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vive les sociétés modernes - abécédaire
18 mai 2007

pluralisme politique

Aujourd'hui être démocrate consiste non seulement à accepter la pluralité des partis politiques mais le fait que la légitimité n'est le monopole d'aucun d'entre eux en particulier. Dans les pays démocratiques, la compétition pour le pouvoir se déroule entre plusieurs partis également légitimes, et cette compétition est tranchée, pour un temps, par les élections.

Ces caractéristiques auxquelles nous sommes habitués, et qui peuvent même nous apparaître comme évidentes, sont pourtant relativement nouvelles.

Jusqu'à une date récente ( les partis politiques ne seront reconnus en France qu'à partir de 1901) la démocratie a été associée non au pluralisme politique mais à l'unanimité (il en fut autrement en Angleterre). C'était notamment le cas au moment de la Révolution Française, qui s'est caractérisée, entre autres choses, par sa "vision moniste du politique" (Rosanvallon). Selon cette vision :

1- La société nouvelle, issue de la Révolution, doit être une société unifiée, ce qui n'est pas durablement compatible avec une pluralité de "partis politiques". L'Assemblée Constituante d'ailleurs le 30 juin 1791, à la veille de sa séparation en septembre, proclame leur  illégalité en votant ce dernier décret : " Nulle société, club, association de citoyens ne peuvent avoir sous aucune forme une existence politique". La pluralité des "partis" ne saurait donc être, en tout état de cause, que temporaire: tant que la Révolution n'est pas achevée. Cette vision moniste ou unanimiste de la vie politique est développée par des hommes de toutes les sensibilités : par Le Chapelier (rapporteur du décret ci-dessus et auteur le la loi abolissant les corporations) comme par Robespierre ("pas de liberté pour les ennemis de la liberté").

2- Dans cette société nouvelle et unifiée, seul le peuple mérite d'être représenté, seuls les représentants du Tiers-Etat sont légitimes.

Tel est le sens du fameux : "ainsi qu'est ce que le Tiers? Tout." de l'abbé Sieyes. Cela revient à exclure de la nation et donc de sa représentation "tout ce qui n'est pas Tiers", à commencer par la noblesse . " Il n'est pas possible, dans le nombre de toutes les parties élémentaires d'une nation, de trouver où placer la caste des nobles". (Qu'est-ce que le Tiers-Etat?) 

Tel est aussi le sens de la fraternité selon Saint-Just : celle-ci ne consiste pas à considérer comme des frères tous ceux qui participent de la même nation mais à affirmer qu'on ne peut faire une nation qu'avec des frères : or les privilégiés ne sont pas nos frères!

C'est dire encore que pour les Révolutionnaires il n'y a pas d'adversaires politiques mais uniquement des ennemis ; et il en sera ainsi tout au long du 19ième siècle.

Nous venons de là; il n'est donc pas étonnant qu'aujourd'hui encore, lors des compétitions électorales, nous ayons parfois du mal à admettre la légitimité de nos adversaires, surtout s'ils sortent vainqueurs de la compétition.

PS: voir P.Rosanvallon Les institutions de l'intérêt général : la démocratie du XXIe siècle (cours au Collège de France)

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Commentaires
R
Excellente mise au point. Il est naturel, traditionnel, de rechercher dans la Révolution française les indices de ruptures avec la période antérieure. Pourtant la Révolution est l'héritière directe de la conception moniste du pouvoir comme le rappelle Pierre à la suite de Rosanvallon. Dès ses débuts, la Révolution reprend de l'Ancien Régime la conception unitaire de la souveraineté et de la représentation. Le 17 juin, les députés du Tiers Etat entendent représenter à eux seuls la Nation comme le Roi la représentait. Acte fondateur, et radical, s'il en est. Une conséquence de cette incapacité à penser la division politique comme autre chose qu'une maladie affaiblissant le corps national est qu'elle a refusé toute légitimité à l'altérité politique, qu'elle a été incapable de voir en l'adversaire politique autre chose qu'un ennemi, rejetant à la lointaine fin du XIXe siècle la tolérance du débat démocratique. Quand je dis "elle", ce sont bien sûr les hommes qui l'ont faite que je vise ; et presque tous !<br /> <br /> Pourquoi cette radicalité ? Certainement parce que l'enjeu était trop important pour intégrer la discussion et donc le compromis : les hommes sont entrés dans les années 1789-1794 dans une ère de réalisation possible de leurs utopies, et dans ce cadre ils ont trop souvent fait passer leurs projets avant les hommes. Michelet l'avait bien compris en faisant terminer la Révolution en 1794 (considérant qu'après cette phase utopique venait à proprement parler une phase politique). Il s'agit de la même problématique que celle de l'emploi du terme de "peuple" : on invoque sa grandeur et son pouvoir quand il prend une majuscule, mais on le dénigre et le combat avec une minuscule (typique des Lumières). Là, il fallait impérativement régénérer la société, la purger : refaire le Peuple, même contre le peuple si nécessaire ! Et bien dans sûr tous ceux qui envisageaient de s'opposer à celui qui détenait le pouvoir devenaient d'ostensibles contre-révolutionnaires, à abattre, des "ennemis du Peuple", des "royalistes". Pour Patrice Gueniffey ce processus est à comprendre selon la logique suivante : il faut toujours aller de l'avant en révolution, et c'est à celui qui ira le plus loin et le plus vite que reviendra la légitimité. Malheur à ceux qui voudraient faire face à la houle et calmer les ardeurs, fixer les acquis. Le discours de chacun se radicalise, et par effet cumulatif c'est celui de l'ensemble des révolutionnaires qui devient intolérant. Paraître plus radical que l'autre est un moyen efficace pour se parer de la légitimité nécessaire afin d'atteindre le pouvoir (en cela la destitution puis la mort du roi, en ouvrant la compétition pour le pouvoir vacant a eu un effet décisif). Pour Gueniffey la Terreur ne procède ainsi donc ni de circonstances, ni d'une idéologie (jacobine), mais bien de la dynamique révolutionnaire elle-même. Cette thèse connaît encore un très vif débat, frisant parfois au ridicule (dans son dernier livre sur la violence révolutionnaire, le grand historien Jean-Clément Martin s'est ainsi refusé à citer le moindre ouvrage de Gueniffey, spécialiste reconnu, sur le sujet !). Bref, la question qui se pose aux acteurs est alors la suivante : comment terminer la Révolution ? Où la terminer ? Ce qui revient à poser la question du pourquoi de celle-ci...<br /> <br /> L'exemple soulevé par Pierre de la noblesse est intéressant car le second ordre n'a pas été unanime dans son opposition à la Révolution, bien au contraire ; mais celle-ci l'a mis au ban de l'humanité du fait de son prétendu rejet naturel de la Révolution (ce qui peut se comprendre dans le contexte d'alors, mais qui est très exagéré dans les premiers temps : la nuit du 4 août est initiée par les nobles eux-mêmes). Voici ainsi un long extrait du "Journal de Bordeaux" de novembre 1790 (bien avant les violences extrêmes), qui nie jusqu'à l'humanité des nobles :<br /> <br /> « On parle souvent d’aristocrate ; on demande souvent ce que c’est qu’un aristocrate ? Comment est fait un aristocrate ? Voici le signalement de cet animal, donné par Le père Duchesne que tout le monde connaît. L’aristocrate est une bête extraordinaire qui a la figure et la forme presque humaine. Il est très difficile à apprivoiser. Il a l’air sombre, rêveur, mélancolique. Quelque fois, ses yeux s’animent. Il pousse des cris aigus comme si on l’écorchait. Sa robe est comme celle du tigre. Il en tient beaucoup car il aime le sang. La vue des métaux, de l’or surtout, paraît le flatter. Il entre en fureur quand on approche de lui, couverts d’habits simples ou d’un habit bleu. Un paysan, dans son costume des champs, serait à mal d’en approcher à moins qu’il ne tînt son chapeau bas. Cette précaution l’apaise. Il dort peu et, pendant son sommeil, il est fort agité. Il aime les chevaux, les chiens, les singes et les perroquets, mais il mettrait en pièces un cerf ou un sanglier. Les aristocrates de la plus forte race leur donnent presque toujours la chasse. Les petits sont moins voraces, mais tout aussi dangereux. Les rois les apprivoisent facilement ; ils courent dans leur palais avec une grosse chaîne au col. […] Ils distinguent ordinairement le prince et, quand il monte sur son trône, ils l’entourent et vont marchant à plat ventre lui lécher les pieds, les mains, etc… On attribue les caresses qu’ils lui font au goût dominant que ces animaux ont pour tout ce qui brille comme or, argent, diamants, dorures, clinquants, paillettes, choses fort communes dans les cours. » <br /> <br /> Qu'on ne se méprenne pas de mes sentiments pour la Révolution. Sans avoir d'avis tranché ni bien acquis, je ne condamne pas d'un bloc, d'un jugement hâtif et facile les violences et les excès. Je les regrette, c'est certain. Mais à mon sens, le plus dommageable à long terme à bien été cette incapacité à donner corps à un débat politique, à penser la diversité. car c'est dans cette incapacité, ce manque de maturité politique, qu'il faut comprendre la très longue mise en place de la République au siècle suivant. <br /> <br /> Raphaël Loffreda
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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