G comme Galanterie (française)
La galanterie française désigne une certaine aménité des rapports entre les sexes, que les visiteurs étrangers ont fréquemment remarquée, dès le XVIIe siècle et jusqu’à nos jours. Ce plaisir de vivre ensemble repose sur certains usages de civilité, qui sont superficiels et n’ont rien d’impératif : aucun homme n’est jamais tenu d’être galant. Il n’est surtout pas tenu de l’être en profondeur. il suffit que par jeu, par plaisir et par émulation, certains cherchent à le paraître pour que la galanterie existe. C’est ce dont témoigne Montesquieu : « J'ai assez aimé de dire aux femmes des fadeurs et de leur rendre des services qui coûtent si peu."°
La notion a été discréditée, au XXe siècle, comme un stéréotype national, flatteur pour le particularisme français, mais sans fondement réel. C’est ne pas comprendre qu’elle a une longue histoire qui l’enracine dans la vie aristocratique dès la fin du XVIe siècle. L’adjectif galant prend un sens moderne dans la traduction française du Courtisan de Castiglione. Durant tout l’âge classique, le « galant homme » conjugue deux significations que nous n’associons plus : homme qui connaît les usages de la cour ; homme empressé auprès des femmes. Cette association n’est pas fortuite, elle indique la place éminente que les femmes ont fini par occuper dans la vie de cour et dans la haute société, le pouvoir d’influence qu’elles ont acquis, par les intrigues (ce que dénoncent inlassablement les moralistes), mais aussi par tous les liens qu’elles excellent à nouer, en jouant les rôles d’intermédiaire, de relais, de solliciteuse, de médiatrice, en donnant carrière à ces qualités d’entregent qui sont à la fois nécessaires et impossibles : indispensables à la vie de cour, presque impraticables à l’orgueil viril dans le monde du point d’honneur.
La première décennie du règne de Louis XIV est le moment où le motif culmine dans un extraordinaire climat d’optimisme : l’éloge des dames pour leur beauté, leur sagesse et leur esprit, l’exaltation de l’amour comme foyer des plus hautes vertus, sont régulièrement associée au caractère de Louis et à l’esprit de la nation, au point que la galanterie finit par apparaître comme un thème privilégié de la propagande monarchique. Par ailleurs, si le respect pour les femmes est systématiquement mis en avant, dès l’origine, il couvre souvent le flirt. A partir de la Régence et tout le long du règne de Louis XV, il s’allie sans vergogne au libertinage (ce dont les oeuvres de Crébillon fils, ou de Laclos portent la trace). Le mot galanterie change à nouveau de sens, le monde de la galanterie désigne le milieu des courtisanes. Une galanterie est une liaison.
La révolution française a mis un terme, provisoire, à la mixité d’Ancien Régime. Le lieu du pouvoir, pour un temps, est redevenu masculin. Mais la chute de la monarchie n’a pas aboli complètement les anciens usages aristocratiques. Quelque chose de l’ancienne éminence féminine a survécu. Après la brutale parenthèse napoléonienne, les formes galantes reparaissent dans la société de la Restauration, avec toujours moins de liberté et d’invention. Il est vrai que le moralisme du XIXe siècle ne laisse guère d’espace au jeu galant, et l’on assiste à la codification progressive des bonnes manières (comme le baise-main, qui s’introduit tardivement, à la fin du XIXe siècle), au détriment, de l’énergie érotique et inventive.
Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, ce qui subsistait du phénomène s’est trouvé en butte à un nouveau procès. Le féminisme reproche à la galanterie de couvrir, sous des manières agréables, la domination masculine. Ce n’est donc pas comme passéiste et vieillie, qu’il faudrait y renoncer, mais comme hypocrite et mensongère.
C’est oublier que la galanterie ne cherche pas à produire un règlement définitif, sérieux et rationnel du conflit entre les sexes. C’est une inspiration du moment, qui se contente de charmer les femmes présentes, une conduite qui vise à la fois le plaisir et la distinction : elle ne relève pas de l’obligation morale, mais de l’agrément mondain. Elle s’imprime dans les mœurs, plutôt que dans les lois et se traduit par des discours, par des égards, et par un type de plaisanterie qui fait crédit à l’esprit des femmes (tout le jeu consistant à les associer). On va trop vite à mépriser cette spécificité nationale, par étroitesse d’esprit, ou par humilité mal entendue : la galanterie peut être une ressource, par sa capacité d’infléchir les mœurs en douceur (contrairement à l’action du législateur, forcément réduit à prescrire ou à proscrire).
Claude Habib (auteur(e) de Galanterie française, Gallimard 2006)
°Pensées, Le Spicilège, éd. Louis Desgraves, Laffont, Bouquins, 1991, pensée n° 213.