N comme Nationalisme arabe (et modernité)
Entre impuissance et polémique
Une grande question est posée dès la fin du XIXé siècle : la société arabe, elle-même, est-elle prête à épouser le nationalisme moderne ? Serait-elle prête à mettre de côté sa structuration tribale et confessionnelle et à se donner un nouveau mode d’organisation qui considère l’appartenance à une nation comme la première de toutes les appartenances ? Si, durant la première moitié du siècle passé, il est plus que probable que la réponse serait négative - les Arabes ont entrouvert la porte de la modernité, mais ils n’étaient pas encore prêts à la pousser et surtout à y entrer - en revanche tout laisse croire que dès les années cinquante, un nationalisme populaire moderne s’installait dans les rangs. Mais, l’occupation de la Palestine et la création de l’État d’Israël, l’acharnement des puissances occidentales pour empêcher la naissance d’un monde arabe moderne et développé, ne faisait que s’intensifier au fur à mesure que l’enjeu économique, surtout pétrolier, prenait de l’ampleur. Si l’on ajoute au premier acharnement, un second, celui des régimes arabes et leurs pouvoirs politiques répressifs, corrompus et incompétents, les peuples arabes n’avaient aucune chance de pousser la porte de la modernité. La première grande occasion qui aurait pu amorcer l’entrée du Moyen-Orient dans la modernité fut rendue impossible par la France et l'Angleterre, deux nations que les modernistes Arabes présentaient comme exemples à leurs concitoyens. N’est-il pas vrai que « La modernité occidentale est conquérante, elle se donne comme exclusive »?
Depuis la deuxième moitié du XXème siècle, le monde arabe est chargé de déclins, d’échecs, de dominations, de souffrances et d’humiliations. Dépassé par l’Occident rival, dominé par ce dernier et au mieux simple consommateur des réalisations pensées et produites en dehors de lui, il cherche, encore aujourd’hui, une âme à sa modernité. Cette dernière, sans clairvoyance, s’avère incapable de se penser et de concevoir un présent tout en s’inspirant d’un passé glorieux et productif de pensées, d’idées, de prospérité et de cultures riches et ouvertes. Bien au contraire, elle s’étale sur un « héritage », sans réelle réappropriation de ce qu’il fut vraiment, et surtout incapable de re fondation moderne de ce que fut la pensée arabo-islamique. Pour que les Arabes puissent enfin construire leur propre modernité, il faudra qu’ils livrent plusieurs combats. Le premier d’entre eux est celui de la bataille du « Je » et particulièrement le « Je » féminin, « je suis », « je pense », « j’aime »…Il faudra accepter de livrer bataille contre l’enfermement de la société arabe dans un « Collectif » tribal, familial, religieux et politique. Il faudra livrer bataille contre une classe politique incapable d’avancer vers le développement et la fondation d’une société de droit. Il faudra livrer bataille pour que cessent les humiliations que subissent les peuples arabes et particulièrement celles que subissent les Palestiniens, chaque jour, depuis plus de soixante ans, par Israël. Il faudra livrer bataille contre les deux poids deux mesures, pratiqués sans gêne par les sociétés modernes de l’Occident tout puissant.
Nabil El-Haggar (universitaire, vice-président de l'Université de Lille1)
texte entier: modernité arabe