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vive les sociétés modernes - abécédaire
4 février 2008

G comme Galanterie (française)

La galanterie française désigne une certaine aménité des rapports entre les sexes, que les visiteurs étrangers ont fréquemment remarquée, dès le XVIIe siècle et jusqu’à nos jours. Ce plaisir de vivre ensemble repose sur certains usages de civilité, qui sont superficiels et n’ont rien d’impératif : aucun homme n’est jamais tenu d’être galant. Il n’est surtout pas tenu de l’être en profondeur. il suffit que par jeu, par plaisir et par émulation, certains cherchent à le paraître pour que la galanterie existe. C’est ce dont témoigne Montesquieu : « J'ai assez aimé de dire aux femmes des fadeurs et de leur rendre des services qui coûtent si peu."°

La notion a été discréditée, au XXe siècle, comme un stéréotype national, flatteur pour le particularisme français, mais sans fondement réel. C’est ne pas comprendre qu’elle a une longue histoire qui l’enracine dans la vie aristocratique dès la fin du XVIe siècle. L’adjectif galant prend un sens moderne dans la traduction française du Courtisan de Castiglione. Durant tout l’âge classique, le « galant homme » conjugue deux significations que nous n’associons plus : homme qui connaît les usages de la cour ; homme empressé auprès des femmes. Cette association n’est pas fortuite, elle indique la place éminente que les femmes ont fini par occuper dans la vie de cour et dans la haute société, le pouvoir d’influence qu’elles ont acquis, par les intrigues (ce que dénoncent inlassablement les moralistes), mais aussi par tous les liens qu’elles excellent à nouer, en jouant les rôles d’intermédiaire, de relais, de solliciteuse, de médiatrice, en donnant carrière à ces qualités d’entregent qui sont à la fois nécessaires et impossibles : indispensables à la vie de cour, presque impraticables à l’orgueil viril dans le monde du point d’honneur.

La première décennie du règne de Louis XIV est le moment où le motif culmine dans un extraordinaire climat d’optimisme : l’éloge des dames pour leur beauté, leur sagesse et leur esprit, l’exaltation de l’amour comme foyer des plus hautes vertus, sont régulièrement associée au caractère de Louis et à l’esprit de la nation, au point que la galanterie finit par apparaître comme un thème privilégié de la propagande monarchique. Par ailleurs, si le respect pour les femmes est systématiquement mis en avant, dès l’origine, il couvre souvent le flirt. A partir de la Régence et tout le long du règne de Louis XV, il s’allie sans vergogne au libertinage (ce dont les oeuvres de Crébillon fils, ou de Laclos portent la trace). Le mot galanterie change à nouveau de sens, le monde de la galanterie désigne le milieu des courtisanes. Une galanterie est une liaison.

La révolution française a mis un terme, provisoire, à la mixité d’Ancien Régime. Le lieu du pouvoir, pour un temps, est redevenu masculin. Mais la chute de la monarchie n’a pas aboli complètement les anciens usages aristocratiques. Quelque chose de l’ancienne éminence féminine a survécu. Après la brutale parenthèse napoléonienne, les formes galantes reparaissent dans la société de la Restauration, avec toujours moins de liberté et d’invention. Il est vrai que le moralisme du XIXe siècle ne laisse guère d’espace au jeu galant, et l’on assiste à la codification progressive des bonnes manières (comme le baise-main, qui s’introduit tardivement, à la fin du XIXe siècle), au détriment, de l’énergie érotique et inventive.

Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, ce qui subsistait du phénomène s’est trouvé en butte à un nouveau procès. Le féminisme reproche à la galanterie de couvrir, sous des manières agréables, la domination masculine. Ce n’est donc pas comme passéiste et vieillie, qu’il faudrait y renoncer, mais comme hypocrite et mensongère.

C’est oublier que la galanterie ne cherche pas à produire un règlement définitif, sérieux et rationnel du conflit entre les sexes. C’est une inspiration du moment, qui se contente de charmer les femmes présentes, une conduite qui vise à la fois le plaisir et la distinction : elle ne relève pas de l’obligation morale, mais de l’agrément mondain. Elle s’imprime dans les mœurs, plutôt que dans les lois et se traduit par des discours, par des égards, et par un type de plaisanterie qui fait crédit à l’esprit des femmes (tout le jeu consistant à les associer). On va trop vite à mépriser cette spécificité nationale, par étroitesse d’esprit, ou par humilité mal entendue : la galanterie peut être une ressource, par sa capacité d’infléchir les mœurs en douceur (contrairement à l’action du législateur, forcément réduit à prescrire ou à proscrire).

Claude Habib (auteur(e) de Galanterie française, Gallimard 2006)

°Pensées, Le Spicilège, éd. Louis Desgraves, Laffont, Bouquins, 1991, pensée n° 213.

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Commentaires
P
Dans De la Démocratie en Amérique (II 3 11/12) A. de Tocqueville exprime son admiration pour la manière dont les Américains conçoivent les relations entre les sexes, égaux mais séparés (separate ways),au contraire de ce qui est pratiqué en France; et il précise au passage:"Ce qui met en danger la société, ce n'est pas la grande corruption de quelques-uns, c'est le relâchement de tous. Aux yeux du législateur, la prostitution est bien moins à redouter que la galanterie"...Ce n'est peut-être pas une ses pages les plus inspirées.
P
Il arrive qu'on oppose, comme le rappelle Claude Habib dans cet article passionnant, galanterie et égalité (des sexes). Mais n'est-ce pas confondre une nouvelle fois l'égalité (qui ne veut pas dire identité) et l'égalitarisme (qui traque toute différence)?
Y
Remarquons d'abord que la galanterie fut précédée par la courtoisie. Que leurs développements codifiés leur donnent toutes les apparences de la culture. Mais la muflerie, la rudesse sont elles des expressions de la nature? Je ne le pense pas. Ce sont aussi des conduites culturelles, portées par des discours sur les hommes et les femmes affirmant leur séparation et leur inégalité. Ils ont une version moderne...utilitaire (nous sommes égaux, alors finis les chichis).<br /> Les plus primitives des sociétés ont des rites nuptiaux très élaborés et très contraignants. Dans notre culture, le mariage religieux est chargé de symboles dont le sens n'est plus connu.<br /> En dehors du mariage, la sexualité humaine a longtemps été réprimée, favorisant par les frustrations imposées les conduites en rupture avec les règles, comme le viol.<br /> Mais le viol n'existe pas chez les primates, ni au sein d'aucune autre espèce animale supérieure. L'accouplement est mutuellement consenti, après des travaux d'approche propres à l'espèce, destinés à attirer vers la réalisation de l'acte la femelle*. (il n'y a pas non plus de viol des mâles par les femelles, fantasme commun dans l'espèce humaine).<br /> Rites nuptiaux, courtoisie, galanterie, flirt, pourraient donc bien être des faits de nature, repris et accommodés par l'hominisation.<br /> C'est un bon argument à opposer à la muflerie militante! <br /> <br /> * Le choix de la femelle, "courtisée" par plusieurs prétendants, serait en fait guidé par le meilleur profit pour l'espèce, et non fonction des talents du vainqueur.
P
Galant<br /> <br /> "Ce mot vient de gal, qui d’abord signifia gaieté et réjouissance, ainsi qu’on le voit dans Alain Chartier et dans Froissard: on trouve même dans le Roman de la Rose, galandé, pour signifier orné, paré. <br /> <br /> <br /> La belle fut bien atornée, <br /> Et d’un filet d’or galandée. <br /> <br /> Il est probable que le gala des Italiens, et le galan des Espagnols, sont dérivés du mot gal, qui paraît originairement celtique: de là se forma insensiblement galant, qui signifie un homme empressé à plaire..." (Dictionnaire philosophique)
R
En écho à ce beau billet, des mots de Montesquieu me reviennent à l'esprit: "C'est l'envie de plaire qui donne de la liaison à la société". Il est dans cette perspective certain que l'art de la parole et du compliment, en un siècle et un lieu (les cours royales, particulièrement celle de Versailles) où la distinction et la reconnaissance se jouaient sur quelques gestes et regards, ainsi que la maîtrise d'une géopolitique des sexes étaient un exercice autant délicat et raffiné qu'essentiel.
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