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vive les sociétés modernes - abécédaire
22 avril 2008

I comme Invention (dans la préhistoire et au-delà)

Je n’avais jusqu’ici pas de doute : les techniques inventées par l’homme, soit pour utiliser les matériaux mis à sa disposition par la nature, soit pour en créer de nouveaux (céramique, métaux), résultaient d’un besoin sociétal, dépendaient de sa créativité adaptative. L’élevage et l’agriculture en faisaient partie, formaient pour chacune d’elles une étape, à la fois cause et effet d’une pression d’un groupe humain confronté à des besoins nouveaux ou une concurrence plus vive. L’utilisation des techniques, ou de ces nouveaux moyens (sacrifices d’animaux ou de nourritures) pour enrichir les rituels religieux devaient suivre. La créativité artistique (le futile), suivait l’utile.

Une synthèse du professeur de préhistoire  Christian Jeunesse, dans le numéro d’Avril de La Recherche, soutient une nouvelle théorie de l’invention préhistorique qui bouscule sérieusement une vision appuyée sur le statut actuel de l’inventivité humaine.

Tant il est vrai que de nos jours, sans forcément répondre à une demande, l’invention ne perd jamais de vue son application dans la vie quotidienne, et le profit qui en résultera, quitte à en créer le besoin par une information adéquate.

La créativité artistique continue d’utiliser les inventions commercialisées, mais a pris son autonomie et crée ses propres techniques en soutien de ses inventions.

Ce qui caractérise notre époque, c’est la disparition de la gratuité, tant pour les innovations pratiques que les artistiques.

Les faits maintenant établis par la recherche archéologique révèlent un décalage très important, de plusieurs milliers d’années, entre l’apparition d’une technique et son utilisation pour la fabrication d’objets d’usage courant. Ainsi la céramique : apparaissant sur des sites très éloignés, pouvant disparaître avec la culture qui l’a inventée, elle est consacrée à la fabrication de statuettes représentant des formes humaines (les fameuses vénus callipyges) ou animales. On ne voit pas d’autre destination que religieuse.

De même les pigments divers, employés pour les peintures rupestres. Ces représentations très élaborées des animaux environnant l’homme, bien cachées dans des grottes profondes,  ne sont sûrement pas gratuites. Ces premières manifestations de l’aptitude artistique de l’homme sont magico-religieuses et cherchent à établir un lien entre le monde visible et le monde invisible présumé.

Les archéologues mettent l’accent sur la révolution que constitue la création de nouveaux matériaux selon une séquence qui rompt avec les techniques précédentes, dégageant des armes et des outils à partir des matériaux bruts offerts par la nature. Il faut broyer, mélanger, modeler, puis cuire** les objets façonnés pour qu’ils deviennent durs. Cette séquence apparaît comme un nouveau paradigme de l’ingéniosité humaine. On le retrouve dans la fabrication des métaux, mais aussi… du pain ! Cette révolution est le fait de peuplades de chasseurs-cueilleurs.

Le doute qui résulte de ce décalage entre une invention et son application pratique après un long usage purement religieux, marquant la priorité de cette préoccupation sur les besoins humains concrets, s’étendrait également aux inventions de l’agriculture et de l’élevage qui marquent la révolution néolithique. En fait, rien ne prouve la primauté de l’utile à l’origine de ces changements.

Il est cependant vraisemblable, mais c’est une opinion personnelle, que la présence de troupeaux et de greniers a pu déclencher la cupidité de populations voisines et des combats pour leur appropriation, suscitant l’élaboration de défenses nouvelles, comme les fortifications. Et la sédentarisation qui en est une conséquence logique.

Yves Leclercq

*Je soutiens cependant que la difficulté à vendre ou le vol des créations musicales par les internautes ne suffit pas à tarir la créativité des artistes.
** Le feu est utilisé par les hommes depuis 4 à 500.000 ans avant notre ère.

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Commentaires
Y
L'article de l'archéologue Christian Jeunesse paru dans le numéro d'Avril 2008 de "La Recherche", et qui a été le déclencheur de mon billet "I comme Invention" n'est pas passé inaperçu dans le monde des archéologues.<br /> Dans le courrier des lecteurs de cette même revue(Juin 2008), le Professeur Jean Zammit félicite l'audace de Christian Jeunesse qui bouscule les mentalités des archéologues, dominés par la pensée marxiste. Ce qui les a conduits à négliger les prémices de l'agriculture et d'autres évolutions sociales apparues chez les chasseurs-cueilleurs dès le Paléolithique, et à valoriser le Néolithique qui "sur-utilise" brusquement les découvertes anciennes de l'agriculture et de l'élevage. <br /> Jean Zammit souligne encore que jusqu'au début du XIXème siècle, subsistaient dans toutes les parties du monde non colonisées par les occidentaux des sociétés de chasseurs-cueilleurs, sans agriculture, productrices d'art, et parfaitement stables.<br /> Finalement, il donne un mauvais point à la civilisation néolithique, à la source, avec tous les malheurs qu'on connaît, de notre monde d'aujourd'hui. Il n'est pas le seul! <br /> Sur ce point, je suis résolument fataliste. "L'erreur néolithique" peut être regrettée au vu de son résultat actuel, mais elle s'est répandue par imitation avant de l'être, rapidement, par la force, convaincant les retardataires de l'adopter au plus vite.<br /> Si cette Révolution Néolithique (prolongée) écoeure maintenant les nantis que nous sommes devenus, elle fascine encore les laissés pour compte de l'histoire de l'humanité .<br /> L'intérêt de la nouvelle connaissance proposée par Christian Jeunesse et Jean Zammit réside en elle-même, apaisant la soif de vérité scientifique qui nous caractérise.<br /> Cette vérité change, non sans résistances, au cours du temps. L'homme, lui, ne change pas.
Y
L'aptitude au langage articulé est le saut qualitatif qui sépare radicalement l'homme de l'animal. Les progrès d'une langue accompagnent d'un seul tenant les autres progrès: outillage, organisation sociale, manifestations de religiosité. Le progrès de l'espèce humaine est une nécessité, qui semble se révéler polycentrique et finalement universelle.<br /> J'en profite pour préciser un précédent commentaire: les mélanges empiriques qui ont permis la découverte de nouveaux matériaux, associent les trois éléments dont l'association dans la composition du monde est apparue évidente aux hommes: le minéral, l'eau et le feu. Retrouver la recette a été leur tentation, qu'on retrouve dans les différents mythes.
P
Si les Grecs (et d'autres) attribuent à des divinités l'invention des arts (par exemple Thot ou Hermès pour celui d'écrire) ce n'est peut-être pas simplement par préjugé mythologique mais par la conscience de l'insuffisance des explications "purement humaines" ou utilitaires; Rousseau, confronté à la la difficulté, à l'impossibilité d'échapper aux explications circulaires pour rendre compte de l'origine des langues, en vient à douter que celles-ci "aient pu naître et s'établir par des moyens purement humains" et à souscrire un instant à l'idée d'une institution divine du langage; il en va de la même façon pour les différentes techniques nécessaires à l'agriculture, "toutes choses qu'il leur (les hommes) a fallu faire enseigner par les dieux, faute de concevoir comment ils les auraient apprises d'eux-mêmes" (Discours sur l'inégalité): on y a vu parfois des affirmations théologiques alors qu'il s'agit d'apories épistémologiques.
Y
C'est ce que confirme l'archéologie. Le mélange est empirique, par analogie avec des mythes de la création: mélange d'éléments minéraux, d'eau, et cuisson. Les découvertes de la céramique, du verre, des métaux, du pain (avec des grains écrasés) auraient été fortuites, et précieusement retenues et cachées.<br /> À part les innovations en cuisine, dans les préliminaires de recherche pharmaceutiques (tests d'efficacité de substances produites par des végétaux), cet empirisme est maintenant inimaginable. On part le plus souvent du résultat qui pourrait être intéressant pour choisir les ingrédients qui ont le plus de chance.
P
Rousseau lui-même a, me semble-t-il, fort bien aperçu les limites des explications utilitaires des inventions techniques. Ainsi à propos de l'invention de la métallurgie: "Il est très difficile de conjecturer comment les hommes sont parvenus à connaître et employer le fer: car il n'est pas croyable qu'ils aient imaginé d'eux-mêmes de tirer la matière de la mine et de lui donner les préparations nécessaires pour la mettre en fusion avant de savoir ce qui en résulterait..." (Discours sur l'inégalité). Les besoins peuvent rendre compte de l'extension des techniques mais non de leur invention.
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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