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vive les sociétés modernes - abécédaire
27 mai 2008

I comme Imagination (du futur)

Promenade avec quelques auteurs post modernes.

Dans son dictionnaire historique de la langue française, Alain Rey souligne que la répartition des emplois entre les termes « avenir » et « futur », a été modifiée à partir des années 1960, au bénéfice du second. Les deux termes proviennent tous deux du latin « futurus », l'un par l'étymologie, l'autre comme traduction traditionnelle du premier. "Futurus" est le participe futur de esse « être », qui repose lui-même sur une racine indoeuropéenne bhewe, bhu- « croître ». C'est, sous l'influence de l'anglais future, lui-même objet d'un emprunt dans l'expression no future « pas d'avenir », que cette modification a eu lieu .

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Pourquoi, en France, aujourd'hui, au 21e siècle, suis-je portée à imaginer le futur (qui relève de la seule croissance) plutôt que l'à-venir (imprévisible)?

Je vis dans un monde dominé par une culture « post moderne » (J.-F. Lyotard) qui incite à ne plus croire aux grands récits explicatifs de l'histoire collective. Je suis portée au « désenchantement » (M. Weber) et au scepticisme lié à « la mort de Dieu » (F. Nietzsche) et à la « mort de l'homme » (M. Foucault). Je suis entrainée à ne plus espérer les lendemains qui chantent, à ne plus imaginer un monde meilleur à venir.

Parce que cette culture dominante est indifférente au sens de l'histoire, parce qu'elle ne valorise plus les êtres humains comme décideurs et acteurs de l'orientation de leur histoire, parce qu'elle vante le « c'est mon choix » individualiste et égocentré, je suis invitée à substituer au « principe Espérance » (E. Bloch) fondateur de l'imagination utopique, le « principe Responsabilité » (Hans Jonas), fondement de l'anticipation du futur.

La culture postmoderne exhorte à dénoncer l'idéal universaliste de la modernité, celui de l'invention et de la construction de connaissances, de savoirs, de représentations valables pour tous.

Je suis incitée au relativisme du « à chacun sa vérité ».

La mondialisation économique, celle de la « com » (sans communication), celle des techniques de l'information (sans instruction) tisse une culture « unidimensionnelle » (H. Marcuse) ; celle, anonyme, qui, progressivement, contribue à me faire perdre la diversité de mon identité, à oublier la complexité de ma personnalité ; celle, aussi, qui m'encourage à afficher mes « racines », à me comporter comme « ceux de chez moi » (de ma bande, de ma communauté, de ma région, de ma religion, de mes « origines »). Je suis conviée à faire valoir l'éloge des différences et à pratiquer la tolérance plutôt que le respect de l'autre.

Cette culture peut me « déprimer » au sens où elle induit cette sensation que  vouloir « transformer le monde et ne pas se contenter de l'interpréter » (Marx) est non seulement une illusion, celle de mes ancêtres modernes, mais une mystification. Cette culture nihiliste n'oriente pas ma volonté de puissance, ma force vitale, vers l'Idée d'un dépassement de soi par l'alliance avec quelque chose qui me transcende.

Qui plus est, puisque notre terre est  intrumentalisée par une « raison barbare » (J. Habermas) qui organise, à une échelle de masse, des crimes contre la biosphère et sa corrosion, et des crimes contre l'humanité et le ravage de la civilisation humaine, comment, sans me mentir à moi-même, puis-je désirer imaginer l'avenir ?

Mais perdre ses illusions,abandonner sa naïveté n'exclut pas, 40 ans aprés Mai 1968..., de « continuer le combat ». Soyons « nostalgiques-utopiques » (M. Löwy) : refusons la table rase du passé de l'utopie défaite...et imaginons le futur probable de notre civilisation qui multiplie et « accélère la production des accidents » (P. Virilio), des catastrophes naturelles, des dégâts du progrés industriel, des détériorations technoscientifiques de notre univers.

Alors savoir que nous pouvons nous instruire en « catastrophistes éclairés » (J.-P. Dupuy), c'est savoir que nous pouvons apprendre à affronter une situation inédite :prévenir le probable. Et c'est savoir qu'il est souhaitable d'éduquer enfants et petits enfants et à rêver l'avenir et à imaginer le futur.

Edith Deléage-Perstunski (philosophe)

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Commentaires
Y
Je vous remercie de votre réponse. Prévenir le probable est finalement une pratique ancienne. Nous avons traversé, entre 1939 et 1945, une catastrophe parfaitement annoncée, que les responsables du monde, non soutenus par leurs peuples, insouciants ou accaparés par leurs petits problèmes du jour, n'ont pas pu empêcher.<br /> La suivante, également annoncée (la guerre est-ouest), put , par contre, être évitée. Les armes de destruction massive, partagées, furent heureusement dissuasives...et le restent.<br /> Aujourd'hui, c'est la nature, malmenée par l'homme, qui pourrait, selon les interprétations, nous lâcher ou se venger.<br /> Rien, autour de moi, ne me donne à penser que ces prédictions sont mieux entendues. La prophétie est un métier frustrant! Le seul effet que je constate, c'est le développement (comme toujours) de haines envers l'autre, chargé des sacrifices à faire, et qui ne s'exécute pas.<br /> Cette prochaine catastrophe sera-t-elle la bonne, ou la pire, selon les points de vue divergents des futurologues? Ou une solution, préventive et curative à la fois, sera-t-elle trouvée?<br /> Les Mayas, quand ils construisaient une ville, savaient-ils qu'ils devraient un jour l'abandonner? <br /> Nous, nous savons, mais nous persistons.
E
Réponse à Y.L.<br /> «  Prévenir le probable », c'est là une expression qui renvoie au mode de penser « catastrophiste éclairé », selon les termes de Jean Pierre Dupuy. C'est le mode de penser que proposent des scientifiques « lanceurs d'alerte »,quel que soit leur domaine de compétence.<br /> Ce mode de penser est aujourd'hui nécessaire parce que nous vivons une « situation inédite »(Michel Serres) : l'humanité est devenue capable de s'anéantir elle même et de détruire la terre qu'elle habite, soit directement par les armes de destruction massive, soit indirectement par l'altération des conditions nécessaires à sa survie.<br /> Alors il s'agit de penser les situations à venir , non plus en termes de risques possibles à évaluer, mais en termes de catastrophes probables à affronter.<br /> Prévenir le probable n'est-ce pas un mode de penser qui a valeur aussi sur le plan de l'histoire individuelle? Ne sentons-nous pas,en certaines situations, qu'une catastrophe à venir dans un futur immédiat, doit être pensée comme probable, donc au présent, pour qu'elle puisse être évitée ?<br /> <br /> Réponse à P.G.<br /> En effet la conscience comme quoi il est illusoire pour soi de penser , et mystificateur pour les autres de faire croire que l'histoire a un sens (une signification et une direction),est, au premier abord , une conscience nihiliste et déprimante .Mais elle peut devenir stimulante, car avec cette façon de penser , je me fais confiance tout simplement pour choisir l'orientation de mon existence à venir.<br /> <br /> Edith Deléage-Perstunski
R
Une interprétation psychanalytique intéressante des contes est celle qui les interprète comme un moyen pour les enfants de maîtriser leurs angoisses, leurs peurs profondes, par le biais de la connaissance de ce qui est à venir. Voilà pourquoi ils nous demanderaient sans cesse de leur relire les mêmes histoires : parce que cette terrible sorcière, qui se tapie dans les profondeurs de la nuit ou d’une quelconque forêt, qui cherche à dévorer les petits Hansel et Gretel, et qui les fait tant trembler, ils en connaissent par cœur, au mot près, ce qui va lui arriver. Rejouer l’histoire terrible, surmontée grâce à la fin connue, est essentiel dans le processus de maîtrise des peurs tripales, et de la constitution d’une morale simple (bien/mal, qui perd bien sûr).<br /> On atteint là une quintessence dans la maîtrise de ce qui n’est pas encore.<br /> <br /> Raphaël Loffreda
R
Avant la lente disparition des dieux païens, les hommes avaient accès à l'avenir : les vols d'oiseaux, les entrailles d'animaux leurs parlaient. Signes divins. Car le divin était sur terre, dans les songes, omniprésent et déchiffrable (certes par des spécialistes). Dans ces temps pullulant de prophéties, il était de bon ton que certaines d’entre elles se réalisent, pour la plus grande gloire de son bénéficiaire. Comment ? Simplement en « antidatant » les révélations de quelques siècles ou décennies… (procédé courant de la part des « pharaons » indigènes rebelles dans l’Egypte ptolémaïque par exemple). Enchantement du monde et perméabilité des temps.<br /> <br /> Avant la rationalisation du monde (dont le début est très difficile à dater précisément), le christianisme a fermé aux hommes les desseins divins, non sans promouvoir un sens à l’Histoire, celui de précisément de la Providence (c’est Joachim de Flore, abbé puis ermite de la fin du XIIe siècle, qui a décrit le premier les trois âges de l’Histoire : du Père, l’Ancien testament, du Fils, le Nouveau testament ou temps présent, de l’Esprit-Saint, à venir, prochainement bien sûr). Nombre de ceux, qui se sont aventurés à interpréter Sa parole ont été persécutés par ceux-là même qui la gardaient jalousement. Le divin avait été « dit » une dernière fois, et basta ! Désenchantement du monde et imperméabilité des temps.<br /> <br /> Pas si simple. Les périodes de fortes angoisses, particulièrement lorsque celles-ci sont de nature eschatologique, sont grandement productrices de prophéties. Du temps de Nostradamus comme du notre d’une certaine manière. Ces scientifiques du futur avaient dans la plupart des cas la volonté de pousser les hommes à bien se comporter, à respecter les préceptes moraux et sociaux édictés par l’Église : à vivre pleinement leur présent. Par ailleurs, sous le mythe récurrent de l’éternel retour, il y avait dans ces prophéties la volonté manifeste de maîtriser cette angoisse (fondamentalement liée au Salut). Je préciserai ainsi que même (et surtout) ce célèbre « pronostiqueur » prenait bien soin de ne rien prétendre « qui soit contre la vraie foi catholique ». Dieu vous surveille mes enfants ! Et devant ce qu’il faut bien appeler un succès, les pouvoirs de la Renaissance, pape comme roi, ont tôt fait de surveiller de très près ces almanachs et autres œuvres d’astrologiens.<br /> <br /> Avant le temps de l’individu, a été celui dit « rationnel » des grandes avancées scientifiques et politiques (j’entends par là la constitution d’idéologie propre à fournir un avenir meilleur en agissant activement et rapidement dans le présent par des moyens politiques et/ou économiques. Cf commentaire de Pierre). « L’opium du peuple » ne devait plus se respirer, et la maîtrise du futur redevenir humaine. Dans certains cas extrêmes, mais courants, on peut même dire que les hommes créent par leurs seuls fantasmes le futur : ainsi dans le cas des « prophéties autoréalisatrices » boursières (panique collective car tout le monde croit à une chute brutale des cours, donc vente, donc chute brutale des cours…). Réenchantement du monde ?<br /> <br /> Avant le temps de demain, il y a maintenant. Celui pour lequel j’ai le moins de clés de compréhension parce qu’il me déborde, parce que je m’y noie, parce qu’il appartient aux spécialistes de tout poils qui segmentent et « privatisent » en quelque sorte sa compréhension, au point de la rendre indicible à presque tous. Il y a ce présent qui ne m’offre guère d’avenir que celui de vivre ma vie, ou bien de croire, à condition de fermer suffisamment fort les paupières pour ne plus me brûler les yeux, à un quelconque avenir collectif…<br /> <br /> Raphaël Loffreda
Y
La faillite du sens de l'histoire, et pour beaucoup d'occidentaux, de celui que donnaient les religions, nous rabat sur la "construction" de notre vie personnelle (nous et nos relations, horizontales et verticales). <br /> C'est peu et c'est angoissant.<br /> N'y a-t-il aucun moyen de prendre en compte un ensemble plus large composé "d'autres", sans lien particulier avec nous?<br /> Il me semble que nous pouvons agir en sorte que nous gardions dans le futur nos libertés, les qualités chèrement acquises de notre vie, la capacité de vivre pacifiquement avec nos semblables, proches ou lointains. <br /> Comment parvenir à ce but sans utiliser l'outil de LA politique?<br /> Qu'importe qu'elle n'ait pas de sens, quelle soit une navigation à vue, sans boussole!<br /> Nous sortons d'un monde qui nous paraissait aller dans une direction, bien que tous les calculs et les extrapolations ne se soient pas vérifiés. Nous sommes maintenant convaincus que la fin de ce monde est proche, et beaucoup veillent à ce qu'on en imagine aucun sauvetage.<br /> Pourtant! Ce n'est pas la première fois que le doute et l'angoisse saisissent l'humanité.<br /> La conviction répandue que l'humanité a couru à sa propre perte est une variante de l'orgueil qui l'accompagne depuis qu'lle a émergé du monde animal (nous nous sommes unanimement considérés comme le chef d'oeuvre du ou des créateurs!). <br /> Il ne semble venir à personne l'idée que cette interprétation du présent pourrait être une erreur. Elle est devenue au contraire la Vérité. Est-ce qu'il y a vraiment perte du Sens? Il a seulement changé de contenu Ses nouveaux prêtres sont parmi nous.<br /> La Raison qui nous a permis de nous affranchir de la vague précédente est elle vraiment inutilisable?
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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