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vive les sociétés modernes - abécédaire
18 décembre 2008

L comme Laïcité (et patrimoine culturel religieux).

On aborde souvent cette question en songeant aux monuments et édifices de culte, à leur entretien, aux frais occasionnés, aux conditions de l’édification de nouveaux bâtiments.  Ces questions sont importantes, mais deux autres se posent. Voici la première : la laïcité, élément du patrimoine culturel français, n’est-elle qu’une notion qui n’aurait de sens que pour une partie sans cesse restreinte de l’opinion dans un seul pays ? Je n’en parlerai pas ici puisqu’elle est abordée dans les commentaires suivant le premier article… sinon pour redire que je suis convaincu qu’elle a une portée bien plus large et universelle.

La deuxième  porte sur la prise en compte du trésor de mythes, de métaphores, de notions qui nous vient des divers courants spirituels et des diverses confessions. Textes sacrés, commentaires, exégèses… voilà toute une littérature dont la richesse est (ou a été, plutôt?) considérable et nourrit (a nourri) des pans immenses de notre culture, de notre sensibilité. Et que dire des airs liturgiques, de la musique d’inspiration sacrée et de la peinture des icônes, des primitifs flamands ou italiens ? Je place au tout premier plan de mes livres favoris Moby Dick, d’Herman Melville. On peut lire ce chef d’œuvre sans rien connaître de Jonas et du Léviathan, ou se souvenir vaguement d’un type avalé par une baleine. Mais si on lit bien, au début du roman, le sermon sur Jonas si on s’aventure aussi dans le texte biblique, quelles perspectives on s’ouvre sur la façon dont on entend ou refuse d’entre l’appel divin, sur les audaces de la rébellion (temporaire) du personnage ! Et comme elle retient encore plus l'attention, la représentation du monstre marin dans les fresques de la vieille église de Täby, exécutées par celui dont Ingmar Bergman fait le personnage du peintre représentant la peste dans le Septième Sceau !

L’idée d’un enseignement du « fait religieux » est parfois avancée. Mais le fait religieux, c'est que des religions se sont constituées, structurées; qu'on repère, leur organisation, leur histoire, leur pratique, la sociologie et la géographie de leur extension, leur mode de gestion administrative et financière etc... Et c'est là un objet d'étude fort respectable, qui aiderait à comprendre, à prendre du recul, et que les professeurs d'histoire, globalement, semblent les mieux placés pour aborder. Le professeur de philosophie est également fondé à éclairer les différentes formes de la conviction, de la croyance, du savoir, du dogme... Mais le patrimoine culturel religieux, comment en permettre une transmission qui serait profitable à tous et qui ne serait pas d'ordre religieux (orientée, définie, contrôlée, assurée... par des gens de religion qui, dès lors, ne pourraient se dispenser de prosélytisme)? Quelle place donner, dans la culture et la formation (morale, philosophique, politique, esthétique…) à  tous à ces trésors ? Qui, dans le système scolaire peut prendre en charge ce domaine ? Ce patrimoine est mal connu de bien des gens et de bien des jeunes gens; des incroyants, bien sûr, mais même de tant de croyants, pratiquants très saisonniers et peu curieux ou satisfaits de connaissances très formelles et de vulgates rabâchées. On se figure mal le nombre de mises au point, rappels (ou mieux exposés) de notions que peut exiger l'approche en classe de textes, de Pascal par exemple. Et ce, non pas tant sur de sombres histoires de jésuites et de jansénistes (dont il faut souvent parfois préciser que ce ne sont pas des variantes de juifs...) mais sur les notions clés de foi, providence, grâce, monde… que les élèves arborant de discrets signes chrétiens ne connaissent pas nécessairement mieux que d’autres. On s'est attaché à juste titre à tirer parti dans l'enseignement littéraire de ce que permet l'étude des messages publicitaires, de la structure des polars, du traitement de l'information dans la presse, des faits divers... Mais tout ce "patrimoine culturel religieux", tout de même... qu'en fait-on, que peut-on en faire?

Ce qu'ont dit et ce qu'ont à dire les religions compte beaucoup :  dans la sphère privée des croyants, dans la sphère publique (mais séparée) des églises, temples, mosquées et autres synagogues, mais ça compte aussi dans l'espace public. Laisser ce patrimoine culturel religieux à l’abandon ou aux versions réductrices de catéchismes simplificateurs c’est perdre beaucoup et laisser la porte ouverte à bien des sectarismes. Pas question non plus de donner aux dignitaires, institués ou autoproclamés, des diverses confessions  compétence ou droit de regard sur la transmission de ce patrimoine dans l’espace laïque des écoles, musées, conservatoires etc.. Mais puisque la laïque séparation ne mène pas (ne devrait pas mener) au "je n'en veux rien savoir" mais au contraire à l'intérêt pour ce qui passe de l'un à l'autre des deux domaines séparés, il faudra bien que l’on clarifie les objectifs et les moyens d’une transmission, dans l’Etat laïque et par ses soins, du patrimoine culturel religieux

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Jean-Christophe Haglund

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Commentaires
J
Je sais bien que les enseignements, en particulier dans le secondaire, donnent la possibilité aux professeurs d'aborder les questions religieuses. Et que, entre autres, nombreux sont les professeurs d'histoire qui, comme Raphaël Loffreda, prennent en charge d'aider, de manière laïque autant que savante, à la connaissance du fait religieux et à la transmission du patrimoine culturel religieux. C'est d'ailleurs là un argument majeur à opposer aux partisans de la création d'un enseignement nouveau et spécifique, dispensé par des "professeurs de religion" dont l'habilitation ne manquerait de susciter des volontés de formation et de contrôle de la part des diverses églises et confessions.<br /> Mais l'ignorance globale des notions religieuses fondamentales me semble telle qu'il faudrait sans doute que l'école se charge mieux qu'à présent de ce pan du patrimoine culturel et certainement aussi du patrimoine pictural, musical, architectural etc...<br /> Je suis donc partisan d'un renforcement de ces objectifs disciplinaires, tout en sachant que la connaissance du fait religieux, de même que l'histoire des formes artistiques, ne permet pas d'accéder à ce qui est le plus secret, le plus grave, le plus mystérieux, en matière d'art comme en matière de foi. De la même façon que les cours de biologie sur la reproduction ou les commentaires de pages de Freud, certes fort instructifs et éclairants, n'ont jamais mené à comprendre vraiment ce que nous valent les bonheurs de l'amour et l'expérience de la sexualité!Tel n'était d'ailleurs pas leur but, heureusement...<br /> Religion et spiritualité méritent l'attention de l'école. Tout en étant consciente qu'une part essentielle (sacrée?)échappe nécessairement, en ce domaine, à tout enseignement, elle a tout pour en augmenter la connaissance et contribuer à réduire la vulnérabilité des ignorants aux discours des fanatiques.
R
Mais le fait religieux est enseigné dans les collèges et lycées républicains. Peut-être pas assez selon vous, mais tout de même de façon importante et régulière (par exemple au lycée, personnellemen, je passe bien plus de temps à parler de religion que du génocide juif, les deux étant d'ailleurs en partie liés, ou même peut-être des guerres mondiales ; et pas uniquement de manière diffuse). Certes, le temps horaire normalement imparti est relativement faible, mais la liberté pédagogique, qui n'est pas un vain mot, permet aux professeurs d'histoire qui le souhaitent de rentrer dans une véritable analyse historique (et laïque) de la religion (des religions même : grecque, juive, chrétienne et musulmane ; de même que des dérives pour chacune d'entre elles, sauf la grecque).<br /> <br /> Et je ne parle qu'au nom du professeur d'histoire que je suis, sans prendre en compte les cours d'art (pour les filières concernées), de littérature, de philosophie ou bien de langues vivantes ou anciennes.<br /> <br /> Néanmoins, je dois "confesser" qu'il m'est arrivé à quelques reprises (pas si nombreuses que ça) de tomber sur des collègues historiens refusant d'enseigner (ils en ont effectivement légalement la possibilité) le chapitre sur la naissance du christianisme sous prétexte qu'il s'agissait de "catéchisme" (mais n'hésitant pas à traité par ailleurs, sans cas de conscience, des guerres de religion). C'est désolant de la part de personnes qui consacrent leur vie à la transmission, sinon à l'étude, des passés de l'humanité. Mais bon... on n'y peut pas grand chose je pense, et chaque "corps" a ses petits cancers.<br /> <br /> RL
E
Et bien oui, oui, et oui : Une Laïcité conçue, défendue comme elle l'est ici et vécue en tant qu'espace de liberté de penser, d'agir selon ses expériences et convictions sans chercher à les imposer aux autres par manipulations mentales ou violence quelconque voire viol de conscience, une telle laïcité à partager, ici en France que j'aime sans exclusive, je suis pour.<br /> Je suis pour à 100 %<br /> Je suis aussi pour une préservation du patrimoine culturel intellectuel concernant la spiritualité dont il est connu qu'elle peut prendre (sans exclusive), un aspect religieux.<br /> Certes la préservation du patrimoine cultuel (matériel) a son importance, le maintient mémoriel du patrimoine culturel du fait religieux et spirituel « à la française », ne l'est pas moins, mais plus à mon avis.<br /> La promotion de son apprentissage culturel scolaire dans les filières existantes me paraît d'une importance certaine. <br /> Et, quand je vois ce qui se passe chez nos voisins étatsuniens en ce qui concerne l'idéologie créationniste, je me déclare prêt à ma battre pour défendre le type de laïcité dont il est question sur ce sujet.
M
D'accord avec vous bien sûr Monsieur JCH ! La laïcité est la meilleure garantie des religions ! c'est ce que j'expliquais un jour à un copain chilien qui me disait au début des affaires du voile: mais est-ce si grave ? pourquoi ne pas laisser les gens faire ce qu'ils veulent ? (c'était l'opinion de beaucoup de jeunes de gauche à ce moment là.) D'abord je pensais narquoisement en moi même, tiens c'est bien un mec, et puis je lui racontais comment en France c'était fait, on avait déjà payé dans les familles, que mon arrière grand-père, instituteur en Ardèche en 1905 à l'école publique, et, manque de bol pour lui, croyant et pourtant pas prosélyte (il avait la religion de son métier), était obligé de prier chez lui le dimanche, tourné ves l'église, car il avait été déjà sacqué, envoyé dans des trous en haut de montagnes parce que catholique(j'ai même dans mes archives une lettre du rectorat de l'époque qui y fait explicitement allusion). Et on ne va pas maintenant retourner en arrière ! Et, ma foi, ses descendants dont je suis trouvent que cette laïcité, elle est très bien ! Bien sûr que c'est le bon sens !<br /> Maud
J
J'accorde bien volontiers à Marie-Hélène que mes convictions (laïques)ne vont pas sans traces de désarroi. Oui, je suis inquiet que puisse se perdre l'accès à des notions, à des oeuvres, à du sens... que puisse se perdre un patrimoine culturel religieux, ou, plus largement, spirituel. Mais c'est là un enjeu (particulier, ou particulièrement important?)pour ce qui, dans nos sociétés, opère la transmission, et, au premier chef, l'école. <br /> Je ne vois pas dans ce qui menace cette transmission l'effet du triomphe de la laïcité mais bien plutôt l'effet de la sécularisation, lié à la valorisation extrême d'autres notions hédonistes, générationnelles et divertissantes. On s'accorde désormais, du moins dans ce pays à reconnaître que penser le sens n'est plus l'apanage des seuls gens d'église. Mais les visages de l'obscurantisme sont multiples; il peut, dit Pena Ruiz, "prendre la forme d'une vénération sans mesure de la "société civile", dès lors que les exigences de la pensée criique y sont comme noyées dans la mystique du marché, ou étouffées dans le tintamarre audiovisuel d'une communication ivre de ses propres prouesses" (Dieu et Marianne)<br /> <br /> Les échanges entre Eric Delmas et Yves Leclerc portent plutôt sur la possibilité de la transmission de l'expérience spirituelle et pourraient sembler s'écarter du thème que j'ai abordé. Pas tant que ça, en fait!<br /> J'ai évoqué l'intérêt des apports que différents savoirs et disciplines (sociologie, démographie, histoire, droit...)pourraient consituer pour une meilleure connaissance du "fait religieux", connaissance qui aurait au moins le mérite de ne pas borner le discours sur les religions aux seuls propos des clercs, gourous et autres prosélytes. Mais ces approches du fait peuvent être bien réductrices et scientistes... <br /> On a (j'espère...) fini par comprendre qu'il est absurde d'étudier le théâtre sans assister à des représentations et qu'il serait meilleur encore de participer à des séances de travail théâtral. Impensable de former à l'amour de la musique sans donner la possibilité de l'entendre ou de la jouer! Caricaturale serait une histoire de l'art infligée à ceux qui n'auraient jamais vu les oeuvres, etc... <br /> Pour la nécessaire transmission du patrimoine spirituel par l'école (et par le biais des disciplines actuelles sans qu'il soit besoin d'en rajouter une autre), c'est certainement un grand défi que d'envisager de favoriser la connaissance sans passer par l'expérience vécue de la foi. Sur cet aspect de la question et sur le sens de la laïcité, je renverrai volontiers aux réflexions de Guy Coq dans Laïcité et République (Editions du Félin, Diff Sodis. <br /> Voilà un auteur qui s'affirme chrétien et soutient que, par delà la spécificité de l'histoire de France, la laïcité est un principe de portée universelle, solidaire de la modernité démocratique: je lui laisse sa foi, que je respecte, mais je partage sa conviction!<br /> J-C Haglund
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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