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vive les sociétés modernes - abécédaire
10 novembre 2010

P comme Propriété intellectuelle sur le « vivant »

Selon la Convention sur le Brevet Européen et la Directive Européenne 98/44/EC, un brevet pour une invention biotechnologique peut être obtenu si 4 conditions sont réunies [1]:

-la nouveauté,

-le caractère inventif,

-la description d'une utilisation industrielle ou agricole,

-ne pas être dans un domaine exclu (les créations artistiques, les méthodes mathématiques, les variétés de plantes ou d'animaux,...).

Dans ce cadre, c’est donc une invention qui est brevetable et non « le vivant ».

Après 20 ans, l’invention tombe dans le domaine public.

Quelles sont les conséquences des brevets biotechnologiques sur la multiplication des semences de plantes ? Empêchent-ils de « resemer le grain récolté » ?

Pour répondre à ces questions, il convient de

1. distinguer trois catégories de pays selon leur législation propre :

-Celle où ces brevets ne s'appliquent pas, parce que les pays ne reconnaissent pas certains brevets biotechnologies appliqués à l’agriculture (comme l’Argentine), ou parce que les pays sont jugés d’un intérêt économique insuffisant pour justifier les coûts de dépôt et de maintien d’un brevet. Pour illustrer le premier cas de figure : le soja argentin est quasiment transgénique à 100%, sans royalties versées au développeur de ce soja, pourtant titulaire de brevets valides en Amérique du Nord et en Europe.

-L’Amérique du Nord, à l’agriculture très industrialisée, où les brevets sont une forme légale de propriété des variétés végétales [2].

-L’Europe, qui tente de concilier par sa législation le droit pour l’agriculteur qui le désire de produire ses semences, avec la rémunération et l’encouragement de l’innovation [3].

2. mettre en perspective le brevet avec la situation préexistante :

En Europe, les améliorateurs de variétés disposent de deux systèmes de protection :

-le Certificat d’Obtention Végétale (COV) pour les variétés en tant que telles [4];

-le brevet pour les inventions biotechnologiques.

Le COV s'applique à toutes variétés végétales commercialisées (contenant ou non des inventions brevetées). Il confère à l’obtenteur d’une variété une protection englobant la production ou la reproduction, le conditionnement pour la production ou la reproduction, la vente, l’exportation et l’importation.

La législation européenne prévoit cependant des « exceptions » :

-le droit de l’obtenteur ne s’étend pas aux utilisations non commerciales comme la recherche (« exception de recherche »).

-la création de nouvelles variétés (« exception du sélectionneur ») : toute variété protégée et mise sur le marché est libre d'accès à tout sélectionneur qui souhaite l'utiliser comme géniteur afin de créer une nouvelle variété. Si la nouvelle variété est essentiellement dérivée de la variété initiale, l’obtenteur doit néanmoins obtenir une licence du titulaire du COV de cette variété initiale pour exploiter la nouvelle variété.

-dans des limites définies, les agriculteurs peuvent reproduire et utiliser sur leurs propres exploitations des semences de la variété protégée (exception des  « semences de ferme »).

Dans le cas d’un brevet, comme pour le COV, la législation européenne a prévu l’exception de recherche et ne s’oppose pas au développement d’autres variétés si l’invention brevetée n'exerce pas sa fonction dans la nouvelle variété. Dans le cas contraire, son obtenteur pourra soit obtenir à l’amiable une licence du titulaire du brevet ou, en cas de non- accord, demander une licence obligatoire pour l’utilisation de l’invention (les deux options impliquent une rémunération du titulaire du brevet). De plus, exactement comme pour le COV, la législation sur le brevet permet à un agriculteur de réutiliser sur son exploitation des semences de ferme de la variété qu’il y a cultivée [3]. Seule la revente n’est pas autorisée.

En conclusion, les droits conférés par un COV ou un brevet sont très similaires, ainsi que les exceptions. COV et brevets sont deux types de protection de l'innovation (le brevet en amont pour une invention, le COV en aval pour le 'produit fini' qui inclut ou non une invention brevetée). Cependant, en Europe (et dans la plupart des autres pays), le brevet ne change rien à la situation existante (COV) pour l'agriculteur en terme de réutilisation du produit de sa récolte.

S’il est légitime d’examiner les implications éthiques éventuelles des brevets, les arguments sur le thème d’une « appropriation » des semences et, en extrapolant, d’un « contrôle sur notre alimentation » sont sans base factuelle au regard de la législation existante. Les inquiétudes suscitées ont néanmoins permis aux lobbies anti-OGM de mobiliser une partie de la société civile contre ces innovations. La question de la propriété des semences et de la rémunération de l'innovation est en fait consubstantielle de la querelle politique sur les OGM.

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Marcel Kuntz

.

. pour en savoir plus

1. http://www.epo.org/patents/law/legal-texts/html/epc/1973/f/apii.html

2. En Amérique du Nord, des procès ont opposé des agriculteurs et un semencier, ce qui a donné lieu à des argumentaires sur le thème de David luttant contre Goliath. Dans l'affaire Percy Schmeiser, les faits établis par la Justice canadienne éclaire cependant l'affaire sous un jour moins manichéen :

http://www.marcel-kuntz-ogm.fr/article-payer-l-ogm-arrive-par-hasard--41052680.html

3. pour accéder à la Directive européenne, à sa transposition en droit français et au règlement autorisant les semences de ferme :

http://www.marcel-kuntz-ogm.fr/article-brevet-41058140.html

4. La convention de l’Union internationale sur la protection des obtentions végétales (UPOV) assure la protection des obtenteurs de nouvelles espèces ou variétés de plantes par la délivrance d'un Certificat d'obtention végétale (COV). La Convention regroupe aujourd'hui 68 pays y compris les Etats-Unis et la Chine. http://www.upov.int/index_fr.html

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fruits de la connaissancehttp://farm4.static.flickr.com/3073/2905266565_fc64733e83.jpg

En savoir plus :

Marcel Kuntz

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Commentaires
Y
Merci, JCH, pour votre réaction moqueuse sur les voyages des plantes utiles, orchestrées par les conquérants du monde, à partir du seizième siècle, en toute bonne conscience et sens des affaires..Mais comment seraient-ils vus maintenant, même dans nos contrées, où il est interdit de prélever un arbrisseau dans une forêt domaniale ou privée, pour le replanter dans son jardin? <br /> L'acte de Proctor s'apparente, par son intention, et l'abus des facilités de brevetage aux USA, à un vrai acte de banditisme. <br /> Mais le travail qui aboutit à l'isolement d'un gène qui détermine la fabrication d'une substance active, et à sa fabrication par génie génétique, ne faisant pas concurrence à son utilisation sous forme de tisanes, mérite une protection et une rémunération. <br /> J'ai relu, alerté par votre commentaire, le passage incriminé du texte de Marcel Kuntz. Il me parait seulement mettre en exergue l'influence de positions purement idéologiques dans les difficultés des biotechnologies en agriculture.
J
Personne n'a, à ma connaissance, traité de voleurs les marchands de tabac au seul prétexte qu'ils auraient malignement introduit dans le monde entier l'usage d'une plante dont les effets n'étaient jadis que des seuls Amérindiens. Et ni l'Ethiopie ni Aden n'envisagent de s'en prendre au Brésil pour qu'ils restituent les plants de café ou payent des royalties! Les exemples donnés par Y.L. illustrent l'ancienneté de la circulation et de la mise en valeur de denrées. L'expédition de la Bounty avait pour but de rapporter d'Océanie des arbres à pain destinés en principe à être planté aux Antilles pour permettre une alimentation à bon marché des esclaves: la mondialisation ne date pas d'aujourd'hui!<br /> Mais le rapport avec la question de la brevetabilité me semble ténu: l'idée d'interdire aux Tahitiens de cultiver leurs arbres à pain, aux Andins de produire leurs patates (etc...)n'était venue à personne. C'est par des procédés plus complexes qu'on allait les mener à consommer des produits (re)venus d'ailleurs. L' histoire de Proctor et de "ses" haricots jaunes ne devient lamentable que lorsque il prétend, ayant déposé brevet, interdire aux producteurs locaux de cultiver et d'exporter lesdits fayots et mongettes. Et c'est heureux que ses prétendus droits aient été annulés... <br /> Sinon, que d'horizons de profits s'ouvrent à nos yeux! Et si je brevetais "ma" recette de piperade ou encore le délicat mélange du café et du lait, ou encore l'utilisation du sirop d'orgeat pour éclaircir la voix... Et si je brevetais une n-ième position pour faire l'amour! Oui, je sais, il faudrait d'abord la découvrir... <br /> On me pardonnera, j'espère, de dériver de l'argumentation vers la blague alors que le sujet est sérieux et que l'idée même d'une brevetabilité d'une part de l'humain donne le vertige et flanque la frousse.<br /> Inventoriant les diverses formes d'exception (de recherche, du sélectionneur, des semences de ferme) l'article de Marcel Kuntz commençait de manière ordonnée et rassurante. Pourquoi faut-il qu'à la fin, revienne, comme un leit motiv obsédant, la rituelle dénonciation du "lobby anti OGM". On finirait par croire que c'est la priorité qu'il donne à ce combat qui induit sa présentation de l'innocuité de la brevetabilité du vivant. Son trait polémique final ne renforce pas, pour moi, le crédit que j'apporterais à la partie rassurante de son exposé.
Y
Si je m'en tiens à la description du "coup" de Larry Proctor, qui devait avoir des points très faibles, puisque la justice a fini par avoir raison de lui, il s'agit de la même catégorie d'actes qui ont fait la fortune du Brésil avec le café, d'Hawaï avec l'ananas, de la Malaisie et d'autres pays d'Extrême-Orient avec l'hevéa brasiliensis, et d'une bonne partie des pays tropicaux avec la canne à sucre. La pomme de terre, la tomate, le tabac, sont originaires des Andes, La quinine des régions équatoriales de l'Amérique du sud.<br /> Ce qui était autrefois une conduite banale et sans état d'âme des naturalistes occidentaux est maintenant réprimé par une nouvelle éthique, faisant de n'importe quelle espèce végétale, peut-être aussi animale, et qui sait, bactérienne ou virale, la propriété intellectuelle des habitants d'un pays, si, empiriquement, ils en connaissent l'utilité.<br /> Le décryptage de l'action d'une substance brute, connue empiriquement, par l'isolement du principe actif, qui s'est pratiqué depuis deux siècles, et qui est à la source d'une bonne part de la pharmacopée d'aujourd'hui, se perfectionne maintenant par la recherche du matériel génétique qui permet son élaboration, et ultérieurement, la mise au point d'une bio-technologie qui permet la fabrication industrielle de la substance*. À qui revient la valeur ajoutée par ce travail qui ne se fait pas sur un coin de cuisinière? Les américains, dont la culture fait qu'il pensent toujours au profit qu'ils vont tirer de leur travail, vont breveter leurs découvertes, dès lors qu'elles ont un intérêt.<br /> L'élévation du niveau de conscience des populations du monde qui ont subi la loi du plus fort pendant plusieurs siècles aboutit maintenant à des revendications de restitutions (nos musées sont remplis d'objets "volés"), ou de droits à payer sur les avantages des découvertes faites par nos savants sur les produits naturels "indigènes". Le contentieux est évidemment énorme, et les avocats sont pleins d'imagination. J'avoue que suis perplexe devant la dimension du procès en annulation de l'histoire.<br /> <br /> *Les diabétiques du monde entier reçoivent maintenant une insuline humaine, donc sans problème d'efficacité et de tolérance, produite par des bactéries génétiquement modifiées, par introduction dans leur génome du gène humain qui commande la synthèse de l'insuline. Il en est de même pour l'hormone de croissance, et pour les facteurs anti-hémophiliques du sang.
P
je ne comprends pas pourquoi YL pense que l'affaire des "haricots jaunes" que j'ai rapportée doit être exclue du débat. C'est un cas typique, semble-il, de "biopiraterie", dont le scénario est décrit de la façon suivante par Catherine Aubertin (IRD):<br /> <br /> "Le scénario de la biopiraterie est simple : des chercheurs d’une université, généralement américaine, prélèvent du matériel biologique dans un pays du Sud. Ils isolent et séquencent un gène aux propriétés particulières, connues depuis “des générations” par les populations autochtones. Puis, pour faire reconnaître et protéger leur travail et leur innovation, ils demandent un droit de propriété intellectuelle, généralement un brevet. Enfin, une firme multinationale pharmaceutique ou agrochimique en situation de monopole achète ce brevet dont elle est censée tirer des revenus illimités grâce à la production de médicaments ou de semences génétiquement modifiées".<br /> <br /> Je ne prétends pas que ce soit le seul problème soulevé par la "propriété intellectuelle sur le vivant", ni même le plus important, mais cela me semble bien un problème réel.
M
dénouement de l'affaire Proctor:<br /> <br /> "Il aura fallu dix ans, des centaines de manifestations massives d'agriculteurs et de la société civile, l'intervention d’agences internationales et la publication de cinq décisions judiciaires pour que le USPTO finisse par annuler le brevet en juillet 2009. A cette époque, Proctor avait détenu le monopole complet de la production, de la distribution et du marketing du haricot pour <br /> plus de la moitié de la durée de vie du brevet (...); dès la première année, cet épisode avait entraîné la perte de 90 % du revenu à l’exportation de 22 000 fermiers mexicains et de leur famille..."<br /> <br /> (Silvia Ribeiro et Kathy Jo Wetter)
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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