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vive les sociétés modernes - abécédaire
23 décembre 2009

N comme Numérisation des livres (2)

 

           Mais dans la reproduction par la numérisation, il y a bien une transformation, une dégradation. Pour les textes, la langue, le sens demeurent – si l’on est sûr qu’il n’y a pas eu de manipulation intermédiaire. Mais disparaissent (en partie dans le mode « image », totalement dans le mode « texte ») d’autres éléments signifiants, ceux qui sont liés à la matérialité du support initial et aux méthodes d’écriture ou de reproduction imprimée : choix du caractère, de l’encre, du papier ; éléments tactiles ou olfactifs initiaux ou liés à l’histoire du support, etc. La numérisation peut donc être une garantie de conservation du texte, mais pas de l’objet livre avec ses qualités propres. Dans la lecture courante, peu m’importe cette perte, pas quand il s’git du patrimoine : ainsi, la numérisation dans « Gallica » des manuscrits de Proust, en mode image, consultable par tous mais illisible, n’a qu’un intérêt très secondaire. La numérisation ne se substitue pas à l’original.

 

     Mais si la durée de conservation du papier est connue, et longue (sauf pour les papiers industriels à base de bois utilisés en gros à partir du milieu du 19ème jusque dans les années 1980), la durée de conservation et de lisibilité des archives électroniques l’est beaucoup moins, l’expérience ne dépassant pas deux ou trois décennies. La numérisation n’est pas encore une garantie d’éternité.

 

    Mais les coûts de la numérisation du patrimoine, et donc… de la conservation de la numérisation sont beaucoup plus élevés que prévus, et le recours à l’action privée, qui peut numériser et rentabiliser, est tentant. Google « négocie » la numérisation du patrimoine d’un grand nombre de bibliothèques : à terme, c’est la privatisation de celui-ci qui est en jeu. La numérisation réintroduit des enjeux commerciaux là où ils ont disparus.

 

          Mais la diffusion mondialisée des textes fait fi des droits d’auteur et d’éditeur propres à chaque pays. Un texte contemporain numérisé par une firme américaine pourrait ainsi faire l’objet d’une diffusion mondiale sans respect des droits d’auteurs tels qu’ils sont conçus en Europe.

 

          Mais dans cette phase de numérisation et de diffusion par le privé, aucune garantie n’existe quant à la qualité : choix d’une édition fautive, numérisation partielle non signalée, disparition d’éléments de langue (les accents par exemple), utilisation de traductions mauvaises ou automatiques pour des raisons de coût, etc.

 

     Mais l’expérience montre déjà comment grâce à la diffusion numérique, le contrôle complet des lectures individuelles est possible, par les Etats comme par les firmes privées, qui peuvent même enlever des ordinateurs des textes préalablement achetés, sous des prétextes divers : c’est arrivé l’été dernier avec les titres … de Georges Orwell !

 

     Mais la lecture d’un document numérisé est liée à un appareil personnel : il ne peut donc pas « circuler » en famille, entre amis, faire l’objet de lectures collectives. On peut faire circuler un livre, pas son « e-book ». Le commerce a tout intérêt à ce que les lectures gratuites d’un même texte par une personne autre que son acheteur ne soit pas possibles : l’électronique le permet.

La numérisation est donc une technique, un outil, mais pas une alternative définitive à la conservation du patrimoine, ni à la diffusion de l’écrit. Une technique qui peut apporter beaucoup à la connaissance des textes et à leur diffusion, à la conservation de contenus pour lesquels le support n’est pas signifiant, à la diffusion des informations en constante évolution, mais beaucoup moins à la conservation du patrimoine culturel, ni à la lecture courante de la fiction. On peut apprécier hautement la commodité du procédé, on peut l’utiliser au point qu’il se rend vite indispensable pour bon nombre de travaux, on peut se laisser séduire par la modernité des appareils indispensables. Masi on n’a jamais inventé mieux que le livre du point de vue de la commodité de la lecture, de l’universalité du procédé, de sa convivialité et de son indépendance énergétique. A quoi sert de disposer d’un appareil dépendant d’une source d’énergie extérieure, plus fragile et plus coûteux qu’un livre, sensible à la lumière ambiante, capable de stocker plusieurs décennies de lectures d’un lecteur moyen, très « égoïste » enfin, quand on peut être grand lecteur et très cultivé en ne lisant jamais que des livres de poche ? Une vie entière d’un fort lecteur selon les dernières statistiques « Pratiques culturelles des français » (2009), soit 15 livres par an et plus, c’est 700 à 1000 livres…

JF Jacques

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Commentaires
A
@Raphaël<br /> Désolé d'avoir "rabaissé cet espace de réflexion" parce que j'ai dit préférer la critique à l'apologie et pour avoir prétendu que la critique ne dénote aucune haine.<br /> <br /> @ Posté par Y.L., 31 décembre 2009 à 05:36<br /> Je crois que vous n'avez rien compris : il n'y a PAS de solution politique, il n'y a que des agencements pires ou meilleurs, et les dites "sociétés modernes" ne peuvent certainement pas être présentées comme des "solutions". <br /> <br /> L'important est que vous vous convainquiez qu'il ne peut en être autrement, qu'il n'y a pas d'alternative ni de changement possibles, que l'on vit dans le meilleur des mondes possibles. Vous avez raison : brave new world, le meilleur des mondes. C'est rassurant.<br /> <br /> @tous<br /> <br /> je note l'importance de respecter l'ordre alphabétique pour soulever des objections envers la modernité lisse, j'ai quelque peu conscience d'avoir dérangé l'ordre établi.
V
Il me semble qu'Arthur a fait un effort pour entrer en dialogue et je ne peux que le reconnaître. Des propos qui commencent à être plus nuancés ne peuvent qu'être appréciés. Merci à tous et à toutes de cet espace d'échange qui nous enrichit mutuellement et merci à Pierre Gautier pour ses talents de coordinateur. Je vous souhaite à tous une excellente année 2010.
R
Je suis d'accord avec votre argumentation et avec les propos que vous tenez dans votre dernier commentaire. Mais le problème n'était pas là : nous ne faisons pas l'apologie aveugle de la modernité, voilà tout ; et essayer de voir ce qu'il y a malgré tout de positif dans notre monde n'est pas acte de bêtise ou d'aveuglement. Vous le dites fort bien : "Ne pas rabaisser la critique à la haine et ne pas rabattre cette dernière sur la critique, ce qui reviendrait sinon à interdire toute critique." Charité bien ordonnée commence par soi-même, non ? Eh bien ne rabaissez pas la réflexion de cet espace de discussion à ce qu'elle n'est pas.<br /> <br /> Vous me reprochez de détourner votre propos, ce que j'ai peut-être fait par maladresse (il faudrait que je relise pour m'en assurer tous les précédents commentaires, ce qui m'ennuie je l'avoue), mais vous-mêmes n'arrivez pas à ne pas faire de même avec ce blog en vous en tenant uniquement à son titre, largement provocateur d'ailleurs. C'est à n'y rien comprendre. J'apprécie néanmoins votre souci d'argumenter davantage précisément vos propos (intéressants et enrichissants).<br /> <br /> Mais il me semble sage de suivre les conseils de Vicky et de ne pas répéter une 3e ou 4e fois ce qui a déjà été dit. Je vais donc faire taire ce bavard qui me taraude. Si vous voulez prolonger cette discussion, commentez des billets du blog qui portent sur ce sujet (très nombreux vous verrez, et nullement en contradiction systématique avec votre pensée. Vous en trouverez l'essentiel dans la catégorie "Participants") ou bien proposez à Pierre Gautier des billets. Si par contre vous avez un avis aussi profond sur la numérisation, n'hésitez pas à poursuivre vos commentaires dans le cadre de ce billet.<br /> <br /> Sur ce, bonnes fêtes.<br /> <br /> RL
A
@ Aimée « Je comprends mieux la réaction qui consiste à honnir la modernité »<br /> <br /> Posté par Aimée, 30 décembre 2009 à 14:55<br /> <br /> c'est à cette idée de haine de la modernité , que vous avez évoquée, que je répondais, la critique de la modernité n'est pas haine de la modernité. Ne pas rabaisser la critique à la haine et ne pas rabattre cette dernière sur la critique, ce qui reviendrait sinon à interdire toute critique. Elle a une longue histoire et est très fournie, cette critique, de Heidegger à Foucault, Hannah Arendt, Benjamin, Adorno, de Nietzsche à Deleuze, Agamben, J-Luc Nancy et bcp d'autres auteurs encore dont j'ai cité quelques uns.<br /> <br /> Et cette position critique ne fait pas non plus aussitôt des pensées totalitaires. Il est assez désolant d'imaginer que toute critique ou toute pensée qui ne se contente pas de se bercer des illusions du progrès technique, ou de son petit bonheur par la chance dont nous jouissons de ne pas être nés dans un pays du tiers-monde, puisse être considérée comme totalitaire. « Opposition totalisante » a-t-il été asséné par un autre participant. Rien que cela ! <br /> <br /> Aimée, je n'ai pas affirmé que la modernité a inventé l'esclavage, ce qui aurait été une hérésie historique , je savais bien que l'esclavage existait dans l'Antiquité, rassurez-vous. J'ai simplement rappelé la Traite des Noirs à l'origine de la modernité qui contribua à jeter les bases du capitalisme moderne, distinct du mode de production féodal. Celle-ci, souvenez-vous, fut instaurée après la quasi-extermination des Indiens d'Amérique qui créa un grand manque, un manque de main d'oeuvre : les Noirs importés d'Afrique comme esclaves viennent en remplacement des Indiens, une fois que la célèbre querelle théologique de Valladolid a établi que les Indiens avaient une âme, étaient des hommes. <br /> Je vous renvoie au « Code Noir » de Louis Sala-Molens, un livre remarquable. Ce Code Noir fut édicté sous Louis XIV, pour situer la période. Les bourgeoisies esclavagistes (de Bordeaux, Nantes, La Rochelle principalement) édifièrent leurs fortunes, considérables, sur la Traite des Noirs. Voyez sur quels principes métaphysiques, exprimés pour établir le Code Noir dans le livre cité .<br /> <br /> Aimée j'agrée tout à fait à votre post de : Posté par Aimée, 30 décembre 2009 à 23:45<br /> <br /> @Vicky : trop de polémqiue nuit. Impossible d'examiner des idées à ces conditions. <br /> <br /> <br /> @ Raphaël : je crois que vous ne comprenez pas du tout ce que j'ai essayé de formuler, sur le commun, la politique comme art d'organiser le vivre-ensemble (c'est sa définition, vous comprenez ?) commun, communisme, c'est le même mot la même idée. Et vous voilà parti dans une polémique contre les régimes de type URSS , mais ce n'est absolument pas de cela qu'il s'agit ! Personne ne songe à défendre la totalitarisme de type soviétique ou autre, parmi les auteurs critiques de la modernité que j'ai cité + haut, et pas plus moi que ces auteurs, évidemment.<br /> <br /> Ce que je soutiens simplement est que, si personne aujourd'hui ne peut soutenir les bienfaits du stalinisme ni ne peut penser sa supériorité sur des sociétés démocratiques où existe la liberté (ce bien le + précieux selon Rousseau) sans la quelle la vie n'est pas digne d'un être humain, et si personne ne désire ce système, cela n'empêche certainement pas la critique, plus que jamais nécessaire, de la modernité technique, économique, politique et en tant que civilisation ; cela n'empêche certainement pas la critique du libéralisme présupposant que l'enrichissement se fait dans le partage et profite à tous , car l'histoire a montré que ce présupposé , posé depuis Adam Smith, était erroné vu qu'il y a un problème politique : celui de la mise en commun. L'erreur du libéralisme est de croire en l'économie, en la vertu de la seule économie qui serait auto-régulée, sans politique, par le seul effet de « la main invisible » (du marché);<br /> L'histoire a montré que ce présupposé est tout aussi faux que les présupposés du communisme dit « réel » ou totalitaire.<br /> La crise que nous vivons actuellement en est une démonstration flagrante que à peu près tout le monde a compris sauf les idéologues du libéralisme;<br /> <br /> Nous en sommes là par conséquent, à devoir penser après le communisme historique et après le libéralisme -économique- historique qui ont tous deux montré leur échec , distincts, hein ? Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : distincts et même opposés. L'un par la logique univoque de la planification étatique et de la négation de la liberté et de l'individu ; l'autre par la logique univoque de l'absence d'organisation du commun, l'absence de politique, de décision qui concerne la communauté .<br /> <br /> Ce que j'ai essayé de vous dire, et qui semble-t-il vous a hérissé, parce qu'il me semble que vous l'avez interprété de travers, est que nous vivons aujourd'hui la destruction de la politique donc de toute idée de mise en commun, d'organisation du commun, de partage, de démocratie.<br /> <br /> Si les formules de J-Luc Nancy vous hérissent en rappelant la proximité linguistique du commun et du communisme, je vous le dirais avec Spinoza -ce que je ne peux hélàs vous développer explicitement et expliquer- la politique est synonyme de démocratie, affaire de tous, ce que du reste les Grecs avaient pensé à l'origine de la démocratie et de la philosophie comme critique des travers de la démocratie. (là encore ça mériterait un développement, mais ce serait trop long. Il suffit de lire un peu Socrate pour s'en apercevoir, la philosophie est fille de la Cité, née de la politique elle pose la question du vrai et du faux à tous les discours politiques, à tous les discours, pour mettre en cause l'opinion et faiure en sorte que la démocratie ne soit pas soumise à l'opinion, ne soit pas une démocratie d'opinion. Question toujours d'actualité)<br /> <br /> <br /> Donc ce que j'ai essayé de vous dire est que la démocratie, de manière générale, est faible, peut disparaître (l'expérience du fascisme l'a montré) et que la démocratie moderne est actuellement soumise à de graves mises en cause, qui menacent les libertés des individus, en tant que travailleurs et dans leur vie privée, par la mise en place de système de contrôle. cf. Foucault et cf. L'Appel qui énonce les raisons pour lesquelles certaines professions sont empêchées dans leur mission, celles qui ont des responsabilité sociales, justice, éducation, santé par les consignes et règles qui leur sont données.<br /> <br /> <br /> Savez-vous que Hannah Arendt, cette grande analyse du système totalitaire, parmi les traits caractéristiques de celui-ci, outre le fonctionnement selon une idéologie et par le règne de la terreur, définit celui-ci comme créant « l'atomisation des individus ». Les individus atomisés, ne sont plus des citoyens, ont perdu responsabilité politique et liberté. Et c'est sur ces individus atomisés qu'un pouvoir total peut s'imposer.<br /> Ce qu'oppose Arendt au totalitarisme qui atomise, sépare, les individus, leur interdisant toute oeuvre commune, c'est la politique … en tant que mise en commun des talents et capacités de chacun. La politique est l'oeuvre commune par excellence, la seule oeuvre commune, mais avant tout oeuvre commune. Ce qu'elle nécessite pour la liberté et contre quelque pouvoir total que ce soit (imposé par la terreur ou consenti) ce sont deux qualités chez les individus : le courage et la parole. <br /> <br /> Je suis entièrement d'accord avec Arendt sur ce point : du courage il en faut pour faire oeuvre de citoyen responsable, pour faire face aux problèmes du monde politiquement, ce courage de la vérité dont parle Foucault dans son dernier cours qui porte ce titre, « Le courage de la vérité » chez Gallimard, et la libre parole aussi, qui en elle-même et à elle seule est résistance à la misère du monde, ce monde qui mérite souvent d'être appelé l'im-monde.<br /> <br /> Excusez-moi pour cette très longue réponse, témoin, au moins, que je ne refuse pas le dialogue et excuse encore d'avoir porté la contradiction à l'idée d'auto-félicitation de vivre dans la meilleure partie de l'im-monde, par le hasard de la naissance.
R
Ce qui est sûr par contre, c'est que les humanistes ont bien perçu que l'édition moderne, avec tout le travail de critique (interne et externe) des manuscrits qu'elle nécessitait permettait de répandre à nouveau les lumières antiques, et leur sagesse, dans une société ainsi régénérée, sortie des "ténèbres" médiévales. Voici un extrait d'une lettre que Guillaume Fichet (qui introduit en France la première imprimerie vers 1470) à l'imprimeur Jean Heynlein :<br /> <br /> " [...] tous les hommes savants doivent te remercier encore davantage, toi qui non seulement t'appliques à l'étude des lettres sacrées (comme t'y appellent tes fonctions*) mais leur rends un signalé service en t'occupant de rétablir, dans leur pureté, les textes des auteurs latins. Sans parler de plusieurs autres grandes pertes subies par les lettres, les mauvais copistes ne sont-ils pas une des causes qui ont le plus contribué à les précipiter pour ainsi dire dans la barbarie !"<br /> <br /> JF Jacques dans son billet (§5) fait bien référence au danger de la disparition d'un travail éditorial professionnel avec la numérisation des livres.<br /> <br /> RL<br /> <br /> *Cette remarque de Fichet renvoie bien à ce que je disais dans le précédent commentaire : un éditeur à cette époque est encore avant tout quelqu'un qui connaît et publie des textes religieux, base essentielle de la culture médiévale.
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