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vive les sociétés modernes - abécédaire
8 mai 2009

M comme Marché (régulateur ou à réguler) (fin)

II  « Pour ou contre le marché ? »

Tous les économistes vont désormais, peu ou prou, se positionner par rapport à cette question centrale du marché et du libéralisme économique.

En simplifiant trois positions sont possibles:

La première voit dans le marché l’alpha et l’oméga de l’économie, le régulateur suprême qui permet l’allocation optimale des ressources rares grâce aux prix qui orientent producteurs et consommateurs de biens et services marchands.

La seconde, ne relevant que les aspects négatifs du marché, voit ses imperfections comme des tares rédhibitoires et le marché, nécessairement « entropique », ne conduisant qu’au désordre. Elle propose donc de remplacer le marché par d’autres formes de régulation, par exemple celle de la collectivisation des moyens de production et d’échange et la fixation des prix et des quantités par le plan.

Entre les deux, et surtout après les expériences historiques tant des « socialismes réels » que des « capitalismes concrets », d’autres penseurs cherchent à « contrôler » le marché. Comment ? Jusqu’où ? C’est là que les divergences existent. On en est même venu à l’invention du « socialisme de marché » s’opposant au « libéralisme du marché » ou à la formule de Lionel Jospin : « oui à l’économie de marché, non à la société de marché »!

Le marché a d’abord été une réalité physique, géographique, parcellaire répondant à des besoins concrets. Devenu une construction théorique, il s’est heurté aux « durs pépins de la réalité » du fonctionnement des économies réelles. Selon Alain Minc « le marché produit à la fois de l’efficacité et de l’inégalité » mais en outre, et c’est encore plus vrai dans nos sociétés modernes, les imperfections classiques persistent : irrationalité des agents, asymétrie tant des forces que des informations, monopoles ou quasi-monopoles, … et de nouvelles imperfections apparaissent : plus forte dé-corrélation, au moins à court terme, entre les différentes sphères de l’économie (économie réelle, immobilier, finances, investissement, monétaire, devises, …), amplification des phénomènes due notamment à la rapidité des transmissions des données, non prise en compte du long terme, notamment des effets sur l’écosystème, …

Vers toujours plus de marché ?

Entamée depuis l’aube de l’humanité, la longue marche de nos sociétés et de nos économies semble aller vers toujours plus de marché voire vers une « marchandisation » totale de la société. Les vestiges de sociétés « socialistes » comme Cuba ou la Corée du Nord et les tentatives du Venezuela ou de la Bolivie ne changent pas la direction générale surtout quand des « mastodontes » comme la Chine et l’Inde sont passés à l’économie de marché.

Ce marché est aujourd’hui :

-          de plus en plus vaste, aux dimensions du monde et de sa globalisation

-          de plus en plus rapide, quasiment en temps réel, en phase avec l’accélération de la transmission des données et des informations

-          de plus en plus complexe, complexité dans le nombre de marchés, dans la multiplication et la multiplicité des acteurs, dans la quantité et la variété des produits échangés, …et dans l’interaction de l’ensemble

-          de plus en plus immatériel dans les « produits » échangés : des biens certes mais surtout des services, de l’information, de la musique, des titres, des contrats, des dérivés, ….

-          de plus en plus virtuel dans sa localisation grâce aux nouvelles technologies qui permettent à des offreurs et des demandeurs de se rencontrer sans se connaître ; le marché est aujourd’hui « utopique », au sens étymologique comme un lieu sans lieu.

En dépit des crises qui lui sont consubstantielles, le marché a gagné sur le terrain et il est devenu la norme. Mais il n’a pas forcément gagné les cœurs et les esprits, car même dans les situations de prospérité son efficacité est moins perçue que sa tendance à produire de l’inégalité et, bien entendu, dans les situations de crise on dénonce son aveuglement. Comme la crise se déroule dans une économie de marché, la tentation est grande d’en rejeter sur le marché la responsabilité, d’en faire la cause de tous nos maux. Pour résoudre la crise supprimons le marché. Cela fait penser à l’album d’Hergé, le lotus bleu, où un malade mental veut absolument couper la tête de Tintin pour lui permettre de trouver la vérité !

- Certains  veulent « jeter le bébé avec l’eau du bain » et les idées néo-marxistes, remises en France au goût du jour à  la sauce anti-capitaliste par la conjonction du charisme d’Olivier Besancenot et du terreau favorable de la crise, rencontrent un écho assez profond.

- Quelques-uns, peu nombreux et surtout peu entendus, sans prétendre que le marché est la solution miracle et qu'il suffit de lui laisser le temps de s’autoréguler, rappellent toutefois ses vertus, ses mérites et ses succès.

- Le courant de la nouvelle régulation appelle à une régulation forte de l’économie, c’est-à-dire en quelque sorte à la suppression du marché en tant que régulateur principal, le marché n’étant plus qu’un instrument entre les mains des régulateurs. Pour tenter une image : le marché peut être un des moteurs de l’économie mais sûrement pas son pilote.

- Enfin il y a un espace, certes étroit et difficile pour inventer, plutôt que de nouvelles régulations, de nouvelles règles ; car aucun marché ne peut fonctionner sans règles et aucune règle n’est efficace sans une autorité pour la faire respecter.

Chaque époque a besoin de règles pour faire en sorte que dans des circonstances données, techniques, sociales, politiques, géostratégiques, le marché produise le plus d’efficacité et le moins d’inégalité. Chaque époque a besoin d’une autorité pour faire respecter des règles contingentes. Dans un monde globalisé mais où les nations jouent encore un rôle majeur, tout l’enjeu consiste à se mettre d’accord pour fixer de nouvelles règles adaptées à ce nouvel « hypermarché utopique ». Rien n’est moins assuré que d’y parvenir facilement. Il sera encore plus ardu de se donner les moyens de faire respecter les nouvelles règles sans l’existence d’un gouvernement mondial, idée chère à Jacques Attali, et sans l’émergence parallèle d’une « hyperdémocratie » planétaire.

Frédérick VAN GAVER

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Commentaires
J
Les marchandises circulent, les hommes aussi, du moins ceux qui le souhaitent parmi ceux qui le peuvent. Les investissements, les profits et les crises de même se jouent des frontières. Les idées et les informations aussi, et sans doute leur circulation peut-elle moins facilement être entravée par les pouvoirs autoritaires... De là cette impression que nous sommes bien déjà un peu à l'étroit dans les limites de nos Etats et que les régulations et les décisions auraient plus de portée à une échelle européenne, internationale, mondiale...<br /> Reste que je ne vois pas trop comment pourrait être"instituée cette "hyperdémocratie" à si vaste échelle. Nos Etats sont limités et délimités, mais quand ils sont démocratiques, ils fonctionnent sur le principe que ceux qui exercent le pouvoir sont choisis par d'autres, qui auraient tout aussi bien pu l'exercer; ils fonctionnent sur l'idée qu'une souveraineté limitée peut s'exercer sur un territoire qui l'est aussi. <br /> Je ne sais pas si l'abolition des frontières aurait pour effet que d'autres murs soient érigés. Mais je vois dans l'hypothèse de ce "gouvernement mondial" une forme de délégation du pouvoir d'agir à une minorité d'experts, de gens qui savent ou du moins en sont persuadés. On a vu combien l'électorat français (ou slovaque!)se désintéressait de la désignation de ses représentants à un Parlement européen qui lui paraît lointain et doté de pouvoirs bien flous. Que les Etats reprennent le pas sur les fonds de pension et les fluctuations boursières, qu'ils passent des accords, et fassent respecter des règles qui s'imposeraient aux "lois" du marché, soit! Mais un gouvernement planétaire, plus qu'une utopie, me semble être une étrange et peut-être dangereuse vue de l'esprit.
C
A la fin de votre billet, Monsieur Van Gaver, vous écrivez : « Il sera encore plus ardu de se donner les moyens de faire respecter les nouvelles règles sans l’existence d’un gouvernement mondial, idée chère à Jacques Attali, et sans l’émergence parallèle d’une « hyperdémocratie » planétaire. » C'est intéressant mais est-ce réalisable ? Et surtout est-ce vraiment judicieux ? L'idée d'une « communauté mondiale » n'est-elle pas une aberration ? N'est-ce pas une "nouvelle utopie" ? N'est-il pas dangereux de supprimer les frontières ? Ne sont-elles pas les garantes d'une forme de protection ? Ne craignez-vous pas qu'en supprimant les frontières on érige des murs ? <br /> <br /> A propos de l'essence du politique : <br /> Le juriste Carl Schmitt écrivait en 1932 : « Le caractère spécifique du politique entraîne un pluralisme des États. Toute unité implique l'existence éventuelle d'un ennemi et donc la coexistence d'une autre unité politique. Aussi, tant que l'Etat en tant que tel subsistera sur cette terre, il en existera plusieurs et il ne saurait y avoir d'Etat universel englobant toute l'humanité et la terre entière. »
Y
Il me semble que l'autorité d'un État ne peut créer la complexité. Une tentative de création de sa part est nécessairement "simpliste". On le voit bien avec les lois diverses qu'il faut continuellement corriger, compléter, affiner. La Justice exige la complexité.<br /> C'est pourquoi la régulation, qui ne se suffit plus des lois morales qui étaient encore en vigueur chez les fondateurs de l'économie moderne, doit être assurée en aval, dans l'après-coup. La vigilance de l'État se porte sur les institutions qu'il a mises en place pour assurer des contrôles. À l'origine des fautes lourdes et des malversations qui ont déclenché la crise actuelle on trouve la défaillance grave de l'institution de contrôle de la Bourse de New-York.
P
La question "pour ou contre le marché?" n'a de sens, me semble-t-il, que si une régulation par l'Etat est possible: pour être éventuellement souhaitable, il faut d'abord qu'elle soit possible. Mais est-elle possible? C'est ce dont on peut douter, notamment dans les sociétés complexes: "Le contrôle et le planisme ne présenteraient pas trop de difficultés dans une situation assez simple pour permettre à un seul homme ou à un seul conseil d'embrasser tous les faits. Mais quand les facteurs à considérer deviennent si nombreux qu'il est impossible d'en avoir une vue synoptique, alors, mais alors seulement la décentralistion s'impose" (Hayek, "La route de la servitude).<br /> Plus généralement c'est une illusion, toujours selon Hayek, de croire que "puisque l'homme a créé par ses propres moyens les institutions de la société et de la civilisation, il doit être également en mesure de les modifier à volonté afin de satisfaire ses désirs ou ses souhaits". Hayek appelle cette illusion "constructivisme".<br /> (l'impuissance de l'Etat centralisé n'implique pas l'impuissance des hommes)
E
* note préliminaire : le titre de ma première intervention sur cette deuxième partie du sujet sur le marché a sauté; il était :<br /> "A- Donner de l’Intelligence aux intelligences :"<br /> Voici la second intervention :<br /> "B- Au cœur de la problématique :"<br /> .................................................................<br /> <br /> Quelles que soient les règles de fonctionnement élaborées et admises en commun, quand les êtres humains parviendront-ils à suffisamment de maturité pour prendre les décisions en amont du courant des choses, avant les conséquences inéluctable ?<br /> <br /> Quand la communauté des humains arrivera-t-elle d’une manière généralisée, à utiliser ses cerveaux et dépenser ses énergie propres dans un but d'anticipation et de prévention non passionnels, hors du territoire de l'anxio-émotionnel ? <br /> <br /> Les savoirs existent, ils ne sont pas appliqués.<br /> <br /> Les "si l'on avait su" ne devraient plus avoir court dans une civilisation moderne contemporaine ; ils ne devraient plus être côtés en bourse des excuses faisant montre de l'irresponsabilité de décideurs et de contrôleurs. <br /> Voudra-t-on un exemple flagrant ?<br /> Le voici, pioché dans l'actualité qui démontre que la boutade de l'arroseur arrosé a de longs jours devant-elle : <br /> <br /> - Cette « fameuse » grippe (qui nous montre quelle est notre proximité avec les cochons, au moins sur le plan de l'immunologie) où a-t-elle précisément pris naissance ?<br /> - Ne savait-on pas que là étaient réunies les conditions de cette éclosion ?<br /> - Et quand nous sera livré au grand jour, qui exploite la porcherie originaire ?<br /> - Et selon quelles méthodes, avec quelles règles, selon quelles normes?<br /> - Et pour quelles raisons cette poisse qui en a enrichi plus d'un dans ce système sans tête qui mène les évènements, c'est elle produite, crée de toutes pièces de mains d’humains ?<br /> <br /> Si les règles "nouvelles" appelées du vœu des intervenants sur ce sujet révélateur, sont édictées dans le flot du courant des choses se basant sur la réactivité émotionnelle du moment, elles feront chou blanc.<br /> <br /> Ce qu'il faut savoir dénoncer, c'est le fait que comme beaucoup de choses concernant les êtres humains vivant actuellement sur cette terre, le système mondialisé d'organisation des échanges commerciaux est livré à une sorte de mollusque résiduel sans cortex organisé ou, pour reprendre le propos déjà tenu sur la première partie : Un système élaboré sur un mode d'organisation et de fonctionnement de type hyponeurien.<br /> L’organisation actuelle, non systématisé, me paraît non seulement invertébré, mais insuffisamment corticalisé.<br /> Et je dis que dans ces conditions, si nous ne voulons pas en subir les conséquences inéluctable à mon sens, il est grand temps, non pas le recapitaliser, mais de le corticaliser de façon épineurienne.
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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