X comme ...X (ou de la pornographie)
La pornographie est la représentation, par la description littéraire, ou imagée, dessin, peinture ou sculpture, et maintenant par le cinéma et ses divers supports, des rapports sexuels humains, dans la crudité de leurs détails.
L’érotisme les suggère seulement, avec les mêmes moyens.
Pourtant, l’homme, dit « moderne », se distingue de ses cousins primates, par la pudeur qui accompagne son activité sexuelle. Il n’existe pas…à ma connaissance, de société, même, dite, primitive, et vivant presque nue*, dont les hommes et les femmes s’accouplent sous la vue des autres.
En contrepoint de cette recherche d’intimité, la curiosité de chacun pour la sexualité des autres semble aussi ancienne et aussi générale. Je citerai ici la réflexion d’André Breton : "la pornographie, c’est l’érotisme des autres."
Dès la préhistoire, des représentations de corps nus et d’accouplements sont mentionnés. Mais leur signification peut être votive. De même celles qui participent à la décoration de temples en Extrême-Orient.
C’est à l’apogée de la civilisation romaine que les représentations de relations sexuelles font partie de la décoration des chambres et des salles de réception de maisons riches. Beaucoup nous sont parvenues des villes de Pompéi et d’Herculanum, recouvertes de cendres volcaniques en 79, et objets de fouilles à partir du 18ème siècle.
Comme les femmes qui participent à ces orgies ne sont pas les épouses de participants, mais des professionnelles, le nom de pornographie qui est attribué à ces représentations vient du mot grec qui désigne la prostitution. Les fonctions des décorations érotiques sont la stimulation du désir, la suggestion des fantaisies.
Les siècles qui ont suivi, sous l’influence du christianisme, gêné par l’idée de plaisir, associée à la sexualité, ont été puritains. La sexualit est limitée au devoir de reproduction, désir du « créateur » . La curiosité pour la sexualité des autres persiste, mais non satisfaite L’offre est réduite. L’art pictural et sculptural est religieux et pudique.
Elle augmente à la fin du Moyen-Âge avec l’utilisation du Carnaval pour sortir des règles qui pèsent, des malheurs qui accablent. Le Carnaval, héritier « baptisé » des Saturnales romaines, reprend l’inversion ses rôles sociaux, suspend les hiérarchies et les devoirs.
Pendant des siècles, les sociétés chrétiennes de l’Europe présentent des alternances de relâchement des mœurs et des retours à la pudibonderie, sous la pression des églises. La Réforme protestante est pour une bonne part la conséquence du relâchement de la chasteté que l’Église Catholique s’est imposée. La Contre-Réforme est un retour à la rigueur des mœurs au sein de l’Église.
Les églises protestantes prennent en compte l’existence du désir sexuel en renonçant au célibat, difficilement tenable, des membres du clergé. Mais elles sont particulièrement pudibondes et sévères pour la sexualité hors mariage.
En France, une période plus libre s’ouvre après le règne de Louis XIV, particulièrement austère à sa fin. La Régence, puis le règne de Louis XV offrent le modèle d’une sexualité débridée, amplifiée par l’imagination et les libelles qui circulent sous le manteau. Le noyau dur de la société, bourgeois, n’y participe pas comme tel. Des personnalités qui en sont issues se libèrent de la tutelle familiale et religieuse, et amorcent la contestation de l’ordre social et de la tutelle de l’Église catholique, à laquelle l’administration royale prête son concours. Avant de se lancer dans l’élaboration de l’Encyclopédie, Diderot s’essayera à la littérature pornographique. Il s’était lui-même libéré de la tutelle de son père, qui voulait en faire un prêtre.
Le Siècle des Lumières ne sera pas seulement celui des savoirs, mais aussi de la mise en question de l’ordre social, des rapports sociaux et des mœurs. L’œuvre du Marquis de Sade, qui valut à son auteur bien des ennuis judiciaires, marque sa fin. Il se termine par la Révolution française. Plutôt coincée, à ses débuts.
Le passage par la Terreur débouchera sur une phase de libération.
Les guerres de la Révolution et de l’Empire ne furent pas propices aux libertés individuelles et à la jouissance. La Restauration, le Second Empire, la Révolution industrielle, ne le furent pas davantage. Les intermèdes des Années Folles au début du vingtième siècle, puis celles qui marquèrent l’après-guerre 14-18, furent de courte durée, et ne concernèrent que les classes favorisées. Une littérature érotique plus audacieuse l’accompagna. L’amant de Lady Chatterley parut en 1928.
La vraie « libération sexuelle » déferla sur le monde occidental à partir des années 1960. Facilitée, au moins, en France, par la vogue de la psychanalyse, elle nous arriva concrètement de la Scandinavie, du Danemark, en particulier. Sous la forme de manuels d’éducation sexuelle illustrée de photographies de couples dans les diverses positions , largement méconnues en Europe du Sud.
La sulfureuse « Histoire d’O » était parue en 1954. L’ouvrage de Krafft Ebing (Psychopathia sexualis), les œuvres du Marquis de Sade, de Sacher Masoch, furent découverts par un public plus large. Le cinéma s’empara du sujet, dans des versions érotiques, mais aussi « hard », pornographiques, qui furent rapidement réprimées, classées X, surtaxées, et confinées dans des salles qui se situaient sur ce créneau, interdites aux mineurs.
La boulimie d’érotisme et de pornographie diminua en même temps que ces « savoirs » n’étaient plus ignorés par personne. Le développement de l’internet les a mis gratuitement à la portée de toutes les générations, enfants compris.
La société se pose maintenant la question des nuisances de cette offre pornographique sans limites. Il n’est pas discutable que la criminalité sexuelle, la pédophilie, les viols suivis de meurtre, parfois sadique, ou non, ont augmenté. Elle inspire toujours le cinéma, les séries « policières » produites pour la télévision.
Pourquoi cette hausse de la criminalité, alors que les mœurs sont plus libres, les relations plus faciles et moins exigeantes en terme de fidélité, d’engagement ?
Elles sont le fait de personnalités incapables d’établir des relations « normales » avec les femmes, ou réellement dépendantes d’un scénario pervers. Un mimétisme a parfois joué un rôle dans certaines affaires.
La prévention de ces dérives ne semble guère possible. Leur « traitement » pendant l’incarcération est très discuté, notre société étant, en particulier, plutôt intolérante et sceptique. Les offres de soins et leurs budgets sont en conséquence.
D’autres pays sont plus avancés ou confiants, et soignent longuement ces présumés malades. Avec, semble-t-il, des résultats.
Mais la société française, et l’État qu’elle choisit, sont loin d’être prêts.
Yves Leclercq
Psychiatre, Psychanalyste.
*Selon une photo publiée, une tribu primitive de Papouasie pratique une nudité totale, à l’exception d’un étui pénien pour les hommes.