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vive les sociétés modernes - abécédaire
30 octobre 2007

D comme Droits (d'auteur) numériques.

Le développement d’internet et du téléchargement a eu un effet inattendu sur le droit d’auteur. Soudain, il s’est opéré une sorte de transfert de propriété de l’œuvre artistique, de l’auteur à l’utilisateur. Car désormais, c’est bien ce dernier qui en dispose librement, comme s’il en avait la pleine propriété. Il peut se la procurer gratuitement et l’offrir sans limites, y compris à des personnes qu’il ne connaît pas. Ce « droit d’utilisateur », que beaucoup revendiquent haut et fort, a réduit le droit d’auteur à néant.

En théorie, la copie n’est autorisée qu’à des fins privatives. Mais on sait ce qu’il en est dans les faits. Et comme le législateur n’a pas la même tendresse pour le créateur artistique que pour le créateur industriel (on imagine le scandale si les détenteurs de brevets étaient ainsi dépouillés de leurs créations), on peut craindre que beaucoup d’auteurs ne soient réduits à la précarité.

Avec l’arrivée sur le marché de véritables petites merveilles technologiques (des livres numériques d’une page qui peuvent télécharger cent romans et offrent une lecture aussi agréable qu’une feuille imprimée), l’épineuse question du téléchargement gratuit va ressurgir.

Cette fois, ce ne sont plus les musiciens ou les chanteurs qui seront concernés, mais les auteurs de l’écrit.

Si un auteur compositeur peut encore percevoir des droits de diffusion (radio ou télévision) et tirer des revenus des concerts, un écrivain, lui, ne perçoit des droits que sur la vente de ses livres. Lorsque les fichiers de ses textes s’échangeront aussi facilement et gratuitement que la musique — et on voit mal pour l’instant ce qui pourrait s’y opposer —, l’écrivain se verra privé de sa seule source de revenus.

Que l’écrivain soit ainsi assassiné par ses propres lecteurs, voilà qui semble assez savoureux. En revanche, à terme, le préjudice subi pourrait ne plus faire sourire. Car si des voix qui échappent à tout formatage sont amenées à se taire, ce seront autant d’œuvres dont la singularité émeut, dérange ou interpelle qui ne verront plus le jour.

Notre culture, fondée en grande partie sur l’écrit, ne sortirait sûrement pas gagnante de cette absence.

Sauf si l’on décide que nos sociétés « modernes » peuvent assumer ce risque, il devient donc urgent d’assurer la protection des œuvres artistiques, au même titre que toute autre invention.

Rémi Stefani

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Commentaires
V
Cher Rémi,<br /> <br /> Je ne peux qu’être tout à fait d’accord avec vous. Celui qui n’aurait comme réponse à votre <br /> « mise en garde » (vous tirez en fait une sonnette d’alarme ici) que la non rémunération n’empêchera pas les artistes de créer, passe à coté de votre réflexion principale et déplace le problème sur un terrain différent. <br /> « Psychologiser » cette question ne nous aiderait pas plus, ce serait même réducteur. C’est vrai que les gens connaissent beaucoup de médecins, secrétaires ou hommes d’affaires qui ont une passion « à côté », comme l’écriture, la peinture ou la sculpture, tandis qu’on ne connaît pas encore de sculpteur qui gagne bien sa vie, mais qui irait quand-même travailler par « passion » comme caissier dans un supermarché…quoique…la condition humaine fait preuve d’une telle richesse dans ce qui est de l’ordre du vécu, qu’on pourrait rencontrer peut-être un artiste, qui gagne très bien sa vie, en tant qu’artiste, mais qui choisit de faire un travail « ordinaire » à côté, pour être en contact avec la « vraie vie » comme on dit…on ne sait jamais…Mais tous ces commentaires passent à côté du sujet qui est le vôtre et que vous défendez d’une manière précise et lucide. C’est des droits d’auteur que vous nous parlez ici, en confrontation avec les droits de l’utilisateur, et c’est au législateur que vous vous adressez en priorité, dans l’univers multimédia d’aujourd’hui et notre culture qui privilégie l’écrit. Et je pense que la discussion générale aurait beaucoup à gagner si elle ne mettait pas sur le même plan l’écrivain et le peintre ou le sculpteur. L’écrivain qui offre une version numérique de ses écrits, accessibles à tous, est-il dans la même situation que le sculpteur qui vit de ses productions, impossibles à « numériser » ? Qui serait plus susceptible de se voir dépossédé de son travail et privé de la rémunération conséquente ? vous avez vous-même donné la réponse à cette question. <br /> <br /> Cordialement,<br /> <br /> Vassiliki-Piyi CHRISTOPOULOU
R
Nous sommes d’accord, l’atelier des artistes est rempli d’invendus, le bureau des auteurs rempli de manuscrits non publiés et j’ai envie de dire que c’est à eux d’assumer cet échec ou — si on veut être gentil — ce manque de reconnaissance <br /> Mais encore une fois, ceci est vrai pour beaucoup de domaines. L’inventeur d’un logiciel ou d’une pompe à eau ne crée pas son bébé d’un coup d’un seul. Et beaucoup de projets restent, là aussi, dans les cartons.<br /> Et c’est bien une raison supplémentaire, au vu de l’investissement démentiel, souvent en pure perte, de bien rémunérer celui qui « perce ». Qui accepterait de travailler si longtemps pour rien (en argent) s’il n’a pas la récompense en cas de réussite?<br /> Les artistes, dites-vous, qui ne pourraient pas s’empêcher de créer, sous prétexte de pulsion ou de narcissisme. <br /> Moi, je crois que l’exigence narcissique (qui existe bien) pose toujours — à quelques exceptions près — la reconnaissance comme préalable et que l’une ne va pas sans l’autre. Qu’ai-je à faire d’avoir écrit un bouquin s’il n’est pas publié et donc pas lu ? Certains, très rares, s’éditent à compte d’auteur — et dans ce cas, vous avez raison — mais avouez qu’il est difficile de généraliser à partir de ces cas isolés, au narcissisme hypertrophié. Et admettez que si la reconnaissance assouvit indubitablement l’exigence narcissique, le refus d’un éditeur ou le rejet du public ne doit pas la satisfaire beaucoup ! « Prendre une claque », comme on dit, fait rarement du bien à l’ego.<br /> A mon avis, il y a eu une sorte de confusion ou plutôt, un glissement. Le métier d’écrivain (ou d’artiste en général) ne se concevant pas sans passion, on a fini par conclure que l’assouvissement de cette passion était déjà une forme de rémunération. Ce qui n’est pas le cas des activités où l’investissement n’est pas jugé aussi nécessaire. Dans ces métiers, la passion n’étant pas considérée comme un critère indispensable, elle ne sera jamais invoquée comme monnaie d’échange.<br /> Enfin, sur les risques encourus, on peut remarquer qu’historiquement, le soutien —financier — vis-à-vis des arts et des lettres a toujours correspondu avec des périodes d’explosion artistique. La Renaissance aurait-elle existé sans François 1er ? Quel est le pays où l’on compte le plus d’auteurs ? Le pays des droits d’auteur ! <br /> J’ai malheureusement tendance à croire que le contraire, lui aussi, est vrai.<br /> Cordialement
V
Bien évidemment, je ne nie pas le travail qui est derrière toute production artistique (les livres en font partie). L'exigence de perfection par et pour l'artiste implique un travail considérable. Mais cette exigence est narcissique et ne pose pas le préalable d'une reconnaissance. Par contre, une fois que cette reconnaissance est acquise, elle doit permettre à l'artiste de bien vivre. C'est une conquête qui a commencé au XVIIIème siècle, quand les artistes se sont dégagés de leur statut de domestiques.<br /> Une régression est inacceptable, et il faudra bien trouver des solutions aux problèmes nouveaux posés par ce non-respect des droits des créateurs. Mais, même confrontés à cette crise de société, les artistes continueront à créer, pour eux mêmes. Les ateliers de peintres et de sculpteurs sont encombrés d'invendus, il doit y avoir beaucoup de manuscrits dans les antres des écrivains.
R
Il existe des systèmes. Itunes permet par exemple de télécharger des titres musicaux et de les copier un nombre de fois limité (il faut garder la possibilité de donner son fichier comme on prête un disque). Ce pourrait être une solution.<br /> Cela dit, la fréquente exagération des sites marchands au niveau des prix apporte de l’eau au moulin de ceux qui exigent la gratuité totale (les fichiers des romans qui sont en vente actuellement coûtent pratiquement le prix d’un livre papier alors que le prix de revient est très faible). Si l’excès répond à l’excès, on est mal partis.<br /> Il est certain néanmoins que certains sites, qui permettent les échanges entre gens qui ne se connaissent pas, devront être réglementés. Car générer autant d’argent en spoliant ceux dont on diffuse les œuvres est, à mon avis, une véritable escroquerie. Commençons d’abord par interdire aux annonceurs publicitaires d’être présents sur ces sites et ils cesseront immédiatement leur activité. <br /> Mais en dehors du fait que personne n’a envie d’une répression poussée à l’extrême, ces interdictions restent contraire à l’esprit historique d’internet, dont on ne peut nier les avantages. <br /> Pas simple donc de naviguer dans cet océan de contradictions.
R
Si je vous suis bien — car vous semblez au départ vouloir protéger la notion de propriété intellectuelle — ne pas rémunérer les artistes ne tarirait pas la création artistique. J’espère pour eux que le législateur ne raisonnera pas de cette façon, sinon je crains un léger manque de motivation.<br /> Diriez-vous la même chose pour un médecin ? Ne pas payer ceux qui manifestent une vocation irrépressible pour leur métier ne changerait rien à la médecine ?<br /> Il est curieux de constater qu’en ce qui concerne les artistes, la notion de « plaisir », voire de « besoin », au sens de pulsion, paraisse exclure l’idée de travail. Beaucoup sont persuadés qu’écrire n’est pas un travail. Un auteur ne devrait-il pas avoir un « vrai » métier à côté?<br /> Vous-même d'ailleurs semblez opposer cette "pulsion" (non travail) au "retour sur investissement" (fruit du travail), comme si la satisfaction de l'une devait faire que vous puissiez (vous deviez?) vous passer de l'autre. <br /> Pas d’accord bien sûr. Le fait d’être incapable de faire son travail sans passion n’empêche pas que ça en soit un.<br /> <br /> Ci-après un extrait de Beaumarchais que Pierre m’a fait parvenir hier : <br /> "On dit aux foyers des spectacles qu’il n’est pas noble aux auteurs de plaider pour le vil intérêt, eux qui se piquent de prétendre à la gloire. On a raison: la gloire est attrayante; mais on oublie que, pour en jouir seulement une année, la nature nous condamne à dîner trois cent soixante-cinq fois; et si le guerrier, l’homme d’Etat ne rougit point de recueillir la noble pension due à ses services, en sollicitant le grade qui peut lui en valoir une plus forte, pourquoi le fils d’Apollon, l’amant des Muses, incessamment forcé de compter avec son boulanger, négligerait-il de compter avec les comédiens? Aussi croyons-nous rendre à chacun ce qui lui est dû, quand nous demandons les lauriers de la comédie au public qui les accorde, et l'argent reçu du public à la comédie qui le retient."<br /> Preuve que ce débat ne date pas d'hier.<br /> Bien cordialement
vive les sociétés modernes - abécédaire
  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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