économiques et à la précarité sociale. Cela implique que le droit au revenu soit rendu indépendant de la situation que l’on occupe dans la production, et que les avantages de protection et de solidarité, qu’offre en principe l’Etat social à ses ressortissants, soient entièrement autonomisés, c’est-à-dire soustraits à la condition – implicite ou explicite – d’un lien présent, passé ou même futur au système du travail-emploi. Il est clair qu’un droit au revenu ainsi conçu comme droit inconditionnel, se marque normalement par un versement automatique, égalitaire, universel.

C’est donc d’abord sur fond des droits civiques, plus que des droits civils ou même des droits sociaux, que s’élève la réclamation d’un droit inconditionnel au revenu de base. Maintenant, cela n’exclut pas des justifications d’un autre ordre : non seulement des justifications morales (touchant à la justice) et éthiques (touchant à la vie bonne), mais également pragmatiques ou techniques, jusqu’à entrer dans des considérations fonctionnelles, relatives à la rationalité du système économique. Au croisement des points de vue éthique et pragmatique, l’AU se justifierait pour prévenir une déconnexion de l’économie par rapport à la société, et engager sa reconnexion (partielle) pour les besoins de l’intégration.

 

Prof. Jean-Marc Ferry
Chaire de Philosophie de l'Europe Université de Nantes et  Université libre de Bruxelles

 

 


[1] On pourrait ainsi considérer que le montant de l’Allocation universelle s’ajoute au revenu brut des personnes physiques comme une dernière tranche. Celle-ci serait mécaniquement soumise au taux le plus élevé pour la tranche considérée dans l’échelle générale de la progressivité de l’impôt. De la sorte, les détenteurs de revenus élevés ne conserveraient que très peu du montant de l’Allocation dans leur revenu net (après impôt).

[2] Expression utilisée dans mon opuscule, L’Allocation universelle. Pour un revenu de citoyenneté, Paris, Cerf, 1995, 1996.

Publicité
Publicité
Commentaires
P
" Les résultats de l’expérience manitobaine Mincome<br /> <br /> <br /> <br /> Les allocations versées dans le cadre de Mincome ont-elles entrainé une réduction des heures travaillées ? La réponse brève est : oui, mais dans une très faible mesure. En effet, selon les chercheurs Derek Hum et Greg Simpson, au bout des trois ans d’expérimentation, la moyenne d’heures travaillées était inférieure de 1,6 % chez les hommes par rapport à la situation initiale, de 3 % chez les femmes mariées et de 5,3 % chez les femmes monoparentales. On a toutefois constaté une diminution comparable dans le « groupe contrôle », c’est-à-dire chez les participants qui ne recevaient pas de prestations d’impôt négatif. Pour ces chercheurs, la crainte que les allocations financières réduisent l’incitation au travail était donc « en grande partie non fondée »." (Yannic Viau)
P
"L’expérience (programme Mincome) a été introduite en 1974 et a pris fin en1979.Elle a été réalisée dans deux sites au Manitoba : la ville de Winnipeg (450.000 habitants à l’époque), et la petite ville de Dauphin (environ 10.000 personnes)...<br /> <br /> <br /> <br /> Le but de l’expérimentation sociale était de savoir si les gens cesseraient de travailler ou travailleraient moins d’heures si on leur garantissait un revenu. Beaucoup de gens pensaient que les heures travaillées diminueraient de manière significative...<br /> <br /> Mes propres recherches ne concernaient pas l’étude de l’évolution de l’effort de travail. D’autres économistes ont investigué ça dans les années 1980 et ils ont découvert que seulement deux groupes d’individus ont travaillé moins d’heures : les femmes mariées et les adolescents.<br /> <br /> <br /> <br /> Les premières utilisaient effectivement le revenu garanti pour « acheter » elles-mêmes des congés de maternité plus longs. Quand elles quittaient le marché du travail pour donner naissance, elles restaient plus longtemps à la maison. Deuxièmement, les adolescents, et les garçons en particulier, ont réduit leurs heures de travail, car ils ont pris leur premier emploi à temps plein à un âge plus avancé." (Evelyne Forget)
Y
Je situe cette utopie parmi les rétrogrades, qui supputent un âge d'or dans un passé lointain, antérieur à l'apparition de tout troc, et encore moins d'une monnaie. À partir d'une certaine dimension, les sociétés ont du se structurer autrement. Un bond démographique est situé par les préhistoriens au néolithique avec le développement de l'agriculture ou de l'élevage, permettant une offre alimentaire plus abondante et plus sûre (relativement). Mais aussi l'aggravation des conflits humains et le développement de castes guerrières, et de l'inégalité qui en est le corollaire.<br /> <br /> C'est l'annulation de cette évolution qui me parait impossible, utopique, justement. Il se passerait dans une société assurant une allocation universelle, strictement égale, je suppose, ce qui se passe dans les communautés qui se forment périodiquement: leurs membres se séparent par leur participation à la vie communautaire. Certains ne font rien, d'autres, en particulier les femmes, font tout, et les conflits apparaissent. Il suffit aux mécontents de retourner dans la société ordinaire. Ces sociétés ordinaires, celles dont nous décrivons à l'envi les défauts, fonctionnent autrement, invitant, par des pressions et des récompenses diverses, une participation à la vie collective, justifiant un revenu, fonction de la quantité de travail et de sa complexité? La redistribution sociale a une limite: qu'on ne puisse pas en bénéficier plus que le revenu d'un travail. Il est inévitable que cette défaillance se produise parfois. Mais l'opinion n'accepterait pas qu'elle soit institutionalisée.
J
A YL et à d'autres que la question du financement de ces dispositifs d'A.U. intéresse, je signale que cette question fait l'objet d'un long article de Baptiste Mylondo ("Financer l'allocation universelle") dans le dossier consacré à cette question dans le Monde diplomatique de mai 2013.<br /> <br /> <br /> <br /> "Mais ce serait impossible à financer!" Voilà d'ordinaire la première objection faite aux promoteurs d'un revenu universel déconnecté de l'emploi. La première, mais sans doute aussi la plus faible.<br /> <br /> <br /> <br /> C'est le tout début, provocateur et alléchant de cet article que je n'ai pas (encore) lu. On trouve aussi au sommaire un long article sur une expérience menée en Inde dans l'Etat de Madya Pradesh à l'initiative d'un syndicat de femmes... Il semble donc que cette question déborde largement le cadre de spéculations utopiques bien de chez nous!<br /> <br /> <br /> <br /> Bonne lecture!
Y
Il manque le secret de fabrication de la monnaie permettant de verser la dite allocation. Continuons la recherche!
vive les sociétés modernes - abécédaire
  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Derniers commentaires
Publicité