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vive les sociétés modernes - abécédaire
31 mai 2008

I comme Impunité ("cause de tous les relâchements"?)

 

Pour les penseurs des Lumières, le pire en matière pénale c'est l'impunité. Il est nécessaire que tout crime (1) soit puni. C'est d'ailleurs l'une des raisons principales qui amène ces penseurs à rejeter les peines extrêmes: on hésite à appliquer une peine excessive (« l'atrocité même des supplices fait naître l'impunité » écrit Beccaria).

Si l'impunité est dramatique, c'est en raison même de la vocation des lois pénales, qui n'est pas de « punir les crimes mais de les prévenir », qui est de « donner des moeurs et non d'infliger des supplices » (Montesquieu).

 

Ce qui signifie:

1/ que l'objet des peines est moins le passé (punitur quia peccatum est) (2) que l'avenir (punitur ne peccetur) (3)

2/ que le destinataire des peines est moins le délinquant que l'ensemble de la population; non pas simplement pour la protéger des criminels mais pour la dissuader de le devenir.

 

Autrement dit les peines sont là:

en partie pour sanctionner le délinquant;

en partie pour lui ôter le goût de recommencer (peu y croient toutefois au 18e siècle);

mais surtout pour empêcher qu'impuni il serve d'exemple aux autres.

Leur vocation est pédagogique: elles doivent contribuer à « donner des moeurs » car elles sont l'incarnation des lois. Dès lors, ne pas punir celui qui a violé une loi c'est peut-être faire preuve de mansuétude, mais c'est surtout commencer à répandre le bruit que cette loi n'existe plus, ce qui revient donc à corrompre les moeurs quand il faudrait en donner. La peine peut être modérée, « douce », mais elle doit être: « Qu'on examine la cause de tous les relâchements; on verra qu'elle vient de l'impunité des crimes et non de la modération des peines. » (Montesquieu); on a bien retenu le principe de modération, moins bien celui de non impunité qui lui donne pourtant tout son sens.

 

Notre principe de l'individualisation des peines (parfaitement étranger aux Lumières ainsi qu'aux réformateurs de la Révolution pour lesquels il n'aurait pu être que synonyme d'arbitraire) constitue sans doute un très grand progrès: il témoigne d'une société et d'une justice qui ont reconnu dans le criminel un être humain, qui s'inquiètent de son sort, et qui, en le punissant, cherchent aussi son éventuelle réhabilitation. Immense progrès moral; mais qui ne doit pas nous faire oublier que les décisions pénales sont aussi des messages adressés à l'ensemble du corps social et que l'impunité est un message inaudible et qui brouille les repères.

Rappelons que dans notre droit une décision de justice doit non seulement être juste mais apparaître  comme telle aux yeux de tous: comment pourrait-il en être ainsi de l'impunité?

Pierre Gautier


1 Au 18e siècle la notion de crime a un sens très large qui comprend à la fois nos crimes et nos délits.

2« il est puni parce qu'il a commis une faute », principe de la pénalité rétributive.

3« il est puni pour qu'il ne soit plus commis de faute » (et non simplement pour qu'il ne faute plus), principe de la pénalité utilitaire prônée par les réformateurs du 18e siècle.

 

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Commentaires
Y
L'opinion publique (et politique) a eu "tout faux" sur cette affaire, parce qu'elle n'a vu que son aspect formel, juridique. <br /> Sur quoi reposait ce mariage? Même pas sur une communion identitaire, semble-t-il, puisqu'il concernait un converti et une musulmane par héritage. Le zèle du converti lui avait fait placer la barre au plus haut. L'amour pour cette femme ne pesait pas lourd, s'il existait.<br /> Quant à l'épousée, qu'attendait-elle de ce mariage? Quelle image avait-elle d'elle même? <br /> Son mensonge l'a indirectement sauvée de bien des désagréments. Un amour aussi conditionnel n'est pas de bon pronostic.<br /> Le jugement d'annulation lui a rendu sa virginité civile. Elle pourra prendre le temps de mûrir.
E
Soyons attentifs à un risque de notre civilisation: que la loi dérive en régle( de communauté ou de confort individuel) :cf le"fait divers" de l'annulation du mariage pour cause de non virginité.<br /> E.D.P.
R
En Europe occidentale, jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, la justice, exemplaire dans sa violence déployée (ritualisée à l'extrême), avait une fonction essentielle de châtiment. C'est à dire punir le coupable plutôt que le crime ; il s'agissait ainsi d'affirmer le pouvoir, en en rendant visible toute l'étendue. Comme il a été dit, les Lumières, Beccaria en tête, ont insisté sur les vertus pédagogiques d'une justice plus individualisée et douce: agir avant tout sur le crime, et rétablir l'ordre.<br /> Les révolutionnaires français ont été sensibles à cette interprétation de la justice, et même jusqu'à celui qui symbolise la Terreur. Robespierre avant de prendre le pouvoir s'était effectivement vivement opposé à la peine de mort estimant qu'elle était contreproductive en suscitant de la compassion vis à vis du condamné et en faisant perdre à ceux qui assistent à de nombreuses condamnations répétées le coût de la vie humaine.<br /> D'où est venue cette parodie de justice pendant les années 1793-1794 ? Essentiellement de l'appréhension d'un contexte tout autre, révolutionnaire, c'est à dire au-dessus de lois suspendues (Constitution de juin 1793 jamais appliquée) et de lois dites d'exception. On en vient à la définition même de la terreur, qui se distingue de la justice en cela qu'elle est arbitraire, frappant les "intentions" tout autant que les actions, et suscitant cette crainte profonde censée pousser les "ennemis de la Révolution" à ne rien tenter contre la fragile et jeune République.<br /> C'est ce dévoiement des valeurs égalitaires proclamées si haut et si fort en 1789 que l'ami de Robespierre, Camille Desmoulins, condamne en refusant d'appuyer la politique de son ancien compagnon : je ne vois plus dans dans la république que le calme plat du despotisme, et la surface unie des eaux croupissantes d'un marais ; je n'y vois qu'une égalité de peur, le nivellement des courages, et les âmes les plus généreuses aussi basses que les plus vulgaires."<br /> <br /> Peut-il seulement exister une justice en révolution, lorsque précisément la justice se définit par le respect absolu d'une loi établie, et un gouvernement révolutionnaire par le fait qu'il est au-dessus de lois qu'il rejette, renverse ou transforme ?<br /> <br /> RL
B
Fabrice Burgaud et procureur Lesigne:<br /> Impunité de ceux qui représentent la loi?<br /> Affaire à suivre...<br /> PS:Similitude avec les "psychopathes":absence de culpabilité!<br /> Tiens,ça me donne une idée...pour mon fils...Ecole de la magistrature!Quelqu'un sait-il si Montesqieu est au programme???
P
Tout à fait d'accord avec J.Fauré; mais mon propos n'était pas de circonscrire ce que peut et doit être une peine dans une société moderne, mais uniquement d'aborder, en prenant appui sur les réformateurs du 18e siècle, la question de l'impunité.
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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