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vive les sociétés modernes - abécédaire
28 novembre 2011

R comme Robespierre (Terreur et Déclaration des droits de l'homme)

 

Nous avons hérité d'une représentation de Robespierre essentiellement caractérisée par le sang et la violence de la Terreur, cette dernière étant considérée comme le prodrome du totalitarisme stalinien. Pour ses contemporains, Robespierre est au contraire associé aux principes de la Déclaration des droits dont il est « le commentaire vivant » selon Camille Desmoulins.

Qu'un homme puisse incarner à la fois la Terreur et la Déclaration n'a rien de paradoxal pendant la Révolution française. Ainsi, en 1795, une fois Robespierre éliminé et au moment où ses ennemis construisent la figure du « tyran sanguinaire »,  Jérémy Bentham résume l'opinion dominante en estimant que « le langage de la Terreur » est contenu dans l'article 2 de la Déclaration de 1789 : «  le but de toute association politique est la conservation des droits naturels de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression ». C'est là, pour Bentham et les thermidoriens, le langage de l'anarchie avec lequel il convient de rompre si l'on veut fonder un ordre social sur l'intérêt des possédants sans lequel, estiment-ils, il ne peut exister de prospérité.

L'article ainsi incriminé rappelle le principe constitutif des sociétés et fonde la souveraineté populaire. Il est en effet au cœur de la réflexion et de l'action politique de Robespierre qu'il résume au début de son discours sur la Constitution du 10 mai 1793 : « L'homme est né pour le bonheur et pour la liberté, et partout il est esclave et malheureux ! La société a pour but la conservation de ses droits et la perfection de son être, et partout la société le dégrade et l'opprime ! Le temps est arrivé de la rappeler à ses véritables destinées ; les progrès de la raison humaine ont préparé cette grande révolution, et c'est à vous [les législateurs] qu'est spécialement imposé le devoir de l'accélérer ».

Dans ce processus par lequel un peuple conquiert et maintient sa liberté, les législateurs ont un rôle essentiel. Puisque dans une démocratie ou une république – des termes qui selon Robespierre sont synonymes –  le peuple souverain légifère par l'intermédiaire de ses représentants, ces derniers doivent être impérativement vertueux. Comme chez Montesquieu, cette vertu des délégués du peuple « n'est point une vertu morale, ni une vertu chrétienne, c'est la vertu politique » c'est-à-dire « l'amour de l'égalité » (avertissement au lecteur de De l'Esprit des Lois). Cet amour de l'égalité qui doit guider le législateurs consiste à garantir la liberté de tous.

Robespierre, comme tous les républicains de cette époque, estime qu'un être est libre à deux conditions :  s'il n'est dominé par personne et s'il ne domine personne. La liberté est donc réciproque ou elle n'est pas. Cette réciprocité définit l'égalité. Dans une démocratie, les législateurs ne doivent pas favoriser la liberté de quelques-uns au détriment de celle des autres, par exemple s'ils décrètent la liberté du commerce en sachant qu'elle conduit les propriétaires de blé à spéculer à la hausse afin d'augmenter leurs profits. Les spéculateurs attentent alors à la liberté et à l'existence des plus démunis. On ne peut pas s'enrichir aux dépens de la vie de ses semblables : la propriété de la vie est plus importante que celle des choses. Pour cette raison, Robespierre combat la liberté illimitée du propriétaire, l'esclavage et la guerre de conquête par laquelle un peuple en soumet un autre. Or, de la Constituante à la Convention girondine, la majorité des représentants du peuple choisissent la guerre, la liberté du commerce et le maintien de l'esclavage.

 Ainsi, souligne Robespierre, les délégués du peuple oublient-ils trop souvent que les magistratures qu'ils occupent ne sont pas des honneurs ou des prérogatives mais des charges. Ils doivent en effet fournir un effort politique pour être vertueux et ainsi préférer l'intérêt public à leur intérêt particulier. Être citoyen, c'est donc exercer un contrôle systématique sur ses représentants afin de leur rappeler les obligations de leur charge. Tous les actes politiques doivent être visibles dans l'espace public et la résistance à l'oppression doit être garantie comme un attribut de la souveraineté.  Ceux qui, en 1795, dénoncent le « tyran Robespierre » et la France «  inondée de sang » soulignent simultanément l'anarchie du « système de la Terreur », une politique  qui enflamme la multitude avec des principes et génère le désordre en instituant l'insurrection d'un « peuple constamment délibérant ». « Le monstre» est alors accusé d'avoir fomenté une «  sans-culottisation générale, par l'extinction des richesses et la ruine du commerce ».

L'intérêt que suscite toujours Robespierre est  à la mesure des enjeux de la Révolution française qu'il incarne, des espoirs immenses et des peurs qu'elle a générés. Il nous remémore les principes dont nous sommes les héritiers, l'écart qui sépare ce qui est de ce qui devrait être et la dimension subversive des valeurs républicaines.

 

 

Yannick Bosc, Historien, Université de Rouen

 

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Commentaires
C
whaou c super <br /> <br /> ca ma beaucoup aidé
S
Il est vrai que vu de près, personne n'est parfaitement bon ni même parfaitement méchant. Par contre, les actes qu'on déclenche, et auxquels on finit par être identifié sans nuances, peuvent être parfaitement criminels. <br /> L'Histoire retient que Robespierre a été l'un des principaux représentants de la Terreur, mais qu'il en recommandait un usage "avec modération".
Y
Vous avez raison, JCH, le jugement des hommes est sans nuances, et si des examens plus approfondis, dégageant des visions plus justes, sont faites par des historiens, ces travaux n'arrivent pas toujours à contrebalancer une Histoire devenue officielle à l'ancienneté. <br /> Votre réexamen des personnages de la Convention, responsables à des degrés divers, de la terreur, montre bien que des ordres sont donnés dans le "feu de l'action", et que des actes sont commis par obéissance, ou par désobéissance. <br /> L'Histoire a tendance à ne retenir que ceux qui étaient à la tête, à ce moment là.
J
Personnellement, j'y ai mis Jean Zay (dont la "panthéonisation" réelle est étudiée).<br /> Je ne sais pas trop qui est ce "nous", qui descend de Pétain et de Jean Moulin.... mais bien sûr, toute une histoire est là, avec son cortège d'événements, d'horreurs, de splendeurs: il y a de tout dans cet héritage!<br /> Alors hériter en bloc... ou sous bénéfice d'inventaire?<br /> <br /> Sénik a l'obligeance de me rappeler que l'Inquisition n'est pas dans les Evangiles, que je lis peu, et que Montaigne, que je relis sans cesse, a écrit contre ce qu'il comprenait de la destruction du monde qu'on venait de découvrir. Et je veux bien croire qu'on aurait pu avoir les Evangiles, sans l'Inquisition et les Grandes découvertes sans l'extermination des Indiens. Pour le libéralisme sans les renards, j'ai encore quelques doutes...<br /> Mais le fait est qu'il y a eu Torquemada et Las Casas, Pétain et Jean Moulin, la Déclaration des Droits de l'Homme et la Terreur. Bien sûr que nous distinguons ce/ceux que nous admirons et ce/ceux que nous détestons! Mais ces élans de passion et de haine, si compréhensibles et partagés qu'ils soient, risquent de s'accompagner de sentiments, de visions globalisantes éventuellement dogmatiques plutôt que de jugements fondés sur la compréhension des situations et la connaissance des faits. C'est du moins l'impression que me laisse la lecture de bien des commentaires.<br /> <br /> Il faut voir d'ailleurs comment nous nous sommes écartés du sujet initial (Robespierre Terreur et DDH)ou d'une discussion sur le caractère inéluctable ou pas de la surenchère révolutionnaire(que la cas de Hébert aurait peut-être davantage illustré) pour aller vers l'héritage (en bloc ou pas) de la Révolution française puis notre rapport à notre passé etc...<br /> Ce n'est pas la première fois sur ce blog que je souhaite qu'on ne s'écarte pas trop des points de départ et des articles initiaux. Et comme je n'ai pas changé d'optique, pour donner à entrevoir la complexité de situations sur lesquelles on formule ici des jugements parfois si abrupts, je propose à nouveau quelques indications tirées... de Wikipédia car moi, n'étant pas historien et ne me fiant pas à mes souvenirs de lecture de Mathiez, Soboul et Godechot... je m'informe d'abord à des sources de vulgarisation à ma portée.<br /> <br /> J'y ai lu, entre autres ceci:<br /> <br /> "Contrairement à une tradition bien ancrée dans les manuels scolaires, Maximilien de Robespierre, Saint-Just et Couthon n’ont jamais poussé à la surenchère terroriste. Au contraire, Robespierre a fait obstacle, contre l’avis de ses collègues, aux manœuvres sanguinaires et parfois crapuleuses, en province, de Fouché, de Le Bon, de Carrier et autres représentants proches de Barère de Vieuzac".<br /> Une "tradition bien ancrée dans les manuels scolaires"... en tout cas bien distincte de cette historiographie marxisante dont a parlé Sénik.<br /> <br /> Et à propos de Lazare Carnot, incarnation de l'héritage des compétences que la Révolution a su promouvoir et utiliser, dont tant d'établissements scolaires et de rues portent le souvenir (tellement plus que de Robespierre!), voici quelques lignes instructives qui le replacent dans une sinistre lignée:<br /> <br /> "Il porte une responsabilité indéniable dans la décision des massacres perpétrés lors de la Guerre de Vendée. Alors que le général Turreau, dans une lettre du 17 janvier 1794, lui demande de préciser la conduite à tenir vis-à-vis des populations : « Que doit-on faire des femmes, des enfants, des suspects, des prisonniers ? », Carnot répond le 8 février :<br /> « Tu te plains, citoyen général, de n'avoir pas reçu du Comité une approbation formelle à tes mesures... Tue, tue, extermine les brigands jusqu'au dernier, voilà ton devoir. »<br /> <br /> Encore un pour lequel l'hagiographie est déconseillée.<br /> Mais que de vies dont l'examen est passionnant! Un conseil, allez voir pour Billaud-Varenne: la fin, exotique, vous surprendra...<br /> A part ça, bien sûr qu'on admire plus volontiers les proclamateurs des Droits de l'Homme que les artisans des Tribunaux révolutionnaires! Bien sûr qu'on reprendrait bien un peu de République, mais sans la Terreur, qu'on ne digère pas. Bien sûr que comme chat échaudé craint l'eau, même froide, on se méfie de ce qui a pu, peut ou pourrait accompagner les révolutions, ici, là ou ailleurs!
Y
C'est peut-être le principe du Panthéon qui est à discuter. Par contre, celui de l'Enfer, non.
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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