Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
vive les sociétés modernes - abécédaire
20 février 2008

G comme Gauche (refonder la)

Dans la République des satisfaits JK Galbraith évoque le moment où, aux Etats-Unis, les pauvres sont devenus minoritaires. Jour heureux et inquiétant. Heureux: comment ne pas se réjouir de cette diminution de ceux qui souffrent matériellement? Mais jour inquiétant aussi puisqu'il comporte la menace pour les pauvres restants d'une exclusion redoublée.*

Les pays européens, dont la France, ont, quelques années ou décennies plus tard (au cours de trente glorieuses), franchi le même cap.

Si un prolétaire est un homme qui, dans une société urbaine, "n'a rien d'autre à perdre que ses chaînes", alors il faut dire que nos sociétés ont cessé d'être des sociétés de prolétaires**; ceux-ci n'ont pas disparu mais ne constituent pas la majorité de la population.

Et si on appelle bourgeois ou petit-bourgeois un homme qui, dans une société urbaine, a "autre chose à perdre que ses chaînes", alors on peut dire que nos pays sont devenus majoritairement petit-bourgeois: ainsi en France au cours des cinquante dernières années, en pouvoir d'achat c'est-à-dire en euros constants, le salaire annuel moyen ouvrier a plus que triplé (4644 euros en 1949 et 16074 euros en 2001), le patrimoine moyen des Français a presque quintuplé (47000 euros en 49 et 200000 euros en 2001) et, contrairement à ce qui est très souvent affirmé, le pourcentage des personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté n'a cessé de diminuer : 17,9% en 1970 et 12,1% en 2005 (pour le seuil à 60% du revenu médian et alors que ce seuil a sensiblement augmenté entre les deux dates, passant de 439 à 817 euros constants)***.

La gauche (socialiste) a élaboré ses principes dans et pour des sociétés de prolétaires. Elle ne pourra faire l'économie de leur révision si elle prétend accéder au pouvoir et, de cet endroit, non seulement poursuivre sa lutte contre la pauvreté et l'exclusion, mais représenter la majorité de la population, puisque celle-ci est devenue petite-bourgeoise, par ses moyens matériels, sa manière de vivre et ses aspirations. Il faudra en premier lieu qu'elle renonce à faire du mot "bourgeois" un mot infâmant. Ce qui ne sera, on s'en doute, pas facile, étant donné les habitudes acquises; mais peut-être pas impossible puisqu'après tout c'est bien la bourgeoisie qui, la première en France, avec la Révolution, a incarné la pensée de gauche.

Pierre Gautier

*D'un certaine façon tout le livre de Galbraith est consacré à ce moment: puique son objet est de mettre en évidence les dangers multiples qui apparaissent lorsque les "satisfaits" deviennent (électoralement) majoritaires: à commencer par le développement d'une "culture du contentement" peu proprice au progrès.

** Si elles l'ont jamais été au sens strict de l'expression, puisque, comme le fait remarquer Raphaël Loffreda dans son commentaire ci-dessous, même au 19° siècle les prolétaires étaient quantitativement parlant minoritaires.

*** Toutes ces données peuvent être facilement retrouvées en tapant: INSEE pauvreté.

Publicité
Publicité
Commentaires
P
L'objet de l'Essai introductif à ce blog (Eloge des sociétés contemporaine) est précisément de m'expliquer longuement sur cette expression. En très bref, elle ne signifie pas que nos sociétés soient parfaites : elles présentent encore maintes imperfections, comme la persistance de poches de misère et de pauvreté, le chômage (même s'il est rémunéré), le caractère précaire de trop d'emplois, nombre d'inégalités et d'injustices. A ces imperfections corrigibles,il faut encore en ajouter d'autres qui le sont moins facilement, contreparties quasi mécaniques de nos conquêtes : à commencer par les défis écologiques, mais pas simplement: dans un premier temps, la scolarisation généralisée ne peut faire que de l'illettrisme un drame, les progrès de la non-violence redonner sens et chance à la violence, l'égalisation des conditions accroître la rivalité entre les hommes... Toutefois: <br /> 1/ces limites et ces insuffisances ne doivent pas être utilisées comme des contradictions qui condamnent les sociétés modernes, mais comme des problèmes à affronter; <br /> 2/elles ne peuvent non plus nous faire oublier nos succès, et notamment le plus inouï d'entre eux: grâce aux progrès matériels, de la médecine, de l'instruction et de la démocratie* un grand nombre d'hommes des sociétés occidentales (pas encore tous malheureusement) ont accédé au cours de la seconde moitié du 20° siècle à un privilège réservé depuis toujours à une petite minorité, celui de pouvoir décider un tant soit peu de son existence, d'avoir une biographie individuelle. Qui doute d'ailleurs que ce soit une chance pour un enfant de naître ici plutôt que presque partout ailleurs dans le monde? <br /> Tout cela n'existera peut-être plus demain; mais il serait injuste de prétendre que cela n'a pas existé.<br /> <br /> *autant de progrès qui furent l'oeuvre pour l'essentiel des Européens eux-mêmes: de leur travail, de leur inventivité et de leur combativité politique.
R
Ce commentaire ne porte que sur l'un des points soulevés par Brigitte, à propos du déplacement mondial du prolétariat vers la Chine (prise comme symbole, justifié, des pays du Sud).<br /> <br /> Au début du XXIe siècle, c'est 98% de la capitalisation boursière qui est détenue par les pays du Nord (Chine exclue bien évidemment). Le Nord produit alors environ 80% des richesses mondiales pour moins de 15% de la population mondiale. Mais qu'on se rassure, les pays du Nord ont bien pris soin d'élever partout des murs de différentes natures pour se protéger des dangereux "vases communicants" humains, de la misère de ce Tiers monde, de ces 3% de population mondiale environ qui migrent et deviennent des "étrangers" (comme le disait Luis Rego : "les statistiques sont inquiétantes : il y a de plus en plus d'étrangers dans le monde". Pour être strict, je ne suis pas sûr que son humour soit aujourd'hui juste). Je dis 3%, il faudrait le diviser presque par deux si l'on ne prenait en compte que les "migrants économiques"... Misère d'un côté, sanctuarisation de l'autre et psychose de l'autre : invasion des étrangers ! <br /> <br /> Inégalités de revenus évidentes également ! Les Etats-Unis concentrent aujourd'hui 32% du PIB mondial et détiennent les principales FTN (firmes transnationales mondiales), dont la première : Wal-Mart. Wal-Mart (un Carrefour gigantesque) c'est 2,5% du PIB national américain ! Je vous laisse faire la règle de trois pour trouver sa part dans le PIB mondial (comme un collègue me le demandait après que je lui ai présenté ces chiffres : "mais qui est le président de Wal-Mart ?"). Wal-Mart c'est également plus de 1,3 million d'employés, qui sont payés 15 à 20% moins chers que chez la concurrence... Je continue ? Les 10 fortunes les plus riches mondiales représentent autant d'argent que les PIB des 50 pays les plus pauvres (c'est à dire tous les "PMA") ! Bref : oui le monde est injuste, oui on ne peut être que révolté face à tout cela, oui il faut faire quelque chose.<br /> <br /> Mais la gauche française ? Est-ce bien raisonnable de la confronter à cette situation ? Est-ce que Sarkozy doit lui-même pâtir de l'héritage, voire de la filiation d'une telle situation ? Je ne dis pas que vous le dites pleinement, mais malgré votre conclusion interrogative nuancée, c'est bien ce vers quoi vos arguments tendent.<br /> <br /> Le mot "vive" du titre du blog, pour moi en tout cas, ne signifie pas que l'on est satisfait du monde tel qu'il est, de la société telle qu'elle est, mais que justement on ne veut pas voir en eux l'ombre d'un Léviathan ! Ce discours on l'entend partout où l'on veut bien l'entendre, jusqu'ici (et heureusement). et il est d'un pessimisme qui m'apparaît trop souvent précisément injuste envers les progrès accomplis. "Vive" veut dire qu'il y a aussi du bien, du très bien même par rapport à avant (et pour moi, dans un temps historique assez long). Merci donc pour ces précisions importantes, sur cette impérieuse nécessité de ne pas se perdre dans notre nombril franchouillard, mais cela étant, je ne suis pas certain que prendre à chaque fois les problèmes du monde entier dans chaque discussion soit raisonnable et profitable.<br /> <br /> Cela étant, mes remarques ne portent que sur l'aspect international de votre billet, dont je partage pleinement l'indignation justifiée.<br /> <br /> Je n'ai pas été dans cette discussion entièrement d'accord avec Pierre, et je pense comme vous qu'il y a une angoisse fortement ressentie par beaucoup de nos concitoyens, qui se traduit effectivement par des votes sanctions. Mais :<br /> <br /> 1/ Au risque de me répéter : est-ce que le politique a vraiment directement prise sur une économie très internationalisée ?<br /> <br /> 2/ L'injustice actuelle ne veut pas dire qu'il n'y a eu aucun progrès, en France comme dans le monde (recul de la mortalité infantile, enrichissement général de la population mondial, même dans les pays du Sud à l'exception de certains d'entre-eux, progression de l'alphabétisation. Pensez donc aux NPIA, les "dragons" asiatiques, qui aujourd'hui sont des Etats démocratiques, riches, développés, alors qu'ils n'étaient au mieux que des démocraties autoritaires il y a 50 ans, pauvres et parvenant à peine à subvenir aux besoins alimentaires de leur population).<br /> <br /> Raphaël Loffreda
B
"le salaire moyen ouvrier en France a plus que triplé (en euros constants) de 1949 à 2001..." cela ne dit pas tout <br /> <br /> <br /> Déjà l'Insee calcule souvent à sa manière. Il faut pendre en compte d'autres études, incluant d'autres éléments, et d'autres chiffres, comme je l'ai mentionné. <br /> <br /> Vous ne parlez que des salaires. Pour prendre la mesure, il faudrait comparer en tenant compte des coûts de fonctionnement et frais pour le travailleur tels que transports, alors qu'en 49 on travaillait près de chez soi, pas de frais de transport et encore moins de voiture obligatoire pour travailler et extrêmement coûteuse, aujourd'hui nombre de dépenses incontournables pèsent sur ces salariés. <br /> <br /> Le mode de consommation a changé, avec des dépenses de consommation obligatoires dont la voiture est l'exemple paradigmatique.<br /> <br /> Le mode de vie a changé, les vieux ne sont plus pris en charge par la famille traditionnelle, ils sont éloignés, familles éclatées et certains ont des retraites misérables. Idem pour tous les sans ressources. Qu'en est-il dans une société où tout est marchand, tout doit se payer, et où les solidarités familiales anciennes n'assurent plus le rôle qu'elles assuraient ? et encore faut-il inclure un grand nombre de paradigmes de ce type, tels que les enfants sont gardés à l'extérieur, cela a un coût, quand le salariat s'étend et que le système implique des dépenses nouvelles qui n'existaient pas avant, car le travail était assuré par la solidarité familiale, par exemple. <br /> <br /> Surtout vous parlez des salaires en oubliant tout l'immense secteur hors salaires qui concerne de + en + de gens : conditions précaires, vie sur des allocations, chômage, et tous ces travaux épisodiques, à temps partiel non souhaité, intermittents, stages non rémunérés etc. . <br /> <br /> Prenons la réalité, ça donne que ce secteur de la société touché par la précarité concerne plus de 30% de la population, en France, ce que n'indique pas le chiffre de l'évolution des salaires qui à lui seul ne dit pas tout. <br /> <br /> En Grande-Bretagne plus de 30% des enfants sont en état de malnutrition. On peut imaginer ce que cela signifie de pauvreté. En Italie une famille sur 5 vit avec moins de 1200E par mois. Le pays ne fait plus d'enfants : ça coûte trop cher. A rapporter à l'époque d'après-guerre à laquelle vous vous référez, les salaires étaient plus bas mais les gens avaient suffisamment pour vivre pour faire des enfants. Aujourd'hui l'Espagne et l'Italie ont un taux de natalité plus qu'inquiétants. <br /> <br /> <br /> Les sociétés sont riches, peut-être, mais en leur sein croissent les pourcentages de pauvres ou semi-pauvres, ce que ne dit pas une moyenne, surtout si elle ne retient que les salaires quand 30% de la population, et plus selon les pays, n'entre pas dans le cadre des salariés, faute de travail. <br /> <br /> En Grande Bretagne 25 % des salariés travaillent à temps partiel. <br /> <br /> D’où la présence au Royaume Uni de millions de travailleurs pauvres, c’est-à-dire dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté.<br /> Le taux de pauvreté y est un des plus élevés d’Europe. Plus de 20% (entre un cinquième et un quart) de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, dans un des pays les plus inégalitaires qui soit. <br /> <br /> Il faut aller voir aussi du côté des pays où le taux de pauvreté est le plus élevé : Portugal, Royaume-Uni, Grèce, Irlande, Espagne et Italie Et l’écart entre les 20% les mieux payés et les 20% les moins bien payés est de 1 à 7,5 ou 6. Calculez, ça fait beaucoup, ce que ne dit pas une moyenne. <br /> <br /> Ce genre d'éléments donnent un peu de contenu à une moyenne qui, à elle seule, ne suffit pas pour apprécier l'état d'une société . Il faut aussi inclure les précaires, avec un salaire de misère, à qui on impose le temps partiel et qu'on peut licencier du jour au lendemain.<br /> <br /> Les sociétés sont riches, mais la masse de pauvres et semi-pauvres et de rejetés à la périphérie du salariat stable croît. Ce que ne dit pas l'INSEE<br /> <br /> <br /> Si les salaires ont augmenté et un certain confort aussi, c'est vrai seulement pour les salariés "normaux", ayant un vrai salaire, ni un Cdd, ni un temps partiel, ni un travail intermittent etc. <br /> <br /> Mais ma question était : combien sont exclus du système normal ? Un tiers des travailleurs potentiels ? Plus encore ? et dans les autres pays ? <br /> <br /> Et le tiers-monde et les émeutes de la faim qui partout éclatent ? (voir l'article de Libé cité dans le post E comme Exploitation) ? <br /> <br /> Une fois encore la situation stable et confortable du petit-bourgeois n'est pas la norme.
P
1/nos sociétés sont devenues majoritairement petites-bourgeoises bien avant que ne commence le processus actuel de mondialisation (avec ses délocalisations)et l'apparition de la Chine sur la scène économique.<br /> 2/les problèmes (graves) que vous décrivez ensuite sont bien réels mais ils n'annulent pas tous les progrès réalisés au cours du demi-siècle passé (progrès qui, pour l'essentiel, n'ont pas grand-chose à voir avec le "pillage du tiers-monde" cf Paul Bairoch). Un seul signe de ces progrès: la notion de travailleur pauvre: la principale nouveauté qu'elle désigne c'est que cette expression a cessé d'être un pléonasme dans nos pays; elle le fut longtemps (cf Marx) et elle l'est encore dans la plupart des pays du monde (quant aux travailleurs pauvres de nos pays, ils le sont justement parce qu'ils manquent de travail): le salaire moyen ouvrier en France a plus que triplé (en euros constants) de 1949 à 2001...<br /> Laisser entendre que jamais les choses n'ont été pires relève, me semble-il, du slogan, même si nombreux sont encore les problèmes à affronter.
B
pour l'explication du calcul des inégalités, je n'ai pas donné la référence, qui, entre autres, analyse les chiffres de l'INSEE sur observatoire des inégalités http://www.inegalites.fr/spip.php?article601&id_mot=30v
vive les sociétés modernes - abécédaire
  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Derniers commentaires
Publicité