Y comme Yahvé (à propos du monothéisme)
"Yahvé" est avant tout l'une des diverses transcriptions du nom du dieu du récit biblique de la "Sortie d'Egypte".
Cf : Exode 20,3 :
"Moi Je suis "Yahvé" ton dieu, qui t'ai fait sortir de la terre d'Egypte (Mitz'hayim : avec un jeu de mots sur "mi" : de, "tzar" - l'angoisse, en hébreu) de la maison des esclaves ".
Rappelons que ce nom est un mot dans un texte qui lui confère son sens : on ne peut pas enjamber le texte pour aller chercher une idole ailleurs, qu'il désignerait hors-contexte.
Ce nom désigne donc précisément - et universellement puisqu'il est écrit, communicable et transhistorique - l'expérience d'une délivrance.
C'est l'émotion par exemple de l'otage libéré à sa descente d'avion, comme Serge Lazarevic (le bien-nommé !), retour du Mali, récemment à Villacoublay; et comme le puissant récit de Chalamov contemplant avec ivresse l'eau verte d'une rivière de Sibérie à sa sortie des camps; - ou comme les refuzniks atterrissant à Lod naguère, tels que Claude Lanzmann les filme dans "Pourquoi Israël ?".
Israël, cette "vraie patrie d'accueil" comme l'écrit Céline à la fin de Rigodon, son dernier livre, soudain converti comme le Pharaon du Midrach ou un personnage de Tolstoi, à la veille de sa mort.
-Comme ce terroriste japonais d'extrême-gauche qui, après avoir précisément mitraillé l'aéroport de Lod, jugea bon, en prison, de se circoncire avec une petite cuillère...
Le nom de ce dieu provient, selon les archéologues comme André Lemaire, du toponyme d'une petite hauteur du Néguev, situé au -13ème siècle comme un "intermont" entre les oppressions des deux immenses empires égyptien et babylonien, comme le soupir d'une petite peuplade de semi-nomades prise en étau et révoltée contre l"oppression de l'homme par l'homme : "Je vous ai choisis parce que vous êtes le plus petit des peuples", dit le Deutéronome.
Ce goût de la liberté est présenté dans le récit de Genèse 2 où Yahveh Elohim insuffle un souffle de vie dans les narines de l'Homme (Adam), créé de la poussière du sol (adamah).
Respirer, c'est la métonymie universelle de la liberté et de la "spiritualité", le premier sens du mot psyché. Cette révolte minuscule du -13 ème siècle, dans "le plus petit canton de l'univers", dit Voltaire avec une malveillance qui se retourne contre lui, ouvre un angle vers un élargissement infini, une subversion durable des oppressions - qui vient d'obliger les censeurs marocains et autres à interdire frileusement la diffusion du péplum de Ridley Scott, pourtant tourné en partie au Maroc même !
C'est sans doute le pressentiment de ce que leur petit dieu du désert, inconnu du savant Pharaon d'Exode 5, était un dieu d'immense avenir, qui explique l'audace et le culot (la 'houtspa" en yiddish) des rédacteurs de Genèse 2, qui associent ce dieu qui souffle dans les narines de l'Homme, aux Puissances créatrices du Ciel et de la Terre : Elohim.
Mon dieu est le dieu de tout et de tous, non de ce que j'aspirerais à la domination; mais de ce que le souffle de vie de celui qui réchappe de l'oppression porte en lui de quoi venir à bout des plus pesantes forces de mort : comme la fronde de David projetant le caillou d'Israël à travers les millénaires dans la botte de chaque tyran.
Comme Machiavel le rappelle (lui dont la référence principale est Moïse), un peuple qui a connu la liberté ne se laissera plus dominer.
Et ce dieu implique un monothéisme exclusif : "tu ne mettras pas d'autres dieux devant ma face". C'est un dieu "jaloux", car tout autre dieu décentrerait la visée centrale de la liberté humaine selon ses trois dimensions :
1- d'affirmation première inconditionnée : le souffle de vie insufflé de Genèse 2.
2- de contestation radicale de l'oppression. (cf Ecclésiaste Ch 4).
3- d'invitation à bâtir un monde libre d'hommes libres (cf le fameux verset du Deutéronome :
"'Je t'ai donné le choix entre la vie et la mort, choisis la vie afin de vivre, toi et ta descendance").
"Yahvé" est le nom du dieu unique, celui de la liberté qui délivre asservis et opprimés avec l'aide de ses fidèles débout:
"(Si) vous êtes mon peuple, (alors) Je suis votre dieu" (Deutéronome).
12/2/15
Claude Birman, philosophe et spécialiste de la pensée juive (Caïn et Abel, aux origines de la violence, Grasset)