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vive les sociétés modernes - abécédaire
7 février 2008

G comme Guerre (est-elle vraiment finie?)

1/ Yves Leclercq

La lettre G est bien pauvre en mots dignes de figurer dans l’abécédaire interactif auquel ce texte est destiné.

Je me suis senti « aspiré » par ce mot dont on voudrait qu’il n’ait jamais existé.

Alors que ce qu’il désigne accapare notre mémoire qu’on dit collective, et parfois,  mais de moins en moins, notre mémoire individuelle.

Nous continuons à nous demander, devant le spectacle que nous offre le monde, comment nous avons fait, dans nos pays, pour nous séparer de ce phénomène universel, en l’isolant, en l’enkystant, en rejetant le fatalisme théorisé par Clausewitz.

Personne de ma génération ne pouvait croire que ce fût possible. Nous avons vécu les dernières escarmouches, comparées aux empoignades et tueries d’il y a soixante ans. Ce sont nos pères qui ont mis le point que tout le monde voudrait, sincèrement, final.

Trois millénaires (évaluation) de cours intensifs pour arriver à la sagesse. Nous ne sommes pas doués pour la paix !

Nous étions d’ailleurs convaincus qu’il s’agissait d’une disposition naturelle, au service de laquelle une bonne dose d’intelligence était bien utile. Sur le champ de bataille, elle donnait l’avantage. L’art militaire, les armes nouvelles, la tactique, la stratégie, la professionalisation, le prestige des grands chefs, leur caractère providentiel, ont pris toujours plus de place dans notre vie sociale.

Jusqu’à ce que…ça dérape. Que les humains se voient disparaître dans un gouffre toujours plus large, toujours plus profond, toujours plus honteux.

Le voile qui cachait notre aptitude au sordide, à l’inouï, à la négation de nos valeurs, s’est subitement déchiré (ou est devenu trop petit !).

Nous ne sommes pas totalement rassurés. Nous mettons encore beaucoup d’argent et de matière grise dans la sophistication des armements. Qui sont mis sur le marché, où ils trouvent des clients.

Nous sommes pragmatiques et prudents : pour faire la paix, il faut être (au moins) deux. De temps en temps on se demande si, avec tel pays, ou avec tel autre, une action préventive ne serait pas indiquée !

Et nos relations de tous les jours ? Sont elles aussi pacifiques que l’absence de bruit et de morts le fait penser ? Les petits ruisseaux de nos haines ordinaires sont-ils secs avant d’atteindre les grands fleuves ? Le langage guerrier a encore cours dans notre quotidien.

2/ Freddy Chiche

La découverte et la fabrication d'armes a toujours été vécue comme une nécessité pour accroitre les possibilités de défense face à la menace animale ou humaine. Les armes blanches longtemps les seules disponibles pour le combat rapproché ont révélé des maîtres, mais très vite sont apparues les armes permettant de tuer à distance, comme les flèches, ancêtres des projectiles. La découverte de la poudre et des armes à feu a radicalement modifié le rapport de force entre ceux qui pouvaient tuer à distance, en appuyant simplement sur une gâchette, et les malheureux qui s'en remettaient encore aux flèches. La conquête du continent américain en est la plus violente illustration. Finies les heures d'entraînement nécessaires pour acquérir la maîtrise des armes blanches; l'être le plus fruste pouvant avec un simple révolver donner la mort avec un doigt. Régulièrement aux USA, un jeune homme tourmenté, ou franchement déséquilibré, envahit la scène médiatique en massacrant plusieurs personnes qu'il ne connaît pas, en se suicidant parfois à la suite du carnage. La loi (le 2e amendement de la Constitution) est de nouveau remise en question, mais aussi l'éducation télévisuelle qui banalise l'image de la violence et, en parallèle, le vedettariat qui obsède tant d'êtres en mal de reconnaissance. La mise à disposition de tout le monde d'armes à feu élargit-elle le risque d'abus? Certains le contestent: les interdits n'ont jamais empêché les tueurs de s'en servir. Plus grave est la découverte d'armes de destruction massive. Ici ce sont des Etats, parfois un simple groupe d'individus, qui sont capables par la même pulsion du besoin de dominer, de terroriser ou tout simplement pour s'affirmer, de donner la mort à l'aveugle à des centaines parfois des milliers de vies. Chaque découverte d'armes de destruction massive est protégée de sa propagation. Vaine précaution, le temps émousse la vigilance et l'on s'aperçoit un jour que toutes les consciences ne se rythment pas sur le même credo. La religion, pourtant propagée pour baliser la violence, laisse parfois filtrer des interprétations justifiant les massacres les plus atroces. Elle n'est pas seule, les valeurs suscitant la violence trouvent des théoriciens capables de la justifier. Le racisme reste une forme de religion en creux, avec ses adeptes, ses gourous, ses tueurs et ses martyrs.
Les manipulations génétiques ont commencé. On touche ici à la racine de la création de la vie. Après les guerres de feu, les guerres chimiques, bactériennes, l'avènement n'est pas loin des guerres génétiques. Certains sont aujourd'hui capables de modifier le génome des bactéries. Il n'est pas impossible que ces dernières, la forme la plus réduite de vie, prennent leur revanche sur l'intelligence humaine.  La guerre n'est pas finie.

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Commentaires
R
Dans "La faim du tigre" écrit en 1966, René Barjavel se livre à une difficile mais stimulante interrogation sur le sens de la vie. Le regard qu'il jette sur ce phénomène pris au sens le plus large, faisant s'entrechoquer l'univers et les plus petites particules possibles, amène à de nombreuses remises en perspectives. Vers le milieu de l'ouvrage il s'interroge sur les grandes lois de l'univers, et pose celle de l'équilibre comme première, sans laquelle n'existe que le chaos. Le monde vivant étant concerné par cette loi, chaque espèce, chaque forme de vie, voit sa population assassinée par d'autres espèces. Ce processus met en place un équilibre dont l'homme s'est extirpé à la suite de batailles, gagnées, contre ses prédateurs fauves et microscopiques (microbes, virus...).<br /> <br /> C'est dans ce cadre qu'il pense la guerre comme processus d'autorégulation de l'espèce humaine, une manière de suicide orchestré :<br /> <br /> "La Bombe [atomique : le livre est écrit en pleine guerre froide, même si dans la phase qualifiée de Détente] est la plus récente forme de la guerre. La guerre est un phénomène de compensation intégré au processus vital de l'espèce humaine par une loi ou -c'est la même chose- une volonté d'équilibre, pour corriger l'inefficacité d'agression des autres espèces. A mesure que cette inefficacité grandissait, l'efficacité de la guerre a grandi. Du caillou à l'atome, la puissance des armes que l'homme a utilisées contre lui-même dessine la même courbe que l'expansion de l'espèce. L'une et l'autre viennent d'atteindre le bas de l'élan vertical, vertigineux, total. L'homme en train de devenir géant serre contre son coeur l'arme de son suicide. L'actionnera-t-il avant d'avoir escaladé le ciel ?" [cette interrogation, qui fait implicitement référence à la tour de Babel, renvoie aux pages précédentes dans lesquelles Barjavel posait la question du divin et de la perte de sa connaissance directe par l'humanité].<br /> Il conclut par ces mots : "S'il le fait, ce sera voulu, mais non par lui : ce sera un suicide commandé. Comme est commandé le perpétuel repas où les enfants sont mangés [par les prédateurs]"<br /> <br /> Cette idée de suicide "commandé" renvoie à un des leitmotiv de l'ouvrage, à savoir que l'homme, comme toutes les autres espèces, ne dirige nullement sa vie (physiologique). Par exemple, ses cellules, ses organes fonctionnent indépendamment de sa volonté...<br /> <br /> Raphaël Loffreda
S
En effet : puisque la guerre révolutionnaire existe, Mao l'a analysée et gagnée il y a bien longtemps, il faut la combattre par des moyens appropriés.
R
Effectivement, pour ma part en tout cas, je dois reconnaître que je ne suis pas opposé à toute forme d'intervention militaire. La guerre me semble malheureusement justifiable dans bien des cas. Qu'elle doive être soumise à un droit me semble important, mais sous quelle autorité ? Les Etats-Unis ont mené au nom de la lutte contre le terrorisme une guerre sans aucun rapport en Irak, contre l'avis de l'ONU. Cela ne signifie pas que je condamne totalement la déclaration de guerre au terrorisme de Bush. Ce qui est inquiétant est la forme que cette guerre prend alors même que les terroristes stigmatisés me semblent être les géants imaginaires de Don Quichotte. Ils ne sont certes pas imaginaires ; mais en tant qu'adversaires cohérents, ils n'existent pas plus qu'eux. Donc, en l'occurrence, la voie militaire me semble être sans issue autre que la défaite de l'armée conventionnelle.<br /> Pour ce qui est du droit pénal à l'ONU, peut-être est-il indépendant du politique. Je note cependant que les Etats-Unis refusent de reconnaître la CPI.<br /> <br /> Raphaël Loffreda
S
Dans cette discussion un peu éclatée, personne apparemment ne se prononce contre l'usage de la force à l'égard de ceux qui recourent à la violence quand existe le recours au droit.<br /> Cet usage de la force doit être soumis au droit. Mais à l'échelle de l'ONU n'existe pas vraiment un droit indépendant du politique, sauf en matière pénale.<br /> La guerre au terrorisme est d'abord un acte politique, contre deux attitudes: le pacifisme anti-impérialiste (les autres ont forcément raison, nous les forts, on est par là-même des salauds) et l'idéologie terroriste. Dans le Monde des livres du vendredi 8 février, on trouve un compte rendu très complice du livre de Slavoy Zizek, philosophe et psychanalyste, qui affirme vouloir réhabiliter Robespierre et l'idée d'une "Terreur émancipatrice." <br /> La déclaration de guerre de Bush au terrorisme me révulse infiniment moins, c'est rien de le dire, je ne veux plus être terrorisé.
R
De 2001 à 2005, Terry Jones a écrit de cours textes commentant l'action de George W. Bush. Il les a publié en France sous ce titre : "Ma guerre contre la guerre au terrorisme", accompagné d'un bandeau proclamant: "Un Monthy Python contre l'Axe du Bien". Je ne résiste pas à vous en citer cet éloquent passage : « Il y a une chose qui m’inquiète particulièrement dans la guerre au terrorisme du président Bush : c’est la grammaire. Comment livre-t-on une guerre contre un substantif abstrait ? Comment le terrorisme pourra-t-il capituler ? Les linguistes savent qu’il est très compliqué d’obliger un substantif abstrait à se rendre. » Tocqueville ne l'aurait certainement pas contredit.
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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