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vive les sociétés modernes - abécédaire
1 février 2008

G comme Générosité (et individualisme)

On reproche souvent aux hommes des sociétés modernes leur individualisme, c'est à dire leur souci excessif d'eux-mêmes et de leurs intérêts. A la vérité ce reproche, pour répandu qu'il soit, est-il complètement fondé? Ne repose-il pas sur une conception de la générosité qui devrait être élargie?

En effet et paradoxalement, pour bien se conduire envers autrui, pour agir dans son intérêt, la priorité consiste à s'assumer matériellement soi-même, à assumer ce que l'on doit à sa famille, et aussi à s'acquitter à travers l'impôt de son devoir de solidarité à l'égard de la société.

On a déjà beaucoup fait pour les autres quand on a évité d'une façon ou d'une autre de vivre à leur charge. Comme l'écrit Rousseau dans une page insuffisamment connue de l'Emile : " La seule leçon de morale qui convienne à l'enfance, et la plus importante à tout âge, est de ne jamais faire de mal à personne. Le précepte même de faire du bien, s'il n'est subordonné à celui-là, est dangereux, faux, contradictoire [...] Les plus sublimes vertus sont négatives, parce qu'elles sont sans ostentation, et au-dessus même de ce plaisir, si doux au cœur de l'homme, d'en renvoyer un autre content de nous. O quel bien fait nécessairement à ses semblables celui d'entre eux, s'il en est un, qui ne leur fait jamais de mal ! ".°

Ce que nous devons à nos concitoyens, à commencer par les plus démunis, ce n'est pas d'abord de participer aux restos du coeur (même si c'est très bien) ou au téléthon (ce qui est aussi très bien), mais d'assurer par notre travail (si nous en sommes physiquement capables et si nous en avons un ) notre vie et notre contribution à la société. C'est pourquoi il serait temps d'en finir avec le mépris pour tous ceux qui se " contentent " d'assurer leur autonomie matérielle : ce n'est pas un si petit mérite que de ne pas peser économiquement sur les autres et de participer à l'enrichissement de tous.

Pierre Gautier

°Kant écrira dans le même sens, quelques décennies plus tard, que l'espèce humaine subsisterait "encore dans de meilleures conditions" avec des hommes indifférents mais honnêtes que "lorsque chacun a sans cesse à la bouche les mots de compassion et de sympathie, et trouve même du plaisir à pratiquer ces vertus à l'occasion, mais en revanche trompe quand il le peut, trafique du droit des hommes ou du moins y porte atteinte. " (Fondements de la métaphysique des moeurs). Il rejoint ainsi bien d'autres philosophes rationalistes qui se défient des vertus provenant surtout d'une impulsion sentimentale et qui tendent à faire négliger ou dédaigner les vertus strictement commandées par la justice.

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Commentaires
Y
La nature est une abstraction sans désir ni intention. Par contre les espèces grégaires ont sûrement un avantage "naturel" à la solidarité groupale. L'espèce humaine bénéficie en plus du "retour sur investissement". René Girard y verrait une manifestation de son mimétisme. Pourquoi-pas?
V
"La générosité est un dévouement aux intérêts des autres, qui porte à leur sacrifier ses avantages personnels. En général, au moment où l’on relâche ses droits en faveur de quelqu’un, et qu’on lui donne plus qu’il ne peut exiger, on devient généreux. La nature, en produisant l’homme au milieu de ses semblables, lui a prescrit des devoirs à remplir envers eux. C’est dans l’obéissance à ces devoirs que consiste l’honnêteté, et c’est au delà de ces devoirs que commence la générosité. L’âme généreuse s’élève donc au-dessus de l’intention que la nature semblait avoir en le formant. Quel bonheur pour l’homme de pouvoir ainsi devenir supérieur à son être!" (Dictionnaire philosophique)
Y
Lola a raison, la charité, même laïcisée, est effectivement datée, Mais tellement inscrite dans nos valeurs que peu de "sur-moi" ou "d'idéal du moi", façonnés par notre histoire et notre culture, lui échappent.<br /> <br /> Le mode de fonctionnement ne dépend pas de la dose de spiritualité qui l'a fondé et l'accompagne encore chez les croyants.<br /> Il a son autonomie.<br /> Le civisme, également vertu, est d'une autre nature, a une autre histoire.
L
La charité est une vertu chrétienne, un mot chrétien, et Ricoeur pense dans ces termes en dehors desquels ce qu'il dit perd beaucoup de son sens.<br /> Pour un chrétien la charité est l'amour du Christ à travers le prochain ; elle consiste à faire le bien par amour du Christ, à son exemple divin, sans autre raison que l'humble soumission à ce modèle, par adoration pour lui et son enseignement ; ce faisant le chrétien devient témoin du christ, il porte sa parole par ses actions.<br /> Ricoeur va plus loin encore dans cette pensée : quand on oeuvre pour son prochain, qu'on le sache ou non, qu'on se dise chrétien ou non, on laisse parler en soi le Christ, on est dans la charité chrétienne ; on est un témoignage vivant du Christ.<br /> Mais quand tu parles toi (Pierre) de générosité, tu n'es pas dans cette pespective chrétienne de la foi en un mystère qui modèle la conduite et les âmes; tu es dans une perspective humaine avec des mots humains et des valeurs morales humaines sans lien avec une transcendance.<br /> En conséquence je persiste à trouver plus clair de réserver le terme de générosité à certaines conduites délibérément (ce qui ne veut pas dire ostensiblement) altruites, et ceux de civisme, d'honnêteté, de solidarité... aux conduites citoyennes que tu décris.
J
A quelle entrée du dictionnaire correspond le mieux, finalement , la réflexion de Pierre? Il annonce qu'il parle de Générosité et Lola, éclarant très justement ce terme, lui reproche d'avoir fait quelque violence à la générosité en la réduisant à l'effort premier de se suffire économiquement à soi-même et de ne pas peser à la collectivité. <br /> Mais Pierre lui-même avait commencé par placer la générosité en regard de l'Individualisme, les associant pour qu'on cesse de les opposer systèmatiquement comme le font les "belles âmes" qui agacent tant les "esprits grincheux". Alors, entrée G, entrée I.. ou entrée P comme plaisir? Plaisir (principe de)selon Yves Leclerq? Plaisir "d'en renvoyer un autre content de nous", selon Rousseau? <br /> Ajouterai-je à l'incertitude alphabétique en suggérant que c'est à O comme Ostentation que l'article aurait été le plus judicieusement placé?<br /> N'est-ce pas cette manière de faire en montrant bien qu'on fait qui nous donne l'impression que quelque chose sonne faux dans la vertu de qui se targue de sa générosité altruiste comme dans la leçon que donne, aux autres, celui qui prétend en avoir bien assez fait en atteignant son autonomie matérielle et en payant ses impôts?
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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