I comme Impunité ("cause de tous les relâchements"?)
Pour les penseurs des Lumières, le pire en matière pénale c'est l'impunité. Il est nécessaire que tout crime (1) soit puni. C'est d'ailleurs l'une des raisons principales qui amène ces penseurs à rejeter les peines extrêmes: on hésite à appliquer une peine excessive (« l'atrocité même des supplices fait naître l'impunité » écrit Beccaria).
Si l'impunité est dramatique, c'est en raison même de la vocation des lois pénales, qui n'est pas de « punir les crimes mais de les prévenir », qui est de « donner des moeurs et non d'infliger des supplices » (Montesquieu).
Ce qui signifie:
1/ que l'objet des peines est moins le passé (punitur quia peccatum est) (2) que l'avenir (punitur ne peccetur) (3)
2/ que le destinataire des peines est moins le délinquant que l'ensemble de la population; non pas simplement pour la protéger des criminels mais pour la dissuader de le devenir.
Autrement dit les peines sont là:
en partie pour sanctionner le délinquant;
en partie pour lui ôter le goût de recommencer (peu y croient toutefois au 18e siècle);
mais surtout pour empêcher qu'impuni il serve d'exemple aux autres.
Leur vocation est pédagogique: elles doivent contribuer à « donner des moeurs » car elles sont l'incarnation des lois. Dès lors, ne pas punir celui qui a violé une loi c'est peut-être faire preuve de mansuétude, mais c'est surtout commencer à répandre le bruit que cette loi n'existe plus, ce qui revient donc à corrompre les moeurs quand il faudrait en donner. La peine peut être modérée, « douce », mais elle doit être: « Qu'on examine la cause de tous les relâchements; on verra qu'elle vient de l'impunité des crimes et non de la modération des peines. » (Montesquieu); on a bien retenu le principe de modération, moins bien celui de non impunité qui lui donne pourtant tout son sens.
Notre principe de l'individualisation des peines (parfaitement étranger aux Lumières ainsi qu'aux réformateurs de la Révolution pour lesquels il n'aurait pu être que synonyme d'arbitraire) constitue sans doute un très grand progrès: il témoigne d'une société et d'une justice qui ont reconnu dans le criminel un être humain, qui s'inquiètent de son sort, et qui, en le punissant, cherchent aussi son éventuelle réhabilitation. Immense progrès moral; mais qui ne doit pas nous faire oublier que les décisions pénales sont aussi des messages adressés à l'ensemble du corps social et que l'impunité est un message inaudible et qui brouille les repères.
Rappelons que dans notre droit une décision de justice doit non seulement être juste mais apparaître comme telle aux yeux de tous: comment pourrait-il en être ainsi de l'impunité?
Pierre Gautier
1 Au 18e siècle la notion de crime a un sens très large qui comprend à la fois nos crimes et nos délits.
2« il est puni parce qu'il a commis une faute », principe de la pénalité rétributive.
3« il est puni pour qu'il ne soit plus commis de faute » (et non simplement pour qu'il ne faute plus), principe de la pénalité utilitaire prônée par les réformateurs du 18e siècle.