P comme Propriété intellectuelle sur le « vivant »
Selon la Convention sur le Brevet Européen et la Directive Européenne 98/44/EC, un brevet pour une invention biotechnologique peut être obtenu si 4 conditions sont réunies [1]:
-la nouveauté,
-le caractère inventif,
-la description d'une utilisation industrielle ou agricole,
-ne pas être dans un domaine exclu (les créations artistiques, les méthodes mathématiques, les variétés de plantes ou d'animaux,...).
Dans ce cadre, c’est donc une invention qui est brevetable et non « le vivant ».
Après 20 ans, l’invention tombe dans le domaine public.
Quelles sont les conséquences des brevets biotechnologiques sur la multiplication des semences de plantes ? Empêchent-ils de « resemer le grain récolté » ?
Pour répondre à ces questions, il convient de
1. distinguer trois catégories de pays selon leur législation propre :
-Celle où ces brevets ne s'appliquent pas, parce que les pays ne reconnaissent pas certains brevets biotechnologies appliqués à l’agriculture (comme l’Argentine), ou parce que les pays sont jugés d’un intérêt économique insuffisant pour justifier les coûts de dépôt et de maintien d’un brevet. Pour illustrer le premier cas de figure : le soja argentin est quasiment transgénique à 100%, sans royalties versées au développeur de ce soja, pourtant titulaire de brevets valides en Amérique du Nord et en Europe.
-L’Amérique du Nord, à l’agriculture très industrialisée, où les brevets sont une forme légale de propriété des variétés végétales [2].
-L’Europe, qui tente de concilier par sa législation le droit pour l’agriculteur qui le désire de produire ses semences, avec la rémunération et l’encouragement de l’innovation [3].
2. mettre en perspective le brevet avec la situation préexistante :
En Europe, les améliorateurs de variétés disposent de deux systèmes de protection :
-le Certificat d’Obtention Végétale (COV) pour les variétés en tant que telles [4];
-le brevet pour les inventions biotechnologiques.
Le COV s'applique à toutes variétés végétales commercialisées (contenant ou non des inventions brevetées). Il confère à l’obtenteur d’une variété une protection englobant la production ou la reproduction, le conditionnement pour la production ou la reproduction, la vente, l’exportation et l’importation.
La législation européenne prévoit cependant des « exceptions » :
-le droit de l’obtenteur ne s’étend pas aux utilisations non commerciales comme la recherche (« exception de recherche »).
-la création de nouvelles variétés (« exception du sélectionneur ») : toute variété protégée et mise sur le marché est libre d'accès à tout sélectionneur qui souhaite l'utiliser comme géniteur afin de créer une nouvelle variété. Si la nouvelle variété est essentiellement dérivée de la variété initiale, l’obtenteur doit néanmoins obtenir une licence du titulaire du COV de cette variété initiale pour exploiter la nouvelle variété.
-dans des limites définies, les agriculteurs peuvent reproduire et utiliser sur leurs propres exploitations des semences de la variété protégée (exception des « semences de ferme »).
Dans le cas d’un brevet, comme pour le COV, la législation européenne a prévu l’exception de recherche et ne s’oppose pas au développement d’autres variétés si l’invention brevetée n'exerce pas sa fonction dans la nouvelle variété. Dans le cas contraire, son obtenteur pourra soit obtenir à l’amiable une licence du titulaire du brevet ou, en cas de non- accord, demander une licence obligatoire pour l’utilisation de l’invention (les deux options impliquent une rémunération du titulaire du brevet). De plus, exactement comme pour le COV, la législation sur le brevet permet à un agriculteur de réutiliser sur son exploitation des semences de ferme de la variété qu’il y a cultivée [3]. Seule la revente n’est pas autorisée.
En conclusion, les droits conférés par un COV ou un brevet sont très similaires, ainsi que les exceptions. COV et brevets sont deux types de protection de l'innovation (le brevet en amont pour une invention, le COV en aval pour le 'produit fini' qui inclut ou non une invention brevetée). Cependant, en Europe (et dans la plupart des autres pays), le brevet ne change rien à la situation existante (COV) pour l'agriculteur en terme de réutilisation du produit de sa récolte.
S’il est légitime d’examiner les implications éthiques éventuelles des brevets, les arguments sur le thème d’une « appropriation » des semences et, en extrapolant, d’un « contrôle sur notre alimentation » sont sans base factuelle au regard de la législation existante. Les inquiétudes suscitées ont néanmoins permis aux lobbies anti-OGM de mobiliser une partie de la société civile contre ces innovations. La question de la propriété des semences et de la rémunération de l'innovation est en fait consubstantielle de la querelle politique sur les OGM.
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Marcel Kuntz
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. pour en savoir plus
1. http://www.epo.org/patents/law/legal-texts/html/epc/1973/f/apii.html
2. En Amérique du Nord, des procès ont opposé des agriculteurs et un semencier, ce qui a donné lieu à des argumentaires sur le thème de David luttant contre Goliath. Dans l'affaire Percy Schmeiser, les faits établis par la Justice canadienne éclaire cependant l'affaire sous un jour moins manichéen :
http://www.marcel-kuntz-ogm.fr/article-payer-l-ogm-arrive-par-hasard--41052680.html
3. pour accéder à la Directive européenne, à sa transposition en droit français et au règlement autorisant les semences de ferme :
http://www.marcel-kuntz-ogm.fr/article-brevet-41058140.html
4. La convention de l’Union internationale sur la protection des obtentions végétales (UPOV) assure la protection des obtenteurs de nouvelles espèces ou variétés de plantes par la délivrance d'un Certificat d'obtention végétale (COV). La Convention regroupe aujourd'hui 68 pays y compris les Etats-Unis et la Chine. http://www.upov.int/index_fr.html
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fruits de la connaissance
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Marcel Kuntz