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vive les sociétés modernes - abécédaire
26 octobre 2007

D comme Dogme (et de son utilité en religion)

Voilà un vocable qui fait frémir nos contemporains et pour cause. Il est pourtant grand temps de chercher à réhabiliter cette notion, qui loin de renvoyer à une pensée totalitaire et totalisante, pétrifiée et close dans son autosuffisance, ne traduit initialement que ce qui « apparaît », ce qui « paraît » et ce qui « semble » ; ce qui peut donc changer avec le temps, le contexte, ou les diverses traditions qui s’y rattachent. Étymologiquement, le dogme est en effet du domaine de la doxa, et donc de l’opinion, de la conjecture, de la croyance. Paradoxalement, il se trouve ainsi en opposition avec l’alêtheia, la vérité.  Mais c’est quand la croyance devient « doctrine », voire « doctrine communément acceptée », qu’elle acquiert progressivement le statut de « vérité irréfutable » par le magistère de l’église, car ce qui est de l’ordre de la croyance, relève en religion de la foi, c’est-à-dire de l’adhésion à des principes ou des vérités émanant des Écritures ou de la Tradition de l’église. Or l’acte de foi est un acte libre qui implique aussi la raison et permet le doute. Quand un concile[1] se réunit pour traiter de questions de doctrine, impliquant des problèmes philosophiques ou théologiques extrêmement complexes, il ne fait que répondre en réalité à une demande pressante de clarification et de définition de ce qui apparaît encore obscur ou déficient dans sa formulation. Ceci entraîne inévitablement une prolifération d’hérésies, c’est-à-dire d’un ensemble de croyances, encore une fois, mais qui relèvent d’un « choix » particulier (encore l’étymologie…hairein : choisir) et qui demandent à être examinées. Mais il faut le dire et y insister, les hérésies ne sont pas apparues historiquement après, mais avant les formulations dogmatiques diverses, même si ces dernières ne les ont pas évidemment fait disparaître. Dans les premiers siècles du Christianisme, c’est en réponse à ces « choix » se réclamant des origines, que le « dogme » s’est constitué, définissant plus étroitement son rapport aux textes sacrés. Si le « dogme » se présente comme une formulation concise d’une vérité complexe prétendant à l’universel, le propre de l’hérésie serait la particularité d’une « opinion » apparaissant toujours comme réductrice, voire réductionniste. (Voir, Jean-Daniel Dubois, « Le dogme et l’hérésie », in La fidélité, Paris, Autrement, 1992, pp. : 119-129. ) Rien donc d’extraordinaire jusqu’à présent (le discours scientifique fonctionne de manière presque identique) et il faut rappeler que notre époque, qui demande instamment des « réglementations » de plus en plus complexes et contraignantes pour protéger une profession donnée, ainsi que  l’avis des « experts » sur tout, ne fait pas autre chose.[2] Les dérapages au cours de l’histoire et encore aujourd’hui ont été nombreux certes…Quand une « enquête » (inquisitio) bascule en une juridiction d’une rare violence pour réprimer toute « opinion » qui s’écarte de la règle instituée, et même pour interdire sa diffusion (Voir, l’Index librorum prohibitorum), l’Église sort de son rôle de « gardienne » de la foi pour devenir ferment de haine et d’exclusion. Mais chercher à bannir toute formulation dogmatique (qui, par définition nous l’avons vu, est appelée à n’être que « provisoire », sauf pour les vérités dites « révélées ») ouvrirait la voie à l’ « illuminisme » et à des confessions de foi « privées » qui se multiplieraient à l’infini. Le dialogue interconfessionnel contemporain, aspirant à restaurer l’unité des chrétiens, connu sous le nom d’œcuménisme, et qui est à distinguer du dialogue interreligieux, qui concerne celui avec les autres religions, a mis en évidence de grandes divergences entre les trois grandes confessions chrétiennes (catholicisme, orthodoxie, protestantisme) sur ces questions là et même sur ce que chacune entend par « dogme ». Ce qui montre bien que la question du dogme en religion ne constitue, en réalité, qu’une sorte de « cadre », qui sert de référence, et qu’elle est toujours liée à celle d’une réflexion théologique et philosophique jamais close. Pour l’orthodoxie, par exemple, la définition dogmatique est proprement un  horos, c’est-à-dire une limite, définition faite toujours « à regret », car « les concepts créent des idoles de Dieu, le saisissement seul pressent quelque chose » (Saint Grégoire de Nysse). Et les idoles créent des croisades et des guerres « justes », des excommunications et des interdits, tandis que seule une argumentation raisonnée, basée sur les fondements de la foi, accompagnée de charité et d’esprit fraternel, est de mise pour « affronter » l’ « autre », quel qu’il soit.   

Vassiliki-Piyi CHRISTOPOULOU

[1] ou mieux un synode; ce terme me paraît encore plus parlant, car il me fait penser à la conjonction (synodos) des planètes en astronomie, qui désigne la position des astres ayant la même longitude, mais à partir d’une position donnée de la terre.

[2] La science est censée fonctionner de manière diamétralement opposée à la foi ; or les discussions théologiques sur des points de doctrine qui relèvent d’une rationalité ordonnée et instruite en matière de croyance religieuse, s’apparentent aisément à celles des scientifiques qui se réunissent pour (re)définir un point de théorie qui pose problème. A la différence près que l’argumentation théologique et ses conclusions ne se fondent pas sur l’expérimentation et donc à un empirisme  vérifiable. Les théories scientifiques relèvent du « vrai » et du « faux » au sens poppérien du terme et peuvent à tout moment être réfutées et remplacées par d’autres. En science, il n’y a pas de « vérités éternelles », et pourtant l’expérience montre que les guerres de chapelles, la pensée « unique », l’intolérance et l’aveuglement fanatique sont loin d’être l’apanage d’une forme dégénérée de religion institutionnalisée, car la science peut constituer une autre  forme de religion.


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Commentaires
R
le moins que je puisse dire, est que cet article ainsi que ses commentaires m'ont permis d'envisager le dogme dans une perspective plus ouverte qu'auparavant. Il n'en reste pas moins que les dogmes et les doctrines me semblent faibles, voire nuls, pour permettre aux religions de donner du sens, encore moins de la compréhension. Or je crois qu'il s'agit là d'une des raisons d'être des religions.<br /> <br /> Si Dieu existe au sens des chrétiens, ou même des juifs ou des musulmans, pour les religions que je connais un peu, il est indéniable qu'il a donné aux hommes, à sa création, la capacité de douter, de réfléchir par eux-mêmes, qu'il leur a donné ainsi la capacité de se forger, de devenir par leur seule volonté des hommes pour paraphraser Pic de la Mirandole qui met ces mots dans la bouche du "Parfait Artisan" (le petit nom de Dieu), à destination d'Adam : "Tu n'es limité par aucune barrière [...]. Je t'ai installé au milieu du monde afin que de là, tu examines plus commodément tout ce qui existe, [...] que maître de toi-même tu te composes la forme que tu auras préférée". Sympa de sa part tout de même, car il n'y était clairement pas obligé. Bref, n'est-ce pas faire offense à Son précieux don que de ne pas l'utiliser pour examiner tout ce qui nous entoure ? C'est en cela que le dogme me semble en lui-même contradictoire avec l'oeuvre divine : la foi ne devrait pas résulter d'un abandon de sa raison, d'un échec de sa raison à comprendre. Je suis d'accord avec l'auteur du billet : elle l'est de fait, mais c'est à mon sens une erreur et un paradoxe.<br /> <br /> C'est d'autant plus un paradoxe que nombre de dogmes fondamentaux eux-mêmes sont en pleine contradiction avec les Textes saints. Pour faire évoluer le message religieux originel en l'adaptant aux nécessités humaines historiques, les clergés ont du faire oeuvre de démiurge en énonçant des vérités que d'autres se devront de gober parce qu'étant supérieures. L'évolution du pacifisme chrétien originel par exemple, l'un des messages au centre de la vie et de la pensée de Jésus ! Mais la Trinité également... En fait, Dieu est inaccessible... mais aux masses uniquement, pas à ses prêtres qui ne se limitent pas à interpréter le message des Textes et à le diffuser, mais encore à le façonner. Maîtrise du savoir, maîtrise de l'écrit : le pouvoir des uns me semble tenir à l'ignorance des autres (ne disait-on pas au Moyen Age qu'un homme qui ne parlait pas le latin, langue étant devenue à l'époque, et depuis saint Jérôme, celle des Textes sacrés, qu'il était précisément un ignorant ?). Dans les religions sans textes, non révélées, la divinité est encore présente sur terre, elle se manifeste très régulièrement, en permanence même, et cette souplesse évite de les confronter à la raison humaine au même titre que les religions du Livre dont le message est manifestement inscrit pour TOUJOURS dans un contexte historique précis. Certainement qu'il y a des dogmes dans les deux cas, mais les règles ne me semblent plus les mêmes.<br /> <br /> Car enfin, qui peut aujourd'hui croire à ce qui est raconté dans nombre de passages de la Bible ? Prenons les toutes premières pages de la Genèse, à titre de simple exemple : Dieu crée au troisième jour les plantes, la verdure, les arbres fruitiers, et seulement au quatrième jour le soleil, "luminaire du ciel" qui par la photosynthèse permet précisément physiquement à ces plantes de pousser. Je ne renvoie pas la science face à la religion, je renvoie Dieu face à lui même, puisque c'est précisément lui qui a crée et les plantes, et le soleil ET la photosynthèse ! Je n'évoque même pas la contradiction qui n'échappais pourtant pas aux hommes qui ont rédigés ces lignes voilà plusieurs millénaires consistant à créer le jour et la nuit avant le soleil et les étoiles ! Peut-être était-ce une volonté consciente d'introduire une dimension inaccessible à la raison purement humaine pour atteindre et comprendre le message révélé, de pousser à fonder la religion sur l'abandon de notre raison, don de Dieu je le rappelle, pour lui préférer l'ignorance. Pourquoi Dieu aurait-il caché sa Révélation, son message, en même temps qu'il le communiquait aux hommes ?<br /> <br /> Mais je m'éloigne, m'énerve seul derrière mon clavier... en plus j'écris en même temps que je réfléchis et de multiples réponses font alors jour en moi, or je ne voudrais pas me mettre à réfléchir seul sur internet, ce serait pour le coup très paradoxal ! Peut-être que la constitution d'un clergé, d'un groupe d'homme dominant les autres afin de mettre de l'ordre dans la société humaine fait-il également parti du dessein divin, qu'est-ce que j'en sais après tout, moi ?<br /> <br /> Il me semble avoir déjà cité Rama Krishna sur ce blog, mais sa réflexion est fort à propos dans le cadre de ce commentaire : "les religions sont des chemins qui mènent à Dieu, mais les chemins ne sont pas Dieu". <br /> <br /> RL
V
Cher Pierre,<br /> <br /> vous l'avez compris, mon but n'était pas de défendre l'Eglise, encore moins l'église catholique, dont je ne fais pas d'ailleurs partie. Or je voulais comprendre la "logique" d'une utilité des définitions doctrinales ou doctrinaires dans le temps, d'autant plus qu'elles ne concernent pas seulement l'église mais la pensée en général. Pour reprendre les affirmations de Marcel Conche, moi, je ressens les choses autrement. Par "éclairantes" j'entends une première clarification, qui nous sort du désordre et du flou initial des opinions diverses, mais qui laisse suffisamment d'espace et de marge pour des interprétations divergentes et pour que l'"incompréhensible" justement puisse avoir sa place. Vous me direz, ce n'est pas comme ça que comprend le dogme le fidèle lamda. Il cherche plutôt des réponses définitives et rassurantes. Mais celles-ci concernent plutôt des questions "périphériques" (morale sexuelle, célibat des prêtres etc...) que les protestants par exemple ou les orthodoxes ne considèrent pas du tout de la même façon, ou même ne considèrent pas du tout...Il y a des dogmes que toutes les églises chrétiennes partagent et d'autres, comme le dogme de l'"immaculée conception" que seule l'Eglise catholique reconnaît et défend. Quand je parle de doctrines "éclairantes", je me réfère surtout aux grandes questions théologiques et philosophiques, comme le dogme de la Trinité par exemple ou le péché originel, ou certains articles du credo, qui malgré leur définition "officielle" gardent leur mystère intact et entier. Dans ce sens, tant mieux si "on n'y comprend rien". Un dogme doit rester suffisamment incompréhensible pour laisser ouverte la discussion et ne rester qu'un "dogme", c'est à dire une "croyance" que les fidèles ou même un prochain concile pourrait réexaminer et redéfinir...Merci pour cet échange fructueux.<br /> <br /> Amicalement,<br /> Vicky
P
On aimerait qu'il en soit comme vous dites: que les dogmes ne soient pas "dogmatiques" et surtout qu'ils éclairent l'esprit. Comment se fait-il alors que ces "doctrines éclairantes" , selon votre proppre expression, soient souvent si décourageantes pour la raison?(le philosophe Marcel Conche raconte que s'il s'est détaché très tôt du catholicisme c'est qu'"il n'y avait pas ce que l'on pouvait comprendre et ce que l'on ne pouvait pas comprendre: rien n'était clair, tout était incompréhensible, quoique inégalement". Il n'est pas le seul)
V
Cher ami,<br /> <br /> je vous remercie de vos remarques et l'analogie avec le système immunitaire me semble pertinente. A tout moment, il peut y avoir en effet des "agressions" par des "infidèles" (microbes et virus) que les gardiens de la foi doivent "virer". À tout moment, il se forme des "hérésies" (mutations, cancers) qui doivent être reconnus et éliminés. C'est encore le médecin qui parle. Vous semblez dire qu'on a longtemps cru que les sociétés humaines devaient fonctionner selon ce principe et qu'on a fini par se rendre compte que, sans tomber dans l'anarchie, la pensée unique n'était pas indispensable, et que les individus étaient plus heureux, sans. Mais pour conclure, j'aimerais rappeler que par "déformation professionnelle" certainement (mais que j'assume complètement!)j'essaye d'envisager les deux, voire, les multiples aspects de chaque chose, surtout ceux qui ne sont pas "à la mode". Votre point de vue fait partie de mon propos mais vous ne semblez pas vouloir envisager le mien. Est-ce que vous n'êtes pas en train, presque à votre insu, de revenir à cette analogie du système immunitaire, qui "rejette"l'"intru"?<br /> Amitiés,<br /> Vicky
V
Chère Vicky,<br /> Je persiste et je signe. Il n'est pas possible de réhabiliter un mot en invoquant sa signification originaire. Son sens d'aujourd'hui concerne l'ensemble des hommes qui le connaissent.<br /> Est-il "utile" ou armature de toute religion ou de toute idéologie? Peut-il y avoir religion ou idéologie "libre-service" ou "à la carte"?<br /> Il y a une similitude entre le dogme, son incorporation par le sujet, et la fonction immunitaire. Leur différence tient à ce que dans le premier cas, l'homme peut en prendre conscience et neutraliser la violence des rejets réciproques, alors que la fonction immunitaire est vitale et ne peut être réprimée sans risque.
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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