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vive les sociétés modernes - abécédaire
18 avril 2008

I comme Individu (une idée révolutionnaire)

L’individu est l’idée la plus révolutionnaire des temps modernes. L’individu comme seule source légitime de ses choix. C’est ce que veut dire la phrase qui ouvre les déclarations des droits de l’homme: « Les hommes naissent libres ». Par hommes, il faut entendre les individus.

Les individus ne son pas des monades flottant dans le vide, ne vivant que par elles seules et pour elles seules. Ils ont des origines, ils ont de multiples appartenances, des solidarités, bref ils existent dans des rapports avec les autres. N’empêche que ce qu’ils font de tout cela est, en droit, de leur seul ressort.

Pour asseoir cette liberté individuelle sur une justification de fait, on l’a naturalisée, on a proclamé qu’elle était un droit naturel, sacré et inaliénable. Rousseau est allé plus loin, en prétendant que l’homme est par nature un être solitaire et indépendant, qui n’a dû devenir sociable qu’à la suite d’un changement brutal de son environnement. Kant est plus balancé, mais il soutient tout de même qu’il y a une part irréductible d’individualisme chez l’homme. « L’insociable sociabilité » est la nature de l’homme. On retrouve la liberté individuelle dans la formule par laquelle Kant résume les Lumières : « Ose penser par toi-même ! ».

La primauté accordée à la liberté individuelle dans les sociétés modernes a fait grincer des dents de tous côtés : les religions, les morales, le peuple, la famille, la classe, la race, le genre humain, chacun a réclamé la prééminence. Lorsque la liberté individuelle est dénoncée comme étant la cause ou l’incarnation du mal, son rejet peut aller jusqu’au totalitarisme. Le communisme, le nazisme et l’islamisme ont un même ennemi, la liberté individuelle. Face à eux, l’humanisme des sociétés modernes procède de l’idée énoncé par Montaigne, qui fut l’individu par excellence : « Chaque individu porte la forme de l’humaine condition. »

Pourquoi alors l’individualisme a-t-il si mauvaise presse chez nous? Parce qu’on le confond sottement avec l’égoïsme (qui est exclusif). Or les hommes des sociétés modernes ne sont pas moins soucieux d’autrui depuis qu’ils assument sans honte le souci de soi et qu’ils placent leur vie sous le signe de l’autonomie.  L’effondrement des idéologies agglutinantes a produit des générations morales, des mouvements individuels de masse.

Les ennemis de la société ouverte nous font comprendre que nous n’avons pas de valeur supérieure à la liberté de penser et d’agir par soi-même.

André Sénik

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Commentaires
J
J'arrive tard dans la discussion, mais je m'y mêle quand même, ne résistant pas à ouvrir (par générosité altruiste individuelle?)quelques pistes de réflexion provoquées par la toujours salutaire consultation du Dictionnaire historique de la langue française d'Alain Rey.<br /> <br /> La connotation fortement péjorative du mot (triste, sinistre, misérable... l'individu!)est une particularité, étrangement, sexuée: le drôle d'individu ne serait-il donc être qu'un homme, voire un ours? Alors que la formation d'un féminin ne pose pas de problèmes morphologiques ou phonétiques, à ma connaissance point d'individue! Il est vrai que "personne" est plus facile à utiliser, et plus gratifiant et que personne (justement) ne semble gêné d'écrire que, par exemple, la population d'ourses des Pyrénées ne comporte plus que quelques individus...<br /> <br /> Autre sujet d'étonnement: le mot (à l'origine équivalent latin de l'atome grec)suggère qu'on ne peut pas diviser l'individu sans qu'il cesse alors d'être. Et nous sommes en effet troublés à l'idée même des risques de cette division (en fragments, en aspects particuliers, en unités et moments divers )de cet être individuel que nous pensons être: de ce sujet qu'on mutilerait en ne l'envisageant que selon des modalités partielles (sa profession, son origine, son passé biographique, son statut juridico-administratif...). Bref, l'individu ne veut pas qu'on le découpe!<br /> <br /> Mais la question était de savoir si il est coupé des autres individus, de savoir si la construction du droit à l'existence individuelle et à l'exercice de l'autonomie met en péril l'idée humaniste exprimée dans la belle formule de Montaigne qu'André Sénik a citée dans son article. Je reconnais bien volontiers que le danger pour la collectivité et les individus qui la composent est plutôt du côté de l'égoïsme, de l'égocentrisme (les miens avant les autres, ma famille avant mes voisins, mes compatriotes avant les étrangers, etc.). Si les sociétés modernes ont permis à l'individu de s'émanciper des tutelles, en lui permettant de s'intéresser à lui (à ses rêves, à ses peines, à ses amours)elles lui permettent aussi de prendre la mesure de ce qui fait aussi rêver, souffrir et aimer les autres dès qu'il perçoit en eux des humains, ses semblables, ou même des proches, êtres animaux et/mais sensibles.<br /> <br /> Cela dit, à l'inverse de Pierre, je maintiens qu'il y a sur le territoire de ce pays, des enfants qui ont faim, ou qui ne mangent pas à leur faim, ou qui mangent de façon aléatoire. Cela prend parfois bien du temps pour que les dispositifs de prise en charge (disons... l'aide sociale)se mettent en marche. Et il y a parfois, dans les services divers, des gens qui par malice ou négligence font que les dispositifs de solidarité se grippent. Il y a des exclus de la CMU, il y aura des édentés en nombre croissant parce que certains soins et prothèses sont inabordables... Les enquêtes du Secours Populaire sont à ce titre alarmantes. Il y a des gens à qui, dans ce pays, on fait toucher du doigt qu'ils sont en trop, qu'ils sont de trop. Ce sont des sans papiers ni régularisables ni expulsables aujourd'hui... et demain qui? A quels réfugiés climatiques, à quels meurt-de-faim appliquera-t-on demain la règle de la division entre individus choisis et individus surnuméraires? Et si c'était à l'humanité toute entière qu'il fallait accorder le statut de "corps organisé vivant une existence propre et qui ne saurait être divisé sans être détruit" selon la définition attribuée à un certain J.B. d'Argens (1738) par le Robert?<br /> <br /> Disant cela, je n'ouvre pas spécialement le procès des sociétés modernes. Même si la lecture en est profitable, je ne crois plus vraiment trouver chez Marx (ni Rousseau ni Kant d'ailleurs)la clef permettant de décéler les causes et de remédier aux malheurs. Dans ce système démocratique malgré tout moins pire que d'autres, on peut choisir d'opter pour des progrès possibles jusement parce qu'on aura cessé que le Progrès allait de soi.<br /> <br /> Excusez la tonalité un peu grandiloquente de cette fin! La prochaine fois, je donnerai dans la polémique: c'est parfois plus tonique!
Y
Ce débat a été passionnant de bout en bout. Les idées de Jean-Jacques Rousseau ont été dégagées de leurs interprétations historiques et ont gagné en clarté.<br /> L'individualisme apparaît comme une potentialité, confirmée par l'existence du "je"(ou de la première personne du singulier) dans les langues, mais son expression n'a été rendue possible que par l'évolution des sociétés vers un relâchement de leur pression. Car s'il y a eu "contrats", dès les débuts de l'humanité, ils étaient "léonins", et d'une nécessité indiscutable pour les individus. Toutes les cultures du monde ne sont pas encore parvenues à notre niveau d'individualisation. Rien ne nous permet d'imaginer un homme commençant par être libre, puis remettant sa liberté à un groupe en échange de sa protection. Même de nos jours, les sujets libres préfèrent s'agglutiner en bandes de copains, en couples, en familles,en clubs ou en partis.
S
à la question "l'état de nature a-t-il existé?" Rousseau répond "écartons les faits". Ce qu'il cherche à appréhender c'est ce qu'il y a en l'homme de naturel. L'homme est par nature un individu physique indépendant. Marx renversera le postulat en estimant que l'individu est par nature un être intégralement social, politique, et même générique (membre du genre humain). Ce désaccord anthropologique contient l'opposition entre l'individualisme qui est au fondement de la démocratie libérale et le totalitarisme, qui peut se proclamer démocratique.<br /> Rousseau ne pense pas possible le retour à l'état de nature, et il écrit le Contrat social. <br /> Rousseau est opposé à la démocratie représentative et aucun système parlementaire ne peut se réclamer de lui.<br /> Mais ce qui me paraît important pour notre modernité, c'est qu'il a maintenu le droits inaliénables des individus privés à côté de la souveraineté du peuple, tout en regrettant cette dualité.
R
Merci. Si je comprends bien j'avais mal compris sa pensée sur les deux point soulevés, et donc :<br /> <br /> - Rousseau estime qu'un état naturel a réellement, historiquement existé, antérieurement à la société. C'est donc qu'il est possible, de fait, d'y retourner.<br /> <br /> - Rousseau considère la Nation comme la somme des individus qui la composent, et non comme le Peuple souverain (pris à la manière d'une abstraction distincte de la réalité arithmétique des individus). Dans ce cas le système électoral britannique du XIXe siècle (qui ne respecte pas la représentation mathématique de la population mais qui reposait sur l'idée que le député ne représentait pas seulement SES électeurs, mais l'ensemble de la population) et tous les systèmes censitaires (français jusqu'en 1848 par exemple) ne peuvent se revendiquer de la pensée rousseauiste. ce qui est à l'honneur du philosophe d'ailleurs.<br /> <br /> Dans les deux cas, cela renforce la liberté de l'individu dans la société.
S
réponse aux demandes de précision sur Rousseau<br /> - Rousseau ne cesse de répéter que l'homme est par nature un être individuel, et que la cité résulte d'un contrat. <br /> - l'accord sur l'intérêt général ne résulte pas de l'oubli des intérêts particuliers. Si les particuliers n'y trouvaient pas leur compte, pourquoi se soucieraient-ils de l'intérêt général?<br /> Plus généralement, l'idée que Rousseau a formulée d'une façon lumineuse c'est que l'amour pour notre semblable suppose et prolonge l'amour de soi.
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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