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vive les sociétés modernes - abécédaire
27 janvier 2010

N comme Nationalisme arabe (et modernité)

Entre impuissance et polémique

Une grande question est posée dès la fin du XIXé siècle : la société arabe, elle-même, est-elle prête à épouser le nationalisme moderne ? Serait-elle prête à mettre de côté sa structuration tribale et confessionnelle et à se donner un nouveau mode d’organisation qui considère l’appartenance à une nation comme la première de toutes les appartenances ? Si, durant la première moitié du siècle passé, il est plus que probable que la réponse serait négative - les Arabes ont entrouvert la porte de la modernité, mais ils n’étaient pas encore prêts à la pousser et surtout à y entrer - en revanche tout laisse croire que dès les années cinquante, un nationalisme populaire moderne s’installait dans les rangs. Mais, l’occupation de la Palestine et la création de l’État d’Israël, l’acharnement des puissances occidentales pour empêcher la naissance d’un monde arabe moderne et développé, ne faisait que s’intensifier au fur à mesure que l’enjeu économique, surtout pétrolier, prenait de l’ampleur. Si l’on ajoute au premier acharnement, un second, celui des régimes arabes et leurs pouvoirs politiques répressifs, corrompus et incompétents, les peuples arabes n’avaient aucune chance de pousser la porte de la modernité. La première grande occasion qui aurait pu amorcer l’entrée du Moyen-Orient dans la modernité fut rendue impossible par la France et l'Angleterre, deux nations que les modernistes Arabes présentaient comme exemples à leurs concitoyens. N’est-il pas vrai que « La modernité occidentale est conquérante, elle se donne comme exclusive »?

 

 Depuis la deuxième moitié du XXème siècle, le monde arabe est chargé de déclins, d’échecs, de dominations, de souffrances et d’humiliations. Dépassé par l’Occident rival, dominé par ce dernier et au mieux simple consommateur des réalisations pensées et produites en dehors de lui, il cherche, encore aujourd’hui, une âme à sa modernité. Cette dernière, sans clairvoyance, s’avère incapable de se penser et de concevoir un présent tout en s’inspirant d’un passé glorieux et productif de pensées, d’idées, de prospérité et de cultures riches et ouvertes. Bien au contraire, elle s’étale sur un « héritage », sans réelle réappropriation de ce qu’il fut vraiment, et surtout incapable de re fondation moderne de ce que fut la pensée arabo-islamique. Pour que les Arabes puissent enfin construire leur propre modernité, il faudra qu’ils livrent plusieurs combats. Le premier d’entre eux est celui de la bataille du « Je » et particulièrement le « Je » féminin, « je suis », « je pense », « j’aime »…Il faudra accepter de livrer bataille contre l’enfermement de la société arabe dans un « Collectif » tribal, familial, religieux et politique. Il faudra livrer bataille contre une classe politique incapable d’avancer vers le développement et la fondation d’une société de droit. Il faudra livrer bataille pour que cessent les humiliations que subissent les peuples arabes et particulièrement celles que subissent les Palestiniens, chaque jour, depuis plus de soixante ans, par Israël. Il faudra livrer bataille contre les deux poids deux mesures, pratiqués sans gêne par les sociétés modernes de l’Occident tout puissant.

Nabil El-Haggar (universitaire, vice-président de l'Université de Lille1)

texte entier: modernité arabe

 

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Commentaires
M
Le nationalisme arabe, qui a combattu pour ses indépendances, a été instrumentalisé par les dictatures pour faire rempart à la démocratie et a la liberté. Les élites intellectuelles nationaliste du monde arabe n'ont pas produit de la pensé moderne, mais ont créé un rempart à la pensé moderne. Les élites politico-financières, hypocrites, envoyaient leurs enfants dans des écoles étrangères, tout en faisant de rhétorique nationaliste. Le nationalisme arabe est responsable de cette dichotomie entre le monde arabe et le reste du monde.
J
La force éloquente des dernières lignes du texte de Nabil El Haggar (sur les batailles à livrer pour que le mode arabe entre dans la modernité)ne doit pas occulter l'intérêt de certains points abordés dans le texte complet auquel le blog permet d'accéder. <br /> Etant de ceux (sans doute nombreux)qui connaissent peu les temps forts et les moments historiques majeurs du monde arabe, j'ai beaucoup appris à la lecture de cet article qui permet de ne plus penser la question à travers le seul prisme de l'actualité (échos de la question coloniale, de l'immigration...)mais qui m'amène à envisager bien des questions.<br /> Ainsi, on peut constater que l'ébauche d'un nationalisme arabe ne date pas d'hier (des années 50) mais que c'est au cours du XIXème siècle qu'il se construit. On sait, en Europe, que nombre des nations (qui ont rejoint récemment l'UE ou s'apprêtent à la faire)sont nées d'une revendication nationaliste contre la tutelle et les répressions des empires (russe, autrichien et ottoman). Comment expliquer pourquoi cette affirmation d'identités nationales qui a marqué l'Europe au cours du XIX et du début du XXème n'a pas abouti de manière analogue dans les zones d'influence ottomane au Sud et à l'Est?<br /> Je m'interroge aussi sur le cas particulier de l'Egypte qui, au cours de ce même XIXème siècle, avait semblé particulièrement marquée par l'ouverture à la modernité: est-ce d'avoir été trop liée à l'influence anglaise et française que celle-ci n'a pas constitué le facteur déclenchant qu'on pouvait imaginer pour le reste du monde arabe?<br /> L'article de Nabil El Haggar mène aussi à remarquer cet apparent paradoxe: les ferments de la revendication nationale et moderniste dans le Proche-Orient arabe naissent dans un foyer culturel marqué par une inspiration religieuse chrétienne, et non musulmane. La présence missionnaire et éducative de protestants américains au Liban en 1820 a dû surprendre plus d'un lecteur... Mais on sait (quand même!)que le monde arabe et le monde musulman ne coïncident pas: comme cela a été rappelé, seuls 20% des musulmans sont Arabes... et tous les Arabes ne sont pas musulmans. Cela dit, le fait que dès le XIXème siècle, l'appel au réveil national et au refus de l'intégrisme soit parti des milieux chrétiens ou s'y soit particulièrement développé... ne contenait-il pas en lui-même ses propres limites dans un monde majoritairement islamique?<br /> En tout cas, l'article de Nabil El Haggar nous aide à penser que si les conditions de l'établissement de l'Etat d'Israël ont joué un rôle majeur dans l'histoire du nationalisme arabe et du rapport du monde arabe à une modernité qui lui apparaît sous un jour très occidental... les termes de la question préexistaient à l'établissement d'un foyer juif en Palestine et à la Naqba. De même que l'article nous rappelle, si besoin était, que ce n'est pas dans quelque espace dépourvu de populations, d'histoire, d'identités et de pensée critique que s'est fabriqué l'Etat israélien actuel.
Y
Ce que suggère Bernard Lewis se résume à cette fameuse méthode(qui ne concerne qu'un individu). Justement, notre auteur répond à votre question:"...ils doivent lutter pour la conquête du "Je"..."Je suis, Je pense, J'aime", (seul moyen de desserrer l'étau du collectif). <br /> C'est ce qui est arrivé à notre société, dont l'affaiblissement structurel a permis le développement des individualismes, politiques, économiques, sentimentaux, et l'évolution vers la démocratie et la laïcité.<br /> C'est ce que souhaite Nabil El Haggar. Il n'y a pas, en effet, de désir collectif. Cette évolution, comme je l'ai dit à sa suite, est actuellement verrouillée par la religion, qui s'est imposée comme renfort de la résistance des arabes, mais aussi, comme un tout, qui subordonne l'individu.<br /> Que les arabes soient victimes d'eux-mêmes, après avoir été ceux d'un Occident triomphant, c'est évident. Les réactions individuelles sont repérables, mais il faut imaginer le sentiment de culpabilité qui les accompagne, et la tentation permanente de sacrifier sa réussite personnelle à la cause collective.
M
Que peut-on penser de ce jugement de Bernard Lewis? <br /> <br /> « Ce n’est qu’en renonçant à leurs griefs et à leur victimisme, en surmontant leurs querelles, en unissant leurs talents, leur énergie et leurs ressources dans un même élan créatif, que ces peuples pourront de nouveau faire du Moyen-Orient ce qu’il était dans l’Antiquité et au Moyen Âge, un haut lieu de civilisation. Le choix leur appartient." (Bernard Lewis, "Islam")
Y
Votre expérience à Schanghaï rappelle que la minorité ouigour, musulmane, est persécutée par la Chine. Dans une mégapole cosmopolite et relativement indépendante, ce geste de protestation est possible.
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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