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vive les sociétés modernes - abécédaire
10 mars 2011

Q comme Queer

 

En anglais, étrange, curieux, bizarre (souvent utilisé comme insulte envers les gays) (1). Pour l’essentiel la théorie queer revient à contester la pertinence de la séparation des êtres humains en deux genres distincts, sinon opposés : le masculin et le féminin ; chacun d’entre nous étant invité à se conformer au genre auquel il serait destiné par son anatomie sexuelle. (2)

Mais pourquoi  le sexe dicterait-il le genre ? (Judith Butler se réclame de Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient ») Et surtout pourquoi uniquement deux genres ? Pourquoi  pas plus ? Comme si il n’y avait que deux couleurs ! Pourquoi  pas autant de genres que de couleurs ? Pourquoi pas autant de genres que d’individus ? (3)

Certains partisans du queer vont même jusqu’à demander la suppression de la mention du sexe (homme/femme) sur les documents officiels et au-delà la fin d’une pratique aussi ancienne et universelle que la division des êtres humains en hommes et en femmes. Et pourquoi pas ?

Pour l’instant ces revendications sont trop minoritaires pour être prises au sérieux. Mais supposons qu’un jour leur audience s’élargisse ? (4)  Que pourrions-nous en dire ? Ce sont là des questions qui se posent et ne peuvent se poser que dans des sociétés modernes. Elles n’ont aucune place dans des sociétés traditionnelles organisées selon des principes a priori, religieux notamment. Reste à savoir si ces sociétés modernes qui peuvent se poser ces questions ont aussi des moyens d’y apporter des réponses.

Ainsi concernant le queer que pourrions-nous éventuellement opposer à sa dénonciation du clivage binaire entre les humains fondé sur la différence sexuelle ? Nous ne pourrions pas nous y opposer au nom de la nature (ou du naturel) puisque nous ne croyons plus que celle-ci (pour autant qu’elle existe) puisse servir de norme indépassable ; ni au nom de la morale puisqu’on ne voit guère à quel  principe moral attenterait le désassignation de chacun de nous à un genre unique. Pourrions-nous alors disposer d’autre chose que de nos préjugés pour refuser cette évolution ? Et qui aujourd’hui oserait se réclamer du préjugé ? (5)

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Pierre Gautier

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(1) « Comment le dire, ce curieux vocable ? Cou-iiiiir ?
À peu près.
Et comment  l’ouïr ? Comme un cri de guerre, ou d’effroi, comme un crissement, comme un glissement ?
L’enquête étymologique révèle qu’ici ou là queer et ses proches (twerkw, quer, torquere) signifient « travers ». Un « travers » qui, en anglais depuis le début du XXe siècle, répond au « straight » [droit] désignant les « hétérosexuel-le-s ». Queer, donc : une injure anglo-saxonne cousine de l’hexagonal pédé. Quelque chose du « travers » queer  résonne, d’ailleurs, sans doute dans « folle tordue ». L’injure fut réappropriée et resignifiée par les gays anglophones, un peu comme « nigger » par les Noirs états-uniens. Maisqueerpeut aussi se traduire par : bizarre, insolite, étrange, excentrique, louche, singulier, drôle, loufoque. » (Robert Harvey & Pascal Le Brun-Cordier, Queer: repenser les identités)
(2) « Ce que l’on pourrait nommer une « pensée » queer paraît assez disparate. S’il fallait toutefois identifier quelques-unes de ses idées-forces, nous pourrions avancer : une critique déconstructive de tous les essentialismes, des assignations identitaires normalisantes, des binarismes réducteurs (homo/hétéro, masculin/féminin) et de l’alignement génétique rigide sexe/genre/sexualité/identité ; une théorisation renouvelée des processus de subjectivation ; un intérêt pour toutes les dissidences et distorsions identitaires et pour l’invention de nouvelles configurations érotiques, sexuelles, relationnelles, de filiation, de savoir, de pouvoir... ; une volonté de queeriser les modes de pensée déterminés par un paradigme andro et hétéro-centré ; une relecture soupçonneuse de l’histoire littéraire, du cinéma, de la culture populaire. » (ibid)
(3) « Là où s'érigent la norme, la Nature, l'ordre, les périphéries se peuplent d'individu-e-s insolent-e-s et peu recommandables. Gynandres, andromorphes, gender-fuckers, mu-tantes… Créatures chimériques de la postmodernité, de la « postmodernitude » branchée ? Peut-« on » d'un simple discours rationaliste « les » renvoyer aux placards — à pharmacie ? Certain-e-s acquiescent vivement, bible, seringues et camisoles sous le bras. Malheureusement pour eux / elles, il est trop tard : les queersse sont déjà emparé-e-s de la parole ! Mais qui sont-els ? » (Sylvie Tomolillo, « Queer : ce n’est pas normal »)   
(4) Les choses peuvent aller très vite : il y a trente ans le mariage gay, les mères-porteuses…apparaissaient comme des absurdités.
(5) Qui souscrirait à ces lignes d’Edmund Burke : « Vous voyez, Monsieur, que dans ce siècle de lumières, je ne crains pas d'avouer que chez la plupart d'entre nous les sentiments sont restés à l'état de nature; qu'au lieu de secouer tous les vieux préjugés, nous y tenons au contraire tendrement et j'ajouterai même, pour notre plus grande honte, que nous les chérissons parce que ce sont des préjugés – et que plus longtemps ces préjugés ont régné, plus ils se sont répandus, plus nous les aimons. C'est que nous craignons d'exposer l'homme à vivre et à commercer avec ses semblables en ne disposant que de son propre fonds de raison, et cela parce que nous soupçonnons qu'en chacun ce fonds est petit, et que les hommes feraient mieux d'avoir recours, pour les guider, à la banque générale et au capital constitué des nations et des siècles. » (Burke,  Réflexions sur la révolution de France, p 110, coll. Pluriel) ?
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Q comme Queer : Dir. Marie hélène Bourcier (ZOO). Cahiers Gai Kitsch Camp, 1998
Une alternative aux savoirs et pouvoirs en place par une approche différente des genres et des sexes.
Un manifeste de l'association le Zoo : Pop Queer, Queer made in France, Queer Politiks.

 

 

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Commentaires
Y
Je viens de tomber sur une notre de lecture d'Anne Chemin (le "Monde" du 10 Mars, p.18) d'un livre de Sylvie Ayral, "La Fabrique des garçons", Sanctions et genre au collège, Préface de Jacques Lang PUF "Le Monde".<br /> Pour l'auteure, l'indiscipline largement majoritaire des collégiens (80% vs 20% de filles) n'est due....qu'à l'idéologie punitive de l'éducation nationale! En faisant les "zouaves", "ils" font pleuvoir sur eux engueulades et sanctions, qui opèrent comme un rite initiatique, valorisant et renforçant leur identité masculine.<br /> Ce raisonnement, inversant la cause et l'effet, me paraît dans la mouvance de cette doctrine "queer". Une concession à la réalité sexuelle est cependant énoncée: le retard de la maturité des garçons au regard de celle des filles maintiendrait un comportement infantile, et sa réaction sous forme de provocation.<br /> Qu'en pensent les enseignants....majoritaires sur ce blog?
S
Il me semble qu'ici nul ne conteste le droit pour chaque être humain de se penser et de se vivre à sa guise, sans être assujetti aux normes culturelles les plus communément admises. L'appartenance pleine et entière à l'espèce humaine de tout individu né d'humains doit être inconditionnelle. Ce qui fait litige, je crois, mais est-ce vraiment dit? c'est la revendication d'effacer toute norme, toute représentation de l'espèce par elle-même, parce que qui dit norme dit qu'il y a de l'anormal.
Y
Ces précisions éclairent effectivement les intentions de ce mode de penser le genre, afin de prévenir les injonctions normatives. <br /> Il reste que cette nomination du genre auquel appartient un enfant est faite par les parents, même en cas d'ambiguité incertaine, à quelques heures de vie extérieure. Il est normal que tant les parents que les médecins consultés ont eu du mal à comprendre le désaveu par des sujets de leur identité sexuelle, à la fois visible et dite depuis longtemps. Même si ce désaveu et l'affirmation d'appartenance à l'autre sexe sont maintenant acceptés et légalisés, il n'est pas sûr que cette acceptation soit sans réserves intimes. On ne peut pas parler d'intime conviction, mais d'acceptation de la "conviction" de l'autre.<br /> Reconnaître l'humanité, oui, puisque il n'y a qu'un être humain qui puisse penser et dire:"je ne suis pas du sexe qui m'a été attribué".
P
Marianne Blidon (auteur du passionnant article "Genre" dans l'encyclopédie Hypergéo 2O11)me fait parvenir la précision suivante:<br /> <br /> "Les théoriques queer ne s'en tiennent pas seulement à une critique du genre et de la sexualité, mais aussi à une critique sociale (voir Teresa de Lauretis qui a utilisé le terme en premier dans un séminaire comme provocation et remise en question des études gays et lesbiennes principalement centrées autour de la classe moyenne blanche et urbaine). C'est aussi une théorie pour penser l'émancipation des normes (d'où les contresens dans les commentaires, il ne s'agit de nivellement mais de déconstruction de normes qui ont un effet sur les minorités. Le projet de Butler notamment dans "Humains, inhumains et Défaire le genre" est de penser des vies viables pour tous (pas vraiment un projet totalitaire... mais de reconnaissance de l'humanité dans sa diversité)." MB<br /> <br /> « Les termes par lesquels nous sommes reconnus en tant qu’humains sont élaborés socialement et varient : parfois les termes qui confèrent un caractère « humain » à quelques individus sont ceux-là mêmes qui privent d’autres personnes de la possibilité de bénéficier de ce statut, différenciant de la sorte l’humain et le moins-qu’humain. Ces normes ont des conséquences très importantes pour notre compréhension de l’humain comme étant pourvu de droits ou inclus dans la sphère participative de la délibération politique. L’humain est compris différemment selon sa race, la lisibilité de cette race, sa morphologie, le caractère reconnaissable ou non de cette morphologie, son sexe, la possibilité d’une vérification perceptuelle de ce sexe, son ethnicité et les catégories qui nous permettent de saisir cette ethnicité. Certains humains sont reconnus comme moins qu’humains et cette forme de reconnaissance partielle ne permet pas une vie vivable. Certains humains ne sont tout simplement pas reconnus comme humains, ce qui conduit à un autre ordre de vie invivable » (p. 14).« Ce qui est très important c’est, d’une part, de cesser d’imposer à tous ce qui n’est vivable que pour certains et, d’autres part, d’éviter d’interdire à tous ce qui n’est invivable que pour certains. […] La critique des normes de genre doit se situer dans le contexte des vies telles qu’elles sont vécues et doit être guidée par la question de savoir ce qui permet de maximiser les chances d’une vie vivable et de minimiser la possibilité d’une vie insupportable ou même d’une mort sociale ou littérale » (p. 21).(Butler J. 2006 – Défaire le genre, éditions d’Amsterdam, Paris, 311 p.)
V
Bonjour les amis,<br /> <br /> je découvre aujourd'hui le dernier billet de 'abécédaire...J'ai écrit justement l'entrée "féminisme" récemment, au Dictionnaire de la politique et de l'administration qui vient de paraître chez PUF. Je me réfère à la question...La distinction dont il s'agit, c'est en effet celle entre le « sexe » (biologique) et le « genre » (la définition sociale du féminin et du masculin). Cela signifie que, selon cette dernière idée, « l’être femme » et le « féminin », ne sont pas des faits de nature, mais des constructions historiques, sociologiques et symboliques, à la fois « naturalisées » et institutionnalisées. Cette thèse qualifiée d'"égalitariste" ou "universaliste" s'oppose à la position dite "différentialiste" des courants religieux mais aussi de la très "moderne" psychanalyse qui considère (pour d'autres raisons) comme primordiale la question de l'acceptation de la différence des sexes dont le déni est à l'origine de troubles psychopathologiques. <br /> La conclusion à laquelle j'arrive dans mon article, c'est que "le clivage irréductible conséquent qui semble traverser tous les travaux pluridisciplinaires sur les femmes à partir de ces deux approches et l’impasse à laquelle il conduit (l’égalité au risque de l’indifférenciation, ou la différence au risque de l’inégalité) a donné lieu à de nouveaux débats qui nous invitent à tenter une nouvelle voie. Celle-ci consisterait à penser les différences sans les hiérarchiser pour dépasser une logique des contraires."<br /> <br /> Vassiliki-Piyi CHRISTOPOULOU (Vicky)
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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