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vive les sociétés modernes - abécédaire
15 avril 2008

I comme Inspiration



On n’ose guère se réclamer de l’inspiration aujourd’hui. On a tort. Au sens physiologique, elle s’inscrit dans le processus d’échange entre soi et l’extérieur. Nul ne peut subsister sans le monde qui l’accueille et l’individu, réduit à lui-même, s’asphyxie. Trop occupé à conquérir l’autonomie de la raison, à émanciper l’individu de la tutelle des autorités, à proclamer sa liberté, le monde moderne a occulté cette nécessité vitale. En conséquence, il s’est défié d’une inspiration écartelée entre les représentations religieuses et l’image du génie, entre la dictée transcendante d’un Dieu et les dispositions singulières d’un tempérament, entre le céleste et l’hystérique. On a relégué l’hypothèse d’une éblouissante révélation bouleversant l’individu, dans un passé lointain ou dans quelques expériences, religieuses ou artistiques.

Mais ce faisant, on se prive de la possibilité d’inspirer à pleins poumons les idées qui insuffleraient sens et valeurs à nos existences dans la reconnaissance d’un partage avec les autres et d’une admiration émulative pour ceux qui nous inspirent. L’inspiration provenait de la dictée d’un dieu pour l’un, mais aussi de la lecture d’un grand texte pour un autre, de la rencontre d’une parole décisive pour un troisième ; dans tous les cas, l’inspiré se sentait tenu au partage de ce qui l’illuminait. À trop privilégier l’autonomie individuelle et à vouloir ne penser que par soi-même, on risque de perdre cette respiration continuée dans l’échange et le partage. Pour éviter l’asphyxie, on s’en remet alors passivement à une puissance extérieure et l’inspiration fait retour sous une piètre figure. Ne dit-on pas avoir « manqué d’inspiration » pour s’excuser d’un travail bâclé ou d’un cadeau trop banal, pour n’avoir pas assumé l’acte dans lequel on s’engageait ? Dans une société où l’on en appelle sans cesse aux performances renouvelées, à la créativité et à l’originalité de chacun, l’individu s’épuise et réclame l’oxygène artificiel des injonctions. Dès lors qui peut lui fournir cette pseudo inspiration, sinon la muse du marketing ou les fournisseurs de prêt-à-penser et à agir (S. Weil dénonce ainsi une propagande qui s’impose à l’envers d’une inspiration déficiente) ?

Aussi faut-il renvoyer dos-à-dos l’idée d’une création de l’individu par lui-même et la soumission envers ces fournisseurs-dépanneurs, pour réhabiliter le sens et la fonction de l’inspiration. Inspirer est vital et requiert une capacité respiratoire, donc une activité que l’on a oubliée. En conséquence, le verbe inspirer ne peut se réduire à sa seule forme passive qui implique un agent extérieur : « être inspiré par ». Il faut le conjuguer aussi dans l’activité (« inspirer » ce qui nous vivifie) et dans la forme réflexive qui donne une pleine place à l’échange et au partage des valeurs inter-humaines, ainsi s’inspire-t-on de ceux que l’on admire.

Marianne Massin, philosophe (auteur de La pensée vive; essai sur l'inspiration philosophique A.Colin 2007)

PS si vous souhaitez vous inscrire sur la liste de diffusion de cet abécédaire: pierre.gautier75@wanadoo.fr

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Commentaires
P
Finalement en nous proposant d'être moins "inspiré par" et de plus "nous inspirer de" (des pensées des autres notamment), est-ce bien à une réhabilitation de l'inspiration que vous vous livrez? L'idée est ingénieuse en tout cas.
Y
Si l'inspiration a atteint une dilution homéopathique, c'est peut-être parce que ceux auxquels elle est permise sont submergés par les hommes ordinaires, qui ont d'autres chats à fouetter. Ce n'est effectivement pas à la Bourse et dans les "salles de marchés" qu'elle est pratiquée (sauf par un certain J.K., qui sera retenu par l'Histoire!) L'évolution des sociétés vers l'émancipation des individus n'est pas autoritaire, mais résulte de la prise de conscience, parfois désordonnée et inconséquente, des individus. Il n'y a pas de désir collectif (ou d'inspiration plurielle).<br /> L'inspiration (mystique, intellectuelle, artistique) a toujours été exceptionnelle, mais a laissé plus de traces historiques. Elle l'est encore aujourd'hui, et l'Histoire fera son tri habituel.
B
Aspirés que nous sommes par le fantasme du "risque zéro",figés dans l'immobilité qu'inspire tout sentiment de peur,point de liberté pour s'évader...et donc pour s'inspirer?<br /> <br /> Que de contradictions dans le progrès!!!
P
1/je trouve très suggestive la distinction "être inspiré par" et "inspirer ce qui nous vivifie" et il me semble que l'inspiration est encore plus menacée aujourd'hui dans le deuxième sens que dans le premier: difficile d'"inspirer ce qui nous vivifie" si on répugne à admirer.<br /> 2/si la référence à Simone Weil pouvait être précisée...<br /> merci
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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