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vive les sociétés modernes - abécédaire
23 novembre 2008

K: Du Kitsch, du Kawaii (notes sur le paradis perdu) 2/3

La magie, le rituel de l'art ne s'en remettra jamais.
Le Kitsch donne plus. Il donne trop. Il pense offrir au monde. Il songe au public, répond à une attente. D'une petite chose, il obtient une grande plus-value sentimentale.
L'artiste est celui qui trouve des solutions. Le Kitsch copie ses solutions, les chromolithographie, préfère. Il voudrait qu'on oublie l'art et qu'on ne pense qu'à lui. La lampe de chevet-Tour de Pise éclaire et en plus rappelle un voyage. Au reste, l'art est trop fort dans sa forme, son propos, son concept, son génie, sa présence ; le Kitsch lui ôte donc tout aura afin que tout le monde en profite sans faire de chi-chi.

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Lohengrin, héros bariolé dans sa panoplie de légendes, de contes, de mythologies, d'hagiographies, de Louis II de Bavière.

Le Kitsch n'est pas un art mineur.
Le Kitsch ne critique pas, n'a pas intérêt. Il veut participer.
Le Kitsch n'est pas un manifeste.
Le Kitsch ne comprend pas pourquoi à l'époque de sa reproductibilité technique, l'œuvre d'art doive rester unique et vaille si cher.

Le Kitsch dit c'est beau parce que je le trouve beau. Il a son goût à lui, personnel, intime. Défendable, parce que comme l'avoue Rosanette à Frédéric "ça rappelle des souvenirs", ou comme le hasarde Louise, devant un déversoir à Nogent : « C’est comme le Niagara ! », qu'elle ne connaît pas. Indéfendable, parce que, au même motif, ce sont des sentiments empruntés, des idées reçues.

C'est la musique d'André Rieu, celle de Waldos de los Rios interprétant l'Hymne à la joie avec guitare électrique.
Il y a un Kitsch littéraire, architectural, chorégraphique, pavillonnaire.

Le Kitsch sidère, effare, inquiète, suscite des colloques.

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Sérénade (coll. particulière)

Souvenirs de quoi ? D'Andalousie ? D'une nuit ? D'une situation éprouvée ? De Roméo et Juliette ? Plane la réminiscence de l'Annonciation. Leur position respective (lui debout, elle assise, abritée), le potelé diaphane de leur peau, leur regard ailleurs, nulle part, disons, angélique, la fleur de lis-guitare, l'instant, plaident pour l'amour éthéré. Il faudrait faire un sort à la guitare tendue du barde espagnol comme à ce chemin en zigzag ou à cette maison au toit solidement rouge, mais la nuit est trop belle, la taille trop fine et les ombres trop voluptueuses.
Comme dans les chromos publicitaires (Liebig, Au Bon Marché, Nestlé…), les images pieuses ou les photos composées pour calendrier, l'idéal de la situation présentée rejoint la leçon de choses : la vérité excédentaire d'un sujet a été nivelée, gommée pour gagner en vertu pédagogique. Ainsi, cette Sérénade, après la scène du premier regard mais avant l'étape du premier baiser, voici la romance au clair de lune. Le Kitsch est oecuménique.

Le Kitsch fuit le déplaisir qu'il y aurait à constituer une vision du monde satisfaisante pour quelques-uns seulement ; il vise une totalité. Autodidacte, il simplifie, transforme le percept de l'œuvre d'art en sensation prête à l'emploi, devance l'attente du public.

Le Kitsch a compris très tôt, avant même la rupture entre l'Académie et l'Art moderne, qu'il fallait, plus qu'un objet précis, par n'importe quel moyen, sur n'importe quel support, sauver une catégorie qui n'intéressait plus : le Beau, valeur entre les valeurs, et dont il pouvait se prémunir par la suite, vis-à-vis de tous les jugements. Esthétique (c'est moche), économique (oui, mais c'est moins cher qu'un vrai Michel-Ange), théologique (Christ sulpicien plus crédible que le Christ roman ; en tout cas, je me sens mieux avec), technique (c'est du bricolage (oui, mais c'est pas cher)).

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Le Kitsch fait feu de tout bois, avale tous les arts, porte secours à tous les objets. C'est un art du plein.
Le Kitsch voudrait qu'on le laisse tranquille. Il a tout, n'a besoin de rien.
Le Kitsch a une stratégie commerciale et sentimentale à courte vue.

Peut-être conviendrait-il de ne considérer les objets kitsch que comme des produits dérivés. À l'instar de la finance, auquel appartient le terme, il permet avant tout une transaction. Quelques pièces pour un rêve.

Le Kitsch dit ne me jugez pas, aimez-moi. C'est difficile.

Le Kitsch est sentimental, toujours sentimental, absolument sentimental. Ce qui touche dans l'objet kitsch est la conscience d'avoir été touché. L'objet kitsch dérive donc surtout d'une volonté de capter vite le désir qui passe.
Le Kitsch voudrait que tout soit comme avant. Un paradis perdu saturé de créatures presque neuves où le désir remplace partout le jugement. Parce que le désir ne ment pas.
Avant quoi ? Toujours avant. Comme avant est le concept d'une époque révolue, indéfinie. Une période où jouets, objets, œuvres, outils, brillent de leur simple présence, sans relations, sans hiérarchies, sans noms, se découvrent au regard dans une égalité idéale et à portée de main : faut-il s'amuser avec, s'en servir, les poser puis les regarder, les toucher, ne pas les toucher ?

Oui, on peut toucher. Cette capacité haptique du Kitsch s'oppose à l'art contemporain. On ne touche pas les œuvres d'art.

Le Kitsch vise l'idyllique, un en deçà de l'humanité sociale sans bien ni mal, sans langage et, partant, sans critique.

Le Kitsch œuvre dans l'éblouissement. Les matériaux employés souvent poreux ou mats nécessitent l'adjonction de vernis pour faire étinceler le merveilleux, obtenir une sacralisation à peu de frais. À défaut, les peintures sont mises sous verre, les objets sous vitrine. Le globe de la boule à neige protège et resplendit. La céramique en petits formats coalise l'idéal de l'objet éclatant que les possibilités de production de masse, dans la seconde moitié du XIXème siècle, répandent à l'envi.

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Le Kitsch veut dire ersatz. Il utilise le concret, veut le concret, dans ses représentations, dans sa facture et dans sa présence. Cependant qu'il ne vend que l'absence, le manque. Faux, simulacre, tape-à-l'œil, il a soustrait du haut lieu touristique, de l'événement (le Kitsch aime les jubilés) ou du musée, une sorte de monstre édulcoré, déclinable en série, plus accessible, plus petit et qui prend donc moins la poussière. Par ailleurs, que garder d'une visite, que peut-on emporter d'un lieu ? La carte postale se montre souvent bien insuffisante à commémorer.

Le Kitsch finit par être aimé, au second degré.

(à suivre)

-

Alain Sevestre, auteur (notamment de L’Art modeste : notes sur la croûte, éditions Gallimard). 

- 

Ps : pour collaborer à cet abécédaire:   pierre.gautier75@wanadoo.fr

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Commentaires
B
"Je rejoins le point de vue de Brigitte: le Kitsch ne doit pas faire peur, il doit faire plaisir"...<br /> <br /> Rrrreeeuh!,Je n'ai jamais dit ça!!!C'est un contre-sens!<br /> D'ailleurs,le kitsch ne doit rien du tout!<br /> Moi,il me fait bidonner!!!<br /> Maintenant,si on a tous quelques reliques ringardes à valeur symbolique,no probléme,mais pourquoi un concept inutile qui a plus d'implication marchande ou snobinarde que d'essentialité pertinente!<br /> Quant à l'analyse du kitsch dans un cadre spécifique(aspect conceptuel du kitsch dans un but historique...),je respecte tout à fait!<br /> <br /> Bon,vivement la lettre L...
J
Dans l'attente fébrile de ce qui nous sera révélé sur le Kawaï (Qu'es aco? ou, mieux, Kézako?), je me délecte à la lecture de ces billets illustrés, énigmatiques et jubilatoires. Fait notable, ils tranchent avec la forme, souvent savante et dissertante, de la plupart des autres articles de l'abécédaire. Serait-ce que l'objet abordé commandait une écriture différente? En tout cas, ils ont également entraîné une tonalité différente des commentaires, davantage porteurs d'indications subjectives et personnelles. <br /> Et je ne dérogerai pas en évoquant mon ébahissement à la vue d'une boutique proposant, près de la basilique d'Assise, divers objets aux chalands. Entre autres, toute une série de sujets en verre filé dont, évidemment, toute une panoplie de bondieuseries mais aussi des figurines de nonnes en folie, de moines et de médecins paillards, avinés et priapiques, le clou étant un ensemble de pièces pour un jeu d'échecs classé X! Cohabitation cocasse de souvenirs particulièrement Kitsch... Venu pour les fresques de Giotto, je n'ai acheté aucun de ces souvenirs de très mauvais goût et, quelque part, je regrette d'avoir donné la priorité au goût de l'Art et à la lucidité devant la dépense!<br /> Mais si, très raisonnablement, je reviens à l'idée que cet abécédaire est celui des sociétés modernes et non des modes, je m'interroge sur ce qui me semble bien paradoxal. Si la modernité, c'est aussi l'extension de l'ambition éducative, le souci de démocratisation de l'accès aux ouvres d'art, comment comprendre cet engouement pour le stéréotype, la laideur et la vulgarité du Kitsch? Certes, on le tourne en dérision, on le prend au second, troisième ou xième degré... mais visiblement on le prend en considération, on le collectionne et on le valorise. Les sociétés modernes seraient-elles celles de la production en masse de la camelote? Quelque tendresse affectueuse qu'on puisse avoir pour des objets kitsch du moment qu'ils nous amusent ou qu'ils nous parlent, serions-nous prêts à assumer un relativisme culturel selon lequel, finalement, tout se vaudrait, des images pieuses et les vitraux de Soulages, les chatons du calendrier des postes et les animaux de la grotte de Lascaux?<br /> La (saine) méfiance vis-à-vis de la notion de (bon) goût nous mènerait-elle à de tels aboutissements?
R
"Auteurs et spectateurs y trouvent la réparation de leur sentiment d'impuissance, de leur fragilité. Les personnages sont invulnérables, immortels, surpuissants,d'une jeunesse éternelle. Le rêve, quoi!" Cette citation d'Yves Leclerc, sortie de son contexte, me fait immédiatement penser à la statuaire grecque et romaine : des Dieux et des rois hellénistiques ou empereurs romains (dont on ne change parfois que la tête, pour des questions d'économie et parfois de temps) imberbes, forts et virils... Un de mes vieux professeurs d'histoire grecque, lors d'un cours sur Asclépios en était venu à comparer les deux modèles des Dieux aux personnages de Tintin et du capitaine Haddock : la jeunesse imberbe et insouciante ; la barbe de l'expérience et de la sagesse. Comme quoi même à la Sorbonne on sait s'évader !<br /> <br /> Mais ces statues, majestueuses dans leur marbre, étaient me semble-t-il souvent peintes, et certainement dans une polychromie tape à l'oeil ! Alors, des empereurs à la tête interchangeable et aux chairs roses fluo (ne me dites pas que j'exagère, vous n'y étiez pas non plus : rêvons) : un art consommé du Kitsch ?<br /> <br /> Plus sérieusement, la fabrication d'innombrables petites statuettes de divinité ou de souvenir (relisez Astérix chez Cléopâtre) était un art artisanal déjà développé dans l'antiquité. Je vous le dis : nous n'avons pas inventé grand chose !<br /> <br /> RL
Y
Cette question contient sa réponse, le désir de l'homme, son animisme primaire.<br /> Provoqué par ce conte qui fait d'un adjectif péjoratif un Père Noël qui offre à chacun l'objet de son désir, j'ai exploré ma mémoire à la recherche de mon propre animisme. Enfin, son épitaphe, car je l'ai tué il y a longtemps.<br /> Comme je n'ai rien trouvé, j'ai cherché quels objets auraient pu avoir une fonction "Kisch" pour moi(il ne viendrait sûrement pas à l'idée de notre auteur de les classer dans cette catégorie.).<br /> Il y a eu les timbres et les cartes de géographie, qui m'ont fait parcourir des kilomètres imaginaires. Faire quelques vrais voyages par la suite m'en a guéris.<br /> Il ne m'en reste qu'un que j'ai acheté sciemment pour remplir cette fonction: un soi-disant biface paléolithique. Le barbu qui vendait ça aux puces de Saint-Ouen en avait une pleine caisse.<br /> Je savais bien qu'ils étaient faux, que des étudiants en archéologie sont rompus aux techniques de la taille Levallois.<br /> Mais je n'espérais pas en trouver un vrai aux alentours de la Place Blanche.<br /> J'ai acheté, à l'occasion de voyages, d'autres faux: en Égypte, au Maroc(les fameuses géodes de Marrakech). Mais j'étais admiratif de l'art des faussaires. Ce n'était pas vraiment Kitsch.<br /> Je rejoins le point de vue de Brigitte: le Kitsch ne doit pas faire peur, il doit faire plaisir.<br /> L'animisme moderne s'exprime aussi dans ces arts nouveaux que sont la bande dessinée et le dessin animé*. Auteurs et spectateurs y trouvent la réparation de leur sentiment d'impuissance, de leur fragilité. Les personnages sont invulnérables, immortels, surpuissants,d'une jeunesse éternelle. Le rêve, quoi!<br /> <br /> *Au dessus de tous, "Qui veut la peau de Roger Rabbit?" de R.Zemeckis.
B
On retient sous souffle...dans l'attente du 3/3...
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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