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vive les sociétés modernes - abécédaire
21 mars 2008

H comme Haine (suite)

L'agression que Raphaël Loffreda rapporte dans le billet précédent (Haine) soulève le problème de la violence et me pousse à reproposer à la discussion cette réflexion:

On a longtemps cru que la violence et la non-violence s'opposaient, étaient destinées à évoluer en sens inverses : si l'une augmente, l'autre doit régresser. En particulier le progrès de la non-violence devait engendrer le recul de la violence. Il faut, hélas ! déchanter. Les choses, une nouvelle fois, ne sont pas si simples. Le progrès de la non-violence peut faire reculer le violence , mais il peut aussi, ce qui n'était guère prévu, la réveiller, lui redonner sens et chance.

L'Ecole en est l'illustration. L'Ecole n'a sans doute jamais été un sanctuaire. Il reste que la violence qui, depuis une vingtaine d'années s'y déploie, est bien quelque chose de nouveau (soixante agressions quotidiennes contre les professeurs!): il ne faut pas confondre les bagarres entre élèves et les chahuts qui ont toujours existé avec les agressions contre des élèves et des professeurs (dites incivilités). Les causes de cette situation nouvelle sont sans doute multiples. L'une d'entre elles me semble être la non- violence elle-même. Doucement mais sûrement la violence a été traquée dans l'Ecole française : par la suppression progressive puis totale des châtiments corporels, et parallèlement, auprès des élèves, par une action délibérée et soutenue pour disqualifier moralement les comportements violents ; les principes de cette action étant : 1- qu'il faut substituer le dialogue à la violence ; 2- qu'il ne faut même pas répondre à la violence par la violence. Ce faisant, maîtres et élèves élaboraient une manière plutôt harmonieuse de coexister (je pense aux années 70). Manière toutefois bien fragile parce que tributaire d'une évolution commune des uns et des autres, notamment d'un accord sur l'idée de la supériorité du langage sur la violence.

Mais cette idée ne va nullement de soi, et qu'arrivent dans l'Ecole des jeunes gens qui n'ont pas connu cette évolution, qui ne sont pas convaincus que le recours à la violence est dégradant, qui sont même parfois convaincus du contraire, qui voient dans la capacité d'en user le signe du courage physique, et dans le refus de se battre la marque de la lâcheté (certains parlent d'une "morale de guerrier") ; qu'ils aperçoivent de surcroît que leurs forfaits demeureront probablement impunis, alors on comprendra aisément que l'Ecole, devenue non-violente, soit non seulement mal armée pour se défendre mais aussi une proie bien tentante (comme un pays pacifiste- et non pacifique- peut l'être pour un voisin qui ne l'est pas), d'autant plus qu'agressée, elle a, pendant longtemps, eu beaucoup de mal à ne pas se croire l'agresseur.

La solution n'est pas simple. Elle ne consiste certainement pas à revenir aux châtiments corporels. Mais pourra-t-on faire l'économie, au moins pour un temps, d'un retour à une rigueur et à une discipline qu'on avait cru pourtant avoir dépassées ?

pierre gautier

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Commentaires
R
J'ai reçu par mail des précisions de l'affaire dont je vous ai parlé dans mon précédent commentaire "Révolution barbare". Je tairai bien sûr le nom de l'enseignante, d'autant plus que je ne la connais pas.<br /> <br /> Il s'agit du lycée Gutenberg à Créteil. Suite à cette intrusion violente (il s'agissait en fait d'élèves d'autres lycées des alentours), les professeurs ont voulu exercer un droit de retrait. Le rectorat leur a répondu qu'ils n'en avaient pas le droit car des forces de police sécurisaient désormais les lieux par des contrôles d'identité à l'entrée de l'établissement. Pourtant, le mardi 4 avril (le lendemain), dans un autre lycée de Créteil, le lycée Blum, environ 300 jeunes ont fait irruption, et la police a utilisé contre eux des flash balls. Je me permets de citer le trait d'un collègue de cette enseignante, précisant pour répondre au rectorat qu'il s'agissait effectivement de "conditions normales pour un lycée de Bagdad !"<br /> <br /> En attendant une éventuelle suite, je vais donner par le lien de cette page de discussion à l'enseignante en question.<br /> <br /> RL<br /> <br /> PS : pour l'Essonne, je sais qu'il y a eu au minimum deux faits similaires : dans mon lycée, à Etampes, et au lycée d'Arpajon.
R
Violences graves attribuées à un mouvement qui ne les produit pas (ou alors en marge). Violences tues, passées sous silence, ou alors "mal-traitées". Amalgame, disqualification, caricature...<br /> <br /> ...peut-être sommes-nous à notre insu dans un grand débat télévisé où chacun des protagonistes coupe la parole à l'autre par des effets, des phrases et "informations" chocs. Il s'agirait alors de parler mieux et plus fort : l'immédiat et la puissance de l'argument télégénique l'emportant sur l'analyse et l'argumentation raisonnées. Le problème c'est qu'il n'y a qu'un seul protagoniste, et qu'il est de mauvaise foi. En l'occurence il s'agit des représentants élus de la Nation (et donc tout à fait légitimes). Les propos du ministre de l'éducation que rapporte Anastasia en conclusion sont déconcertants. Sans prôner la démocratie directe et populaire, il me semble qu'un pouvoir légitime se doit de prendre en compte des revendications lorsqu'elles sont assez massives pour être un tant soit peu représentatives. faire cela ne veut pas no plus dire "laisser la rue gouverner". Mais quoi ? Si la représentativité dépend de la surface médiatique, alors effectivement nos élèves ne sont pas à la hauteur de l'enjeu, et doivent donc laisser leurs représentants légitimes parler, agir et penser pour eux°. C'est un affaire de grandes personnes. Leurs parents, les profs ? Ils sont partie prenante ! On retrouve ici, en germe, en petit, mais tout de même la contradiction entre le pouvoir du Peuple glorifié, magnifié depuis la Révolution, et le peuple réel dénigré, caricaturé, "introuvable".<br /> <br /> RL<br /> <br /> °Rappelons cette maxime d'un penseur de l'antiquité (dont le nom m'échappe malheureusement): "Il faut séparer les choses du bruit qu'elles font".
A
Pour compléter ce billet d’informations, je souhaiterais revenir justement sur le traitement des événements par « l’information ». Il est bien sûr devenu courant de stigmatiser les parti-pris et les manques de la couverture médiatique des événements (puisqu’il s‘agit plus ou moins de rapporter, ou éventuellement de créer ,des « événements« ). Mais en lisant une dépêche de l’AFP sur Internet hier, j’ai été particulièrement frappée de l’orientation que prenait le récit des actions du mouvement lycéen (et je dis récit, pas analyse). A commencer par une présentation éloquente : « Quatre blessés légers et une trentaine d’interpellations. C’est le bilan de la quatrième journée de mobilisation des lycéens contre la suppression de 11.000 postes d’enseignants à la rentrée prochaine. ». Quel « bilan » ! Mettre ainsi en valeur,dès le début, les dérives d’un mouvement vise clairement à le discréditer, dans un évident but politique. Suit une liste très précise des débordements qui ont eu lieu dans les établissements bloqués. Pas de retour sur les différents griefs des lycéens (et enseignants, et parents d’élèves d’ailleurs), qui ne se limitent pas aux suppressions de postes, même si ce point est l’enjeu principal du mouvement. On évoque à peine les blocages et manifestations qui ont lieu depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois dans certains établissements, à tel point que lorsque j’en parle autour de moi, cela suscite le plus grand étonnement. Et lorsque l’on se décide à en parler, c’est pour présenter ce mouvement comme un trouble de l’ordre public (et disant cela, je ne nie pas les débordements) et pas comme une interrogation légitime sur l’avenir de notre système éducatif ou encore simplement la présence d‘un réel malaise vis-à-vis des réformes. J’enseigne dans un lycée polyvalent du Val d’Oise, un lycée désert en ce moment, où les élèves sont très mobilisés depuis quinze jours( je n’ai eu que cinq élèves en tout et pour tout dans la journée d’hier), et en discutant avec eux, on se rend compte que beaucoup sont alarmés d’entendre leurs revendications déformées ou mal interprétées, et sont blessés de passer pour des casseurs ou des paresseux qui manifestent pour ne pas aller en cours. Bien sûr, ces motivations-là existent, mais ne me semblent pas majoritaires ou exclusives. Or c’est sur ce point que les médias insistent. Et les élèves les plus lucidement impliqués dans le mouvement de reconnaître avec amertume qu’ « aux infos,on ne parle que de la flamme olympique et d’Ingrid Bétancourt » Un autre élément m’a frappé à la lecture d’un billet sur le site de France-info : il y avait hier une sorte de recensement des lycées bloqués, qui se donnait pour exhaustif : « environ 20 dans les Hauts-de-Seine, 12 à Paris, 6 dans le Val-de-Marne, autant en Seine-St-Denis, deux dans l’Essonne, 4 dans le Val-de-Marne ». Point. Et le Val d’Oise alors ? Le lycée, où je travaille n’est donc pas entré dans les comptabilités, pas plus que les autres lycées d’un département pourtant assez mobilisé. <br /> Mais peu importe,car comme le dit notre ministre, de toutes façons, les manifestations sont « disproportionnées par rapport aux enjeux », ramenées à des jeux d’enfants, en quelque sorte… Une récréation de lycéens qui ne veulent que deux semaines de vacances. Alors où est le débat possible ?
P
"Noisy-le-Sec: une bande de jeunes fait irruption au lycée Olympe-de-Gouges...<br /> <br /> Ils sont une trentaine (non identifiés) à avoir pénétré sauvagement hier 7 avril le lycée Olympe-de-Gouges de Noisy-le-Sec, bousculant sur leurs passages, élèves, enseignants, saccageant une exposition d'art plastique, bousculant proviseur et conseiller principal d'éducation, pris en charge pour ces derniers par les pompiers. Vendredi dernier, c'était au lycée Charles-de-Gaulle de Rosny-sous-Bois.<br /> Ainsi est rythmée la vie des établissements scolaires de Seine-Saint-Denis."<br /> <br /> Billet des faits divers (internet)
J
je suis, par la force des choses, un peu déconnecté de la chose... mais sur ces histoires de bahuts cibles d'actions "militantes/militaires" de ce genre, il serait grand temps de clarifier et de causer!<br /> Je m'y risque et je m'y lance pour ma part. Dans le désordre.<br /> En commençant quand même par exprimer ma sympathie aux collègues qui dans de telles circonstances ont peur et font... ce qu'ils/elles peuvent! Et aux élèves aussi, bien sûr!<br /> Ensuite, en rappelant que ça fait belle lurette que des cortèges se présentent dans des établissements pour les faire débrayer (j'avais même eu l'expérience d'une intrusion lors d'un carnaval).<br /> Pendant longtemps cela a été perçu comme une démarche ordinaire de l'appel à l'action et à la manifestation, héritée d'une traditioon ouvrière et soixante-huitarde. Pendant longtemps, ça s'est géré de manière essentiellement symbolique: les cortèges militants se massaient devant l'entrée, le chef d'établissement avait fait fermer les grilles et annonçait qu'on n'entrait pas. Des représentants des grévistes de l'extérieur et des personnels syndiqués à l'intérieur proposaient qu'une délégation soit reçue et s'exprime, par exemple lors de la récréation... et, en général, les choses se géraient dans un climat relativement serein et même les collègues ("réactionnaires", "rétrogrades")qui trouvaient qu'il y avait là entrave au bon fonctionnement de l'établissement ne protestaient que pour le principe quand ils ne se gaussaient pas simplement des grévistes assimilés à de simples sècheurs de cours. Parfois il est vrai, selon la composition des cortèges et la proportion d'élèves de lycées professionnels plus ou moins déterminés et respectueux des usages, la situation pouvait être un peu plus tendue.<br /> Les faits rapportés par R.Loffreda et par la collègue de Créteil indiquent qu'on n'en est plus là et évoquent plutôt le dévoiement (depuis longtemps) des cortèges par l'activité de jeunes casseurs ultra minoritaires mais dangereux. Lors de la crise du CPE, dans mon établissement, le blocage réel des entrées par des poubelles assemblées et scotchées, gardées par des militants lycéens déterminés avait créee bien des problèmes et des divergences. Entre une administration qui ne voulait pas entendre parler d'AG dans le lycée (elle avait donc lieu dans la rue: en était-elle plus démocratique???), des lycéens (et des professeurs) favorables aux objectifs du mouvement mais pas aux méthodes de blocage, des lycéens favorables aux objectifs et aux blocages, des lycéens hostiles aux objectifs et aux blocages, des lycéens prenant prétexte du blocage pour se dispenser et des cours et des manifestations, des parents (et quelques professeurs) dénonçant les entaves au travail, la chienlit et prêts à tenter l'action de force, une administration préférant parfois fermer le lycée, parfois organiser des votes dans les classes, des syndicalistes enseignants coincés entre les appels officiels à soutenir et poursuivre le mouvement et la conscience de son caractère de plus en plus minoritaire, d'autres syndicalistes (pas enseignants) organisant l'approvisionnement matinal des abords de l'établissement en poubelles vides, etc... tous les cas de figure étaient possibles et, entre professeurs, il y eut des algarades et des ruptures. Mais si j'ai trouvé (et déclaré au micro lycéen)la situation inacceptable (les adultes accédaient à leur lycée entre des poubelles au gré de quelques militants lycéens!) on en était resté très loin des assauts et caillassages dont parlent aujourd'hui les collègues.<br /> <br /> Alors que dire et que faire?<br /> <br /> Cesser de contester les restrictions gouvernementales au motif que la lutte a ouvert la porte à ces violences?<br /> Demander aux organisation syndicales représentatives des personnels de recenser ces situations et de prendre une position de claire condamnation?<br /> Demander la protection policière résolue des établissements... et gérer les pépins que cela va nécessairement entraîner? <br /> Organiser le mode opératoire qui permettrait de limiter au mieux les dégâts et en tout cas que cesse ce sentiment de solitude impuissante dont parlent les collègues?<br /> Réactiver en direction des jeunesses des lycées professionnels et des banlieues la notion de "classes dangereuses"? <br /> Attendre que dans l'affolement général et la brutalité des agresseurs il se produise un drame?<br /> <br /> Désolé de ne pas proposer la solution!!!!
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