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vive les sociétés modernes - abécédaire
20 janvier 2010

N comme Non-violence.

« Il faut choisir la guerre par amour de la paix » (Aristote, Les politiques)

Le but ne saurait être qu’un monde non violent. Mais il n’est pas certain que le choix systématique de la non-violence soit le moyen le plus sûr pour progresser vers ce but. En effet tant que des violents existeront dans le monde, la non-violence sera problématique : pas simplement en raison de l’impuissance probable de la non violence confrontée à une agression violente mais surtout parce que la non-violence risque d'être elle-même une source de violence; parce que certains ne manqueront pas d'y voir une invitation à la violence : comment un pays d’hommes non-violents (c’est-à-dire qui ont renoncé, par choix ou par peur, de recourir aux armes pour assurer leur défense), ne susciterait-il pas la convoitise d'hommes armés et entrainés?

« Le 19 novembre 1835  un bateau aborda les îles Chatham transportant 500 Maoris armés de fusils, de gourdins et de haches, suivis le 5 décembre d'un nouveau contingent de 400 Maoris. Des groupes de Maoris commencèrent à traverser les colonies de peuplement Moriori, annonçant à leurs habitants qu'ils étaient désormais leurs esclaves et tuant ceux qui se rebellaient. Une résistance organisée des Morioris aurait encore pu venir à bout des Maoris, deux fois moins nombreux. Mais les Morioris avaient une longue tradition de résolution pacifique des conflits. Ils décidèrent en conseil de ne pas se battre mais de faire une offre de paix et d'amitié et de partager leurs ressources.

Sans leur laisser le temps de faire cette offre, les Maoris décidèrent de passer à l'attaque. En l'espace de quelques jours, ils tuèrent des centaines de Morioris, grillèrent et mangèrent nombre de leurs victimes, et réduisirent les autres en esclavage. Dans les années suivantes, ils devaient tuer la plupart des survivants au gré de leurs caprices. » (Jared Diamond, De l'inégalité parmi les sociétés)

Cette histoire remonte certes au 19e siècle et concerne des populations appelées « sauvages » à l’époque ; mais serait-elle inconcevable aujourd’hui ?

Les habitants d’un pays jouissant d’une paix durable, sans s’être pourtant doté d’une véritable défense nationale, peuvent facilement croire que cette paix est l’effet de leur seul pacifisme ; qu’ils regardent toutefois autour d’eux pour voir s’ils ne bénéficient pas aussi de la protection de quelque voisin armé !

Pour progresser vers un monde non violent il faut à la fois faire avancer l’idée de non violence en dénonçant la banalisation de la violence comme sa sacralisation ("morale de guerrier") et faire reculer les violents, en leur faisant comprendre que leurs agressions ne resteront pas impunies. Le chemin est certes étroit.

pierre gautier

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Commentaires
Y
pour cette mise au point et sa conclusion pertinente.
R
D'après le médiéviste Jean Flori qui est un spécialiste de la chevalerie et des croisades, et qui a consacré ses dernières recherches à la réflexion sur la violence dans le(s) christianisme(s) et l'islam(s), la principale rupture que le christianisme a induit est celle d'un refus total et absolu de la violence, jusqu'au sacrifice de soit*. La violence est perçu dans le christianisme primitif (jusqu'au IVe siècle) comme la manifestation d'un mal qui fera périr celui qui y succombe, quelle qu'en soit la raison ! Il n'existe AUCUNE raison valable pour exercer une quelconque violence. Quelques petits exemples bien connus :<br /> <br /> - Le sermont sur la Montagne: « Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil, et dent pour dent. Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente lui aussi l’autre. […] Moi je vous dis : Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent, afin que vous soyez fils de votre Père qui est dans les cieux. »<br /> <br /> - Dans les jardins de Gethsémani où Jésus se laisse arrêter sans résistance par les légionnaires représentants de la force publique, il demande à Pierre qui avait tiré son épée pour le défendre de la remettre au fourreau : « Remets ton épée à sa place ; car tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée. »<br /> <br /> - La joue droite et la joue gauche.<br /> <br /> C'est la conversion du pouvoir politique à la religion qui change radicalement la donne et impose à celle-ci de s'écarter du pacifisme absolu afin de défendre un empire devenu chrétien face à des ennemis païens. A ce titre le film récent "Agora" présente une face moins connue de la violence du christianisme vis à vis des païens (comme la milice des parabalini qui font respecter l'ordre chrétien dans l'Alexandrie de l'évêque Cyrille). Si la qualité cinématographique de cette oeuvre est discutable la réalité qu'elle présente l'est beaucoup moins (sauf sur certains détails, cf Peter Brown, "Pouvoir et persuasion dans l'Antiquité tardive").<br /> <br /> Bref, avec l'accession au pouvoir la pensée chrétienne intègre très progressivement la violence. Cette violence est alors toujours définie en deux champs : la violence illégitime (exercée sur des innocents par cupidité ou recherche de gloire) et la violence légitime exercée par une autorité publique légitime dans un but de justice). Seul le clergé se voit toujours interdire de verser le sang, ne devant mener qu’un combat moral pour la foi (reste de l'idéal primitif de paix réservé aux "hommes de Dieu"). Toutefois tuer reste un péché, même à la guerre, dont il faut se purifier en faisant pénitence.<br /> <br /> Les choses changent à partir du XIe siècle et la montée de l'idée de croisade et des "miles christi" (chevaliers du Christ). La violence est dès lors sacralisée et peut devenir salutaire, permettre à un pénitent d'obtenir la rémission absolue de tous ses péchés.<br /> <br /> La chose est très différente dans l'islam puisque Mahomet est d'emblée un chef politique et de guerre (ce que Jésus n'était pas, rendant à César ce qui lui appartenait, de même qu'à Dieu, instaurant de fait une séparation conceptuelle des sphères politique et religieuse). Le djihad (majeur comme mineur, violent comme pacifique) est présent avec toute la violence qu'il suppose dès l'islam primitif. Il faut insister sur le fait que ce n'est pas dans la nature de cette religion que cette acceptation de la violence tire son origine à mon sens, mais dans le fait qu'elle n'a pas séparé le religieux du politique. Finalement la violence reste une histoire de politique dans ces problématiques religieuses.<br /> <br /> RL<br /> <br /> * La seule philosophie qui me vient à l'esprit ayant développé une pensée similaire antérieurement au christianisme est le bouddhisme.
Y
La réflexion de José Le Roy me rappelle un mot de Paul Valéry à propos de la peine de mort:"Que messieurs les assassins commencent". <br /> <br /> Je suis cependant contre la peine de mort, en raison de la trop grande fréquence des erreurs judiciaires. Je tolère un assassin vivant, je frémis à l'idée d'un innocent mort.
J
La non-violence demeure me semble-t-il l'idéal de toute philosophie digne de ce nom. Le droit d'ailleurs est bien une invention de la philosophie pour remplacer la vengeance individuelle et subjective par une justice légale et moins violente. Les analyses d'Eric Weil sont célèbres sur ce point. Le but de la philosophie c'est la non-violence, mais elle doit pour arriver à ce but accepter l'usage d'une violence, celle de l'Etat, contre les violents, sinon en effet, ce sont les violeurs, les pédophiles, les assassins qui tiennent la place.<br /> jlr
S
Dans notre société, cette non-violence ne peut être qu'individuelle, et secondairement, adoptée par un petit groupe. Élever ce principe à la dimension d'une politique parait voué à l'échec et au retour de la violence étatique.
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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