Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
vive les sociétés modernes - abécédaire
30 mai 2009

M comme « Maîtres et possesseurs de la nature »* (Descartes coupable?)

Cette expression de Descartes ferait-elle de lui le penseur qui a ouvert la voie à la conquête dévastatrice de l'homme sur la nature? Replaçons Descartes dans son temps et dans son contexte. Remarquons d'abord que la citation est incomplète: dans la 6e partie du Discours de la Méthode (1637), Descartes écrit que les sciences et les techniques pourraient nous rendre « comme maîtres et possesseurs de la nature »**. Pour Descartes, le Maître de la nature reste bien Dieu dont nous tenons les « vérités éternelles » et qui ne cesse de créer le monde où nous vivons. Mais Dieu ne peut prévoir ni orienter la liberté des hommes. C'est pourquoi, étant « comme » maître et possesseur de la nature, l'homme est aussi responsable de ce qu'il lui fait subir. Pour Descartes, la liberté est si grande qu'il n'envisage pas qu'elle puisse être débordée par la science et la technique. Il n'y a pas pour Descartes d' « essence » de la technique parce qu'elle n'est pas autonome à son époque . Celle dont il parle est celle des artisans et des inventeurs, dont il espère une économie d'effort humain et une victoire sur les maladies.

Quelle est donc  la grande nouveauté de Descartes? La découverte des possibilités ouvertes par la « méthode », qui consiste à appliquer le raisonnement géométrique à l'ensemble du savoir humain. Il faut un fondement à ce savoir. Pour Descartes, il n'est pas en Dieu, mais dans le sujet qui pense. Ce sujet est rationnel et libre à la fois. Mais sa liberté est plus grande que son savoir. C'est pourquoi il peut en faire un usage dévastateur. Il est maître du monde par sa pensée à condition d'être maître de ses pensées. C'est le sens du Traité des passions. A partir de Descartes il faut que l'homme s' impose des limites à lui-même, car ni la nature qu'il domine d'une manière que Descartes ne pouvait pas imaginer, ni Dieu, qui ne peut intervenir sur la liberté, ne nous poussent à le faire. C'est en ce sens que, dépassant son époque et son contexte, Descartes peut encore nous être une leçon.

.

Françoise Valon (philosophe)

.

.

* « Mais, sitôt que j'ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que, commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j'ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s'est servi jusques à présent, j'ai cru que je ne pouvois les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer autant qu'il est en nous le bien général de tous les hommes : car elles m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connoissances qui soient fort utiles à la vie; et qu'au lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connoissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connoissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. » (Discours de la Méthode, 6e partie)

** Si on occulte ce « comme », on fait de Descartes le pionnier de ceux qui, voulant imposer à la nature la domination de la raison conduisent à « l'arraisonnement » technique du monde dont nous constatons aujourd'hui les dégâts. Le « comme » n'introduit pas seulement ici une atténuation, mais marque une comparaison. Il s'agit d'être « comme » maître de la nature, comme on est maître de ses passions, en n'ignorant pas leur force, mais en modifiant leurs effets par un acte de volonté. Pas plus que l'artisan (auquel Descartes se réfère explicitement dans ce passage) ne peut modifier le cours des astres ou la chaleur du feu, nous ne pouvons modifier notre nature, qui consiste à trembler de peur en face du danger. Mais de même que nous pouvons utiliser la chaleur du feu pour forger le fer, nous pouvons empêcher notre cheval de tourner le dos au danger. Pour Descartes, en même temps que la philosophie affronte la souffrance des hommes grâce à la science et la technique , elle affronte les passions grâce à la raison. (On peut mettre en relation ce passage du Discours avec le Traité des passions de l'âme.)

Publicité
Publicité
Commentaires
D
Descartes
S
Le christianisme étant né dans une société juive fortement hellénisée, l'influence de cette culture a sans doute marqué l'interprétation de la Genèse qu'il véhicule.<br /> À propos du "progrès", je ne peux contester qu'il soit "subjectif", car dans le cas contraire, il ne rencontrerait aucune contestation ou résistance.<br /> Son désir, sa représentation imaginaire ne sont pas le fait de tous les hommes. Il n'y a pas plus de désir collectif pour le progrès que pour d'autres objets.<br /> Les individus qui le proposent aux autres hommes sont insatisfaits de ce qui est et ont un désir individuel de le changer:ordre social, économique, moral. Ou technique*. Leurs propositions sont plus ou moins longtemps méconnues.<br /> <br /> *Il y a quelques dizaines d'années, l'ORTF proposait un concours d'inventions à deviner. Un femme teint en haleine le public pendant plusieurs semaines sur un "truc" permettant de beurrer les biscottes sans en casser. Il fallut qu'en fin de compte elle le révèle, car personne n'avait pu le deviner. Il suffisait de placer une biscotte sous celle qu'on beurrait! Maintenant, tout le monde le sait.
E
Bien sûr que je suis en accord avec votre pensée, Pierre, quand vous dites que, d'une manière générale c'est lorsque nous pouvons satisfaire à nos besoins élémentaires et à ceux de notre famille (*), qu'il nous est possible "en outre", de méditer sur qui nous sommes et de développer une dimension d'esprit, de sens de l'humain qui en appelle à vivre et s'exprimer en nous.<br /> <br /> Il y faut aussi du temps disponible et si comme le suggère Yves, l'agriculteur peut en posséder pour lui maintenant grâce à la technique, il faut savoir considérer que le système de progrès moderne aboutit parfois à des contraintes pires que celle du passé dont nous gardons mémoire.<br /> Il faut aussi savoir que les paysans y ont parfois perdu leur "âme".(**) <br /> Il suffit de regarder et d'écouter libre d'un préjugé tel que : "Le progrès prime tout" certains faits. Les laitiers en sont l'exemple récent, les pécheurs aussi... Et je connais ici, dans la campagne corse, des paysans heureux qui n'utilisent pas les semences capturées par d'industrieuses sociétés transnationales hégémoniques.<br /> <br /> Ce que je suggère donc, c'est que: le progrès s'il libère l'être humain, oui; ses excès et les aliénations qui en découlent : Non.<br /> <br /> ....................................<br /> Et une remarque en direction de notre ami "Sceptique" dont j'espère qu'il a lu le bref exposé de Bernard Debré, "LA REVANCHE DU SERPENT OU LA FIN DE L'HOMO SAPIENS" (Document, Le cherche midi, 2005): <br /> - Tu fais une lecture possible de ce mythe archi-connu, galvaudé et à mon sens mal interprété de plusieurs bords, dit "du péché d'Adam et Ève".<br /> Il s'agit-là d'une lecture dont j'ai déjà parlé, elle est une lecture mythologique de style hellénique qui considère que se déroule là le récit de l'acquisition du savoir au détriment des dieux.<br /> Elle est possible et qui s'arrogerait, au risque de faire preuve d'intransigeance, le droit de refuser à d'autres ce type de lecture? en tout cas pas moi.<br /> <br /> Il est bien facile de considérer et voir dans certaines positions ecclésiales notamment, cette crainte que tu décris.<br /> Cependant des siècles d'interprétations erronées n'obligent pas à s'y soumettre, encore moins à s'y aliéner.<br /> La religion, les religions, par définition ont pour but d'accompagner les fidèles qui s'en réclament à nouer et/ou entretenir un lien, à servir de lien avec un ou des dieux à qui faire allégeance.<br /> En ce sens j'acquiesce parfaitement la position que tu adoptes. <br /> <br /> Pour ce qui concerne l'interception que je fais de ce passage, il s'agit d'une incitation, non pas à obéir à je ne sais quel interdit posé par une entité créatrice, à l'allure parentale dominatrice, de marionnettes (nous), mais d'une invitation à responsabilisation et progression en intelligence de l'être humain. Ce qui est d'un tout autre ordre de sens que celui que l'on attribue habituellement au texte en question.<br /> Un bon maître menuisier (ou autre artisanat) indique à l'apprenti quels sont les risque d'utilisation des outils tranchants; c'est tout !! De même que il est habituel de recommander la maîtrise de son véhicule et la prudence quand nous nous déplaçons dans un véhicule. <br /> <br /> Ce ne sont à mon sens que les esprits embués (***)et craintifs qui y voient un interdit qui n'y est pas. <br /> Comme il est dit dans des textes de la culture hindoue : Par crainte, ces formes d'esprit voient un serpent là ou se trouve en réalité une corde. <br /> <br /> Au fond, par provocation et pour faire lapidaire sans lapider qui que ce soit, je dirai que le nommé, "Dieu" et ce qu'on lui colle dessus de religieux, est le plus grand obstacle de l'accès à ce que désigne ce mot de la langue française et que d'autres cultures désignent par Sagesse ou Conscience ou encore Amour, Soi. <br /> ..............<br /> *lorsque nous somme en situation de responsabilité parentale.<br /> **Je veux simplement exprimer par ce mot: "Ce qui les animes"; pas plus pas moins.<br /> ***Chemin de sens que nous pouvons trouver en fouillant dans le schéme : Ha B L (lettres numérotées 8, 6 et 5), buée, traduit en français par "Abel".
E
Je tiens à insister sur le fait établi et sans cesse à réfléchir que la notion de progrès est une notion, une appréciation S U B J E C T I V E.<br /> C'est tout ce que je dis, mais je le dis et le répète ici parce que c'est ce que l'on oublie sans cesse. Ce que nous ne gardons pas en tête de manière systématique.<br /> <br /> Des exemples, il y en a à foison: Si la roue peut être considérée comme un progrès qui ne se dément pas, la voiture est un progrès plus relatif quand engluée dans la stagnation, elle ne nous empêche d'avancer où quand elle nous empoisonne l'air.<br /> Le nucléaire lorsqu'il donne la possibilité de fabriquer des bombes, est-il un progrès ?<br /> Certains laboratoires ont-il contribué au progrès de l'humanité lorsqu'ils ont mis au point et livré certains gaz ?<br /> La guillotine était-elle réellement un progrès ? Dans l'art de tuer proprement ? <br /> J'arrête là, chacun peut comprendre ce que j'exprime là.
R
Merci à Françoise pour ce commentaire de Simone Weil à propos d'Hitler et de sa citation de Mein Kampf : fort instructive.
vive les sociétés modernes - abécédaire
  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Derniers commentaires
Publicité