Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
vive les sociétés modernes - abécédaire
21 novembre 2006

Eloge des sociétés contemporaines (7): l'ultralibéralisme

Objection 3bis: l'ultralibéralisme.

Reste le spectre de l'ultra-libéralisme, qui doit être aussi examiné. Nos sociétés seraient sous la menace d’un retrait massif de l’Etat hors de la société civile, livrant celle-ci sans défense aux puissances d’argent. La réalité de cette menace est à la vérité tout à fait discutable.

D’abord parce qu'un tel retrait contredirait une tendance lourde de l'histoire de nos sociétés depuis plusieurs siècles au renforcement régulier de la puissance de l'Etat et à l'extension tout aussi régulière de ses compétences. Cette croissance de la puissance de l'Etat se manifeste notamment à travers la normalisation de l'impôt et l'augmentation constante de ses fonctionnaires jusqu'à leur omniprésence. La démocratie n'a rien changé à cette évolution ; elle a au contraire donné un pouvoir supplémentaire à l'Etat en lui conférant la légitimité populaire. " De régime en régime, plus d'impôts, plus de fonctionnaires et plus de lois " (Jouvenel). Le 20E siècle n’a fait que renforcer cette tendance profonde : ainsi le pourcentage des dépenses publiques par rapport au PIB (indice de l’action économique de l’Etat) n’a cessé de croître dans tous les pays développés, passant par exemple de 8 % pour les USA, 13 % pour la GB et 17 % pour la France en 1910 à respectivement 39 %, 41 % et 55 % en 2002 Un retrait massif de l'Etat représenterait une inversion de tendance bien surprenante historiquement.

Un tel retrait serait par ailleurs peu compatible avec l'une des caractéristiques fondamentales des sociétés modernes: leur complexité croissante, qui exige impérativement une organisation elle-même croissante : l'Etat en est le principal maître d'œuvre. Pour ne prendre qu'un seul exemple, il doit toujours plus s'impliquer dans l'organisation de la circulation automobile, à tel point que dans plusieurs pays du monde, dont la France, les véhicules individuels (autrefois extension du domicile) sont passés du domaine privé au domaine public (ceinture de sécurité obligatoire, interdiction de téléphoner etc.), indépendamment des choix politiques des gouvernants. Comme l'écrit Galbraith : " Le moteur de l'évolution historique dans les pays non socialistes évolués, c'est l'organisation... Elle réside avant tout dans le vaste et omniprésent Etat moderne. On trouvera l'Etat un rien trop gros ou un rien trop petit selon qu'on est conservateur ou social démocrate; mais tous les réalistes en tomberont d'accord, l'Etat continuera d'être très gros ".

La mondialisation ou la globalisation n’a pas foncièrement modifié la donne, contrairement à une idée très répandue. Ainsi le pourcentage des dépenses publiques par rapport au PIB a continué à croître depuis les années 70 jusqu’à aujourd’hui, et cela dans tous les pays développés. Il existerait même selon Dani Rodrik une corrélation statistique entre l’ouverture d’une économie et la taille de l’Etat, cette ouverture devant être soutenue par l'Etat et suscitant à son tour dans la population un besoin accru de protection étatique. JP Fitoussi souscrit à cette analyse et précise " qu’il existe un cercle vertueux entre ouverture internationale, c’est à dire mondialisation, et sécurité économique : l’ouverture accroît la demande de sécurité et la satisfaction de cette demande constitue une incitation à l’ouverture ". Or cette demande de sécurité ne peut être satisfaite que par l'Etat.

Qu'on s'en désole ou qu'on s'en réjouisse, un désengagement massif de l'Etat ne semble guère à l'ordre du jour.

Publicité
Publicité
Commentaires
P
Bonjour,<br /> A la vérité, je ne comprends pas bien à qui s'adresse votre commentaire.Je n'ai ni écrit, ni pensé que " les personnels non qualifiés sont la cause des trop lourdes charges salariales des entreprises". Quoi qu'il en soit merci des précisions que vous apportez, ainsi que pour l'adresse du site que vous signalez.<br /> Amicalement
F
Enfin, ce ne sont pas les salariés payés au voisinage du smic qui coûtent trop cher aux entreprises. Le décile (10 %) des salariés les moins payés représente 4,9% de la masse salariale, alors que le décile des salariés les mieux payés représente 22,7 % de cette même masse, soit 4,63 fois plus. D'un autre point de vue, le salaire minimum du centile (1 / 100) le plus élevé des salaires, est 7,60 fois supérieur au salaire maximum parmi les 10 % de salaires les plus faibles. ... Comme on le constate, les "personnels non qualifiés" ne sont pas la cause principale des "trop lourdes charges salariales" des entreprises.<br /> <br /> <br /> Pour plus d'informations, voir à cette adresse : <br /> <br /> http://travail-chomage.site.voila.fr/ancien/mythes.htm<br /> <br /> Et ce n'est pas tout :
P
Bonjour,<br /> Merci pour ce long commentaire avec lequel je suis tout à fait d'accord. <br /> Cela dit,les analyses de Rodrik et Fitoussi ne portent pas sur la libéralisation mais sur la mondialisation, et consistent à nuancer l'idée très répandue selon laquelle ce processus tendrait naturellement à affaiblir les Etats:loin d'être des victimes impuissantes de la mondialisation, les Etats en sont aussi et surtout des acteurs. Ce qui ne vaut évidemment que pour les pays où existent de véritables Etats. Dans les autres la mondialisation n'a pas le même visage et vous avez raison de le rappeler.<br /> Amicalement.
J
"JP Fitoussi souscrit à cette analyse et précise " qu’il existe un cercle vertueux entre ouverture internationale, c’est à dire mondialisation, et sécurité économique : l’ouverture accroît la demande de sécurité et la satisfaction de cette demande constitue une incitation à l’ouverture ". Or cette demande de sécurité ne peut être satisfaite que par l'Etat."<br /> <br /> Ce n'est pas toujours exact, loin s'en faut. Dans beaucoup (la majorité ?) des pays qui vivent ou ont vécus une transition rapide à la libéralisation économique, les activités de profit sont assez souvent assumées par...des mafias. Celles-ci ne voient aucune contradiction entre le profit retiré d'activités illégales ou légales, tant que leurs intérêts privés sont satisfaits...Autrement dit, il n'y a pas de différence de fait entre le profit privé illégal ou légal. (Par ricochet, cela nous rappelle, s'il en était besoin, qu'intérêts privés et intérêts généraux sont bien deux choses distinctes, en droit et en fait, même s'ils ne sont pas inconciliables).<br /> <br /> On peut voir dans cette contradiction un inconvénient transitoire, mais il est permis d'en douter, la "démocratie" restant dans beaucoup de pays un mot chargé de promesses...non tenues. <br /> En somme, dans les pays où il n'y a pas de tradition de corruption et de népotisme, les bienfaits de la libéralisation ne sont pas forcément contradictoires avec le rôle de l'Etat (Japon, Etats-Unis, France présentent d'ailleurs sur ce point des modèles très différents). Mais pour une majorité de pays (Indonésie, Italie, Côte d'Ivoire, Russie présentent eux aussi des modèles de collaboration Etat-mafias très différents...), la "libéralisation" coincident souvent avec une libéralisation du profit individuel et mafieux. Ici, les intérêts privés et/ou criminels feraient plutôt concurrence à l'Etat _ce qui suscite des nostalgies des régimes précédents, ou l'espérance de retour de régimes "forts"...<br /> <br /> Mon opinion est donc la suivante: on ne peut pas appliquer la même analyse des effets du libéralisme et du rôle de l'Etat à des pays qui ont deux cent ans d'histoire derrière eux sur ce sujet, et à des pays qui entrent brutalement dans ce monde. C'est le mot même de "libéralisme" qui est trompeur car il ne recouvre pas du tout les mêmes réalités. Cessons d'ordonner sous le même concept (le nôtre, évidemment), la réalité du monde entier !<br /> Trois éléments seraient ainsi peut-être à prendre en compte pour l'analyse des effets du libéralisme, dans un pays :<br /> - y a-t-il une tradition étatique (quelle que soit la forme de ce pouvoir) qui oriente, fasse contre-poids à la dynamique de l'intérêt privé, bref, rende le cercle sus-cité effectivement "vertueux"?<br /> - A quel point ce pouvoir redistribue t-il effectivement la richesse? = à quel point une éventuelle tradition de corruption ou de "détournement des fonds" existe t-elle ? _cf les rapports de l'OCDE et de Transparency International sur ce sujet.<br /> - enfin, la "libéralisation" correspond-elle économiquement à des situations de monopole, ou à une diversité économique effective ?<br /> <br /> Ces 3 critères nous incitent à sortir de notre confort de pensée, à prendre en compte le réel, et me semblent dessiner une "modalisation" possible de nos jugements, sans laquelle nous ne resterions qu'au stade des vérités générales...
vive les sociétés modernes - abécédaire
  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Derniers commentaires
Publicité