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vive les sociétés modernes - abécédaire

23 juillet 2015

auteurs

Adad Janine:  Vieillesse,

Baufrère Marc: Hasard

Bernardi Bruno:  Volonté générale,

Boituzat François: Idéologie

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Braun Guy: OMC

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Brisson Elisabeth: Frontières

Caillat Michel: Sport,

Chabanel Sophie: Zola,

Chapouthier Georges: Zoologie,

Chartier Roger: Livre

Chauvet Bertrand: Métamorphose

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Delaye Alain: Yoga,

De Sudres Daniel-Philippe : Transhumanisme, Vie humaine future (1), Vie humaine future (2)

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Deléage Jean-Paul: Justice écologique (1), Justice écologique (2),

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Faou Ronan: Inconscient

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Gautier Charles: Langage

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16 juillet 2015

Notions

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BBesoinsBiographie individuelleBouddhismemal-BouffeBourdieuBourgeois 

CChanceChoc des civilisations, Chômage,  ConscienceCoranCriseCrise de l'EcoleCulture,

DDroits d'auteur, Dogme, Duel, Dire, Décroître, Démocratie, Droit et morale, DéfaitismeDiscrimination.

EEtiologie, Enfant, Emancipation, Elections, Eveil, Egalité des chances, Edition, Egalité, Evolutions psychiques, Expression et opinion,

F Fanatisme, FantasmeFiliation (1), Filiation (complément), Filiations ("Nos ancêtres les Gaulois"), FigurationFinance, Français (et hommes politiques)Fraternité (1), Fraternité (précision), Frontières,

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K: Kairos, Kant, Keynésianisme, Kola, Kitsch (1), Kitsch (2), Kitsch (3), Krach, Kultur,

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M: Mai, Mai 68, "Maitres et possesseurs de la nature", Maladie psychiatrique, Management, Management et évaluation, Marchandisation, Marché, Marché (2), Matérialisme, Maternité, Mélancolie, Ménécée (Epicure), Mépris, Métamorphose (Kafka), Météore, Mobilité sociale, Modération, Modération politique, Munich, Mutation démographique, Mutation démographique (2)Mutation démographique (3),

N: Nanosciences NarcissismeNation, Nationalisme arabe, Nature, droit Naturel, NazismeNégationnisme Négociation, NépotismeNihilisme, Nine eleven, Nom, Non-violenceNon-violence et Ecole, Nosographie psychiatrique, NourrirNuit du 4 aout, Numérisation , Numérisation (2), Nyssen Hubert,

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S: Satisfaction, Satisfaction (2),Schizophrénie, Science, SDF, Sécurité nucléaire, Self made man, Sens de l'existence, Service, Séparation des pouvoirs, Sexualité, Sionisme, Société et solidarité, Socialisme, SpiritualitéSpontanéité, Sport, Suicides,

T: T, Tabac, Tabou, Télévision, Terrorisme, Totalitarisme, Transgénèse, Transhumanisme, Transmission, Transparence, Transsexualisme, Travail, Travail et reconnaissance, sociétés de TravailleursTremblemenXénophobiet de terre, Tolérance,

U:cont'Un, Unité (de la Cité), Universalisme, Universelle (allocation), Université, Urgence(s), Us et coutumes, Us et coutumes (complément), Usager, Usure, Utilitarisme, Utopie,

V: Vaccin, Vacuité Valeurs, Végétarisme, VéritéVieillesse, Vie humaine future (1), Vie humaine future (2), Ville,  Violence, Violence éducative Violence et Etat de droitVirtuel, Vision d'uraniumVouvoiement, Volonté générale, Vote des femmes, Voltaire, Votations

W: Weber, Welfarisme, Wall Street, Weil Simone, Weil (2), Workfare,

X: Xénophobie, Xénogreffe, rayonX, Xanthippe, X,

Y: Yahvé, Yoga,

Z: Zoologie, Zeus, Zay, Zola, Zététique, Zorro.

28 juin 2015

Z comme Zorro (mythe moderne)

 

Zorro, dans l’"Abécédaire des sociétés modernes" ? Pourquoi pas : le mythe paraît inusable, et donc actuel. Qui, enfant, certes plutôt garçon, rivé à son écran de télévision, ne s’est pas identifié à celui, qui, sur son cheval Tornado, signait fièrement son nom à la pointe de l'épée « d'un Z qui veut dire Zorro » ? Qui aujourd’hui, secrètement (attendre Zorro n’est pas toujours avouable, sauf peut-être sur le divan du psychanalyste) ne désire pas, au quotidien, en appeler au héros à la cape et au loup noirs ? Qui n’admire encore ce guérillero chic, défenseur des paysans amérindiens pauvres contre le joug espagnol, qui se bat vaillamment en ridiculisant l’ennemi (car Z possède aussi le sens de l’humour) ? Qui n’a jamais rêvé d’être à sa place ou de faire comme lui, ou encore de le faire intervenir en secours, au moment où l’on doit gérer le pire des emmerdements, par définition inopiné, comme un dégât des eaux, une rage de dents, un voisin bruyant ou un doute existentiel profond ?

Soit donc on s’identifie à lui, soit on rêve de le solliciter en cas de danger ou lorsqu’on est dans l’impasse. Alternativement les deux. Ce personnage, ce héros magnifique – dont le nom signifie renard en espagnol – restera dans ma mythologie, je le confesse, en tête des héros-sauveurs, d’abord parce que, enfant, je ne ratai pas un des 78 épisodes filmés produits par Walt Disney entre 1957 et 1961, mais que je ne découvris qu’après 1962 en même temps que la télévision, et ensuite parce que Z me paraît avoir des avantages concurrentiels par rapport à ses « collègues » : il est moins fort qu’Hercule mais plus rusé, moins mystique que Jésus - osons la comparaison - mais tout autant convaincu, moins brigand que Robin des Bois mais tout aussi épris de justice, moins sophistiqué que James Bond mais plus romantique, moins technologique qu’Iron Man mais plus authentique.  

Sur le fond, pourquoi un tel engouement réitéré du public vis-à-vis du glorieux cavalier noir ? A mon avis, il y a deux raisons essentielles. D’abord et bien sûr, comme on l’a dit, parce que c’est un combattant hors pair au service du Bien : Z défie l’oppresseur (le gouverneur colonial fascisant de la Californie espagnole), il est invincible (même pas peur à l’escrime) et il intervient de manière opportune et juste à temps – souvent à la dernière minute - lorsque tout est pourtant à craindre. Le salut incarné en quelque sorte ! Mais aussi, comme  Superman et/ou Clark Kent, son filleul et rival, parce que son double – lui, c’est don Diego de la Vega – se révèle un peu niais, maladroit et sentimental. Et cette duplicité nous renvoie à la nôtre : Z est aussi fort que faible, même si cette faiblesse apparente fait encore partie du décorum scénarique et de la ruse du héros. Zorro, à la sauce freudienne, c’est notre miroir, un combiné entre le moi et l’idéal du moi, la faillibilité et la toute puissance. Fragile et en même temps héroïque, tout à la fois espagnol et indien, être du jour et créature de la nuit, il est, comme nous le sommes, confronté au double contradictoire de la personnalité. On a tous en nous quelque chose de Tennessee, mais aussi de Zorro.

Et puis, il incarne aussi le tiers messianique – médecin, infirmier, déboucheur d’évier, plâtrier, conseiller fiscal, pompier, psychothérapeute, coach - qui, à cheval et masqué, peut nous sauver à tout instant.  Les entreprises raffolent de ces gourous qui vont les sortir de la faillite ou faire tripler leur chiffre d’affaire. Dans le domaine politique, les sociétés - modernes ou anciennes - ont toujours fait appel à leur Z : un homme providentiel qui sauve la situation à la dernière minute. Si l’on reprend la typologie de Max Weber, Zorro pourrait ainsi relever de la légitimité charismatique. Pour ne pas quitter l’hexagone, de Gaulle fut le Zorro de la France de juin 1940, et plus récemment, Sarkozy put apparaître (de manière certes plus relative) aux yeux de l’UMP le sauveur, DSK pour la gauche social-démocrate le fut également avant de ruiner sa réputation et d’apparaître plutôt comme un Sergent Garcia embourbé dans la gadoue. Dans la France d’aujourd’hui, d’ailleurs, tout le monde attend impatiemment un nouveau Z. La Juppémania actuelle, par exemple, traduit bien cette quête.

Mais attention, à force de l’attendre et de le rêver, ce Zorro improbable, ce Zorro des grands soirs, et ne pouvant plus supporter l’injustice et la misère sociale, le peuple pourrait choisir un politicien à sa place, qui en aurait emprunté le masque, et peut être même la cape et le cheval, mais dont le programme mis en œuvre ne serait qu’une dangereuse chimère.   

 

Jean-Paul GUEDJ, coach, essayiste et poète, vient de publier deux livres : « Une poussière dans l’âme » (Collection Le Merle moqueur, le Temps des Cerises) et « Le petit décodeur des phrases toxiques qui nous plombent le moral » (Larousse).

17 juin 2015

Z comme Zététique (ou l'homme inconnu)

          

Ce n’est pas innocemment que j’ai choisi ce mot en Z, parmi les quelques mots commençant par la dernière lettre de notre alphabet. Mon choix professionnel a fait de moi un zététicien qui s’ignorait, mais m’a confronté à d’autres zététiciens, dont la zététique est faite de certitudes.

Le terme vient de l’adjectif grec « zetetikos », « qui aime chercher ». Il a été repris récemment et a reçu le sens de « l’art du doute ». Mais l’objet de ses adeptes est de pourfendre les « pseudo-sciences », non réfutables selon la classification de Karl Popper, constituant l’ensemble des sciences « humaines. »

Après la séquence scientifique,  seule admise à l’hôpital, symptômes, signes, diagnostic et traitement, j’ai fait la rencontre, par l’exercice de la médecine générale, des symptômes sans signes, de l’absence de diagnostic, des traitements…symptomatiques, et des « réactions thérapeutiques négatives ».

Grâce à l’expérience de confrères chevronnés, j’ai été initié à ce qu’on osait encore nommer « hystérie », et découvert, incidemment, le bien que faisait une écoute « tout venant », sortant du dictionnaire médical.

J’ai entendu parler de Balint, de ses critiques positives de l’exercice de la médecine générale, et de son aphorisme : « La façon de donner fait mieux que ce qu’on donne. »

D’autres circonstances, non spécifiques, comme le grand bordel de Mai 1968, ses germes de doutes, mais aussi ses ouvertures dans les cloisons de la société, m’ont ouvert la voie d’une spécialisation. La psychiatrie était compatible avec la poursuite de l’activité professionnelle en cours. Va pour la psychiatrie, l’intendance suivrait.

À cette époque, la psychiatrie et la psychanalyse n’étaient pas dissociables, les deux formations allaient de pair, ça m’est apparu comme évident, et je m’y suis conformé.

J’ai donc rencontré la souffrance psychique, celle de la vraie maladie mentale, de la schizophrénie, de la psychose bipolaire, de leurs combinaisons et de leurs variantes. Et celle que créent le doute*, l’échec, le sentiment de non-valeur, les « difficultés relationnelles ». Avec ou sans symptômes névrotiques, angoisses, phobies, obsessions. Et, bien sûr, les somatisations.

Le couple psychiatrie-psychanalyse avait agrandi son domaine en prenant en charge des maladies que la médecine scientifique ne parvenait pas à décrypter. Elles furent décrétées « psycho-somatiques », le sujet malade étant supposé agresser son corps pour éviter d’aborder une problématique explosive, dissimulée dans l’inconscient.

Quelques années plus tard, la découverte des phénomènes de l’auto-immunité remit en selle la médecine scientifique et fit de ces maladies un territoire contesté. La  médecine eut le dernier mot.

Elle l’eut encore, dans le champ psychiatrique, pour les psychoses, dont les psychopathologies « psychogènes » n’étaient pas vérifiables, alors que les progrès de la neuro-physiologie et de la génétique leur donnaient des bases biologiques, accessibles au traitement médical étiologique, et non plus simplement symptomatique. Ainsi, de nos jours, l’autisme , ex faux-témoin de la malfaisance des mères, est éclaté en divers syndromes, dont certains sont améliorés par des médicaments de toute autre destination que psychotrope, mais dont l’efficacité symptomatique est découverte fortuitement., ce qui ouvre un champ de recherche pour ces cas particuliers.

De là à conclure que l’homme n’était que neuronal, qu’il n’était malade que de son cerveau, et pas du tout des péripéties de son existence, pour certains observateurs extérieurs, savants, mais non compétents, le chemin fut court. Dans leur esprit, l’édifice freudien fut rasé, tout simplement.

Ses praticiens les plus en vue jugèrent indispensable de prendre publiquement la défense de leur théorie et de leur pratique. C’était humain. Mais inutile.

L’actualité, faite de drames divers, que des médias abondants diffusent dans le monde entier en temps réel, met à l’épreuve l’émotivité des humains, contraints de savoir, quelle que soit la distance qui les sépare du lieu du drame. Il en résulte aussi que ceux qui en ont été proches ne peuvent qu’être gravement affectés par ce qui vient de se passer sous leurs yeux, ou à portée de leurs oreilles. L’émotion, son effet traumatisant sur le système qui la transporte, la diffuse, est présumée inversement proportionnelle à la distance. Elle ne peut être que pathogène pour les victimes. Les responsables du bon équilibre des esprits s’empressent d’envoyer sur les lieux des escouades de soignants en psychologie, pour écouter et réconforter les témoins. Ce qui prouve la reconnaissance des « états d’âme », même si l’existence d’une âme est contestée. Le droit est reconnu à l’homme de souffrir par son esprit, et se prolonge par le droit d’être écouté et aidé.  Il n’est plus nécessaire qu’il le demande.

J’y vois « une extension du domaine de la psychanalyse », ce qui prouve la place de l’œuvre freudienne dans la culture des sociétés modernes. Mais aussi, son dévoiement.

J’imagine, cependant, que cette banalisation de la psychothérapie ne doit pas plaire aux zététiciens qui se sont attribués la mission de lutter contre toutes les dérives magiques de l’homme, s’écartant de la rigueur scientifique, qui exige la reproductibilité des effets, et la mise à l’écart de la personnalité de l’utilisateur.

Balayant l’effet « placebo »** dont la réalité est pourtant attestée, au point d’être gênante, ces puristes pourfendent les méthodes empiriques que sont l’homéopathie*** et l’acupuncture, et, bien sûr, la psychanalyse et ses clones, mettant en jeu une relation interhumaine, vouée à l’obtention d’une amélioration des symptômes et du mal de vivre, par ce seul moyen.

Il est probable que le centrage d’une écoute sur la souffrance intime d’un sujet mobilise une autre forme d’intérêt pour lui-même. Que le déballage du passé, de l’enfance, des relations familiales, des échecs sentimentaux, des difficultés de la vie sociale, soit contingent.  Mais une opération de rangement ne remet pas tous les objets à la même place, et certains sont jetés !

Depuis quelques décennies les psychiatres, plus rares, et avalés par les besoins des hôpitaux, sont remplacés par les psychologues, qui ne dédaignent pas les formations parallèles aux diverses méthodes de psychothérapie. La psychanalyse a conservé une place majeure, malgré toutes les critiques qui lui sont adressées.

La médecine, et la psychiatrie, qui en est une partie, prennent acte de la dépendance, à un médicament correcteur, ou substitutif, créée par une maladie, ou une défaillance d’un mécanisme biologique essentiel.

Les psychothérapies, faisant intervenir un témoin, un accompagnateur, et non un guide, visent au contraire le rétablissement de la liberté perdue, ou inutilisable par le sujet lui-même. La durée n’est jamais une éternité.

Le destin d’un psychothérapeute, disait un de mes enseignants, est d’être un déchet, laissé au bord de la route.

 

Yves Leclercq  (psychiatre, psychanalyste)

 

*Le doute de soi-même

**L’effet « placebo » est attribué à la sécrétion d’endorphines cérébrales, au pouvoir antalgique et euphorisant, comme l’alcaloïde du pavot. Les études pharmacologiques s’efforcent de l’écarter par la technique du double-aveugle. Le médecin expérimentateur ne sait pas ce qu’il donne, le patient qui participe à l’expérimentation ne sait pas ce qu’il prend.

*** L’homéopathie est particulièrement attaquée, car la présence de la substance active est  improbable. Ce n’est qu’un placebo.

 

 

6 juin 2015

Z comme Zola (et la question financière)

 

Publié en 1891 et inspiré par des faits réels, le roman L’Argent offre des clés de lecture passionnantes pour comprendre la finance d’aujourd’hui. A travers l’aventure de la Banque Universelle, de sa création jusqu’à son effondrement, en passant par une phase d’hystérie boursière orchestrée par son créateur, Zola dénonce l’impuissance des systèmes de contrôle, la spéculation outrancière et l’absence de morale des financiers.

Cette dernière est particulièrement criante chez Auguste Saccard, le personnage principal, présenté d’emblée comme opportuniste, cupide et dévoré d’ambition – caractéristiques déjà présentes dans La fortune des Rougon et La curée. Mais elle s’applique aussi à l’ensemble du monde boursier, « mécanique géante » mue exclusivement par la recherche du profit. De fait, la bourse propose des gains autrement plus rapides que l'économie réelle, ce qui conduit le fabricant de soie lyonnais Sédille à se désintéresser de son affaire : « A cette fièvre, le pis est qu'on se dégoûte du gain légitime ». L’opposition est clairement marquée entre les industriels, qui construisent, et les boursiers, qui profitent.

Une gouvernance ineffective

Autre trait dénoncé par Zola et toujours d’actualité, la connivence, qui rend toute gouvernance ineffective. C'est grâce à son réseau d'influence, avec ses renvois d'ascenseurs et copinages qu'un Saccard pourtant ruiné constitue en une journée son tour de table initial. Avec la même facilité, il trouve un prête-nom disposé à signer tout ce qu'on lui présentera. Le complice se prête au jeu sans contrepartie financière directe : il tient désormais l'autre à sa merci et le jour viendra forcément où il en tirera bénéfice. Tout cela fait écho avec la situation contemporaine, en particulier avec la tradition française toujours vivace des participations croisées aux conseils d’administration – avec le manque d’indépendance qui en découle.

La complexité des opérations de bourse facilite les magouilles

La complexité technique de l'univers boursier contribue aussi aux pratiques frauduleuses. Le grand public, qui n'y comprend rien, est facile à duper. « Et, de leur prodigalité, de tout cet argent qu’ils jetaient de la sorte en vacarme, aux quatre coins du ciel, se dégageait surtout leur dédain immense du public, le mépris de leur intelligence d’hommes d’affaires pour la noire ignorance du troupeau, prêt à croire tous les contes, tellement fermé aux opérations compliquées de la Bourse, que les raccrochages les plus éhontés allumaient les passants et faisaient pleuvoir les millions. »

Cette opacité permet également d'échapper aux systèmes de contrôle. Les « commissaires-censeurs », ancêtres de nos commissaires aux comptes, sont dépassés, comme on le voit lors d'une assemblée générale de la banque. « Sans doute, [Lavignière, réélu commissaire-censeur] était de bonne foi, et il devait avoir examiné consciencieusement les pièces soumises à son contrôle ; mais rien n’est plus illusoire, car, pour étudier à fond une comptabilité, il faut en refaire une autre, entièrement. » Pour couronner le tout, les hommes choisis pour cette fonction « délicate autant qu'inutile » ( !) n'ont aucune indépendance. Le premier est inféodé au second, qui ne rêve que d’entrer au conseil d'administration … Joli conflit d'intérêt !

Victime facile du fait de son ignorance et de sa cupidité, l'opinion publique est l'objet d'une manipulation permanente, au cœur de l’éphémère succès de la Banque universelle. Premier volet, la spéculation orchestrée par Saccard, pour faire croire au miracle et lancer le mouvement à la hausse. « Il fallait faire croire toujours à plus de succès, à des guichets monumentaux, des guichets enchantés qui absorbaient des rivières, pour rendre des fleuves, des océans d’or. » En parallèle, le banquier rachète tous les journaux financiers, y compris le plus respectable « qui avait derrière lui une honnêteté impeccable de douze ans ». Dans son cynisme, il n'a jamais douté parvenir à ses fins : « ça menaçait d'être très cher, une probité pareille ». Ayant la main sur toutes ces publications, la Banque Universelle peut faire chanter ses louanges sur tous les tons.

Des règles constamment bafouées

Constitution de la société, conseils d'administration, assemblées générales, augmentations de capital : les multiples événements juridiques qui ponctuent le roman sont autant de mascarades. La réglementation n’est rien d’autre qu’un formalisme bidon. Aussi Saccard s'emporte-t-il contre son amie Mme Caroline qui lit avec attention le Code, comme s'il méritait d'être pris au sérieux ! De même, les instances de  gouvernance de la banque sont une plaisanterie. Les administrateurs ne s’intéressent qu’à leur enrichissement personnel : Saccard n'aura aucun mal à les acheter l'un après l'autre, en leur versant des pots-de-vin ou en étouffant des scandales. Le pire est qu’ils s’en sortiront bien : alors que la faillite de l'Universelle sèmera ruine et désolation chez les petits actionnaires, eux soutireront de l’opération un joli pactole. Saccard ira tout de même en prison… où il rêvera d’échafauder de nouveaux empires.

 

Sophie Chabanel, écrivain et formatrice ( Managers, relisez vos classiques! De Zola à Houellebecq, un autre regard sur l'entreprise, Ed d'Organisation, 2011)

 

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25 mai 2015

Z comme Jean Zay (grand ministre au destin tragique)

J’écris ce billet une semaine avant la « panthéonisation » (en même temps que trois autres « figures de la Résistance » : Geneviève Anthonioz-De Gaulle, Pierre Brossolette et Germaine Tillion) de Jean Zay… le dernier des quatre, du moins selon l’ordre alphabétique. Heureuse coïncidence de l’actualité et de l’ordre qui mène à la lettre Z sur cet abécédaire des sociétés modernes !

J’écris ce billet au surlendemain de l’adieu des Orléanais à Jean Zay, dont la dépouille a quitté sa ville lundi 19 mai. J’écris ce billet le jour de la publication au JO du projet de réforme des collèges, projet d’une ministre aussi jeune et résolue que le fut, au même ministère, Jean Zay… dont elle a choisi de reprendre pour elle-même le bureau, récupéré au Mobilier National. Certes la jeunesse, l’ambition et le bureau ne suffisent pas à faire les bons ministres, mais quand même…

J’écris ce billet sans avoir la moindre autorité en la matière… sinon que j’ai appris à connaître par les travaux des historiens et les témoignages de Catherine Martin-Zay et Hélène Mouchard-Zay, ses filles, un personnage qui mérite particulièrement l’attention et le respect. Et pour avoir entendu comment pouvaient en parler Mitterrand et Hollande, Peillon et Fillon, et des élus orléanais comme Jean-Pierre Sueur (sénateur PS), Olivier Carré (Député UMP) et Serge Grouard (Député et maire UMP d’Orléans) et Robert Badinter (1), qui en a sans doute le mieux parlé, je me suis dit que mon admiration sincère était partagée par tant d’autres qu’elle devait peut-être, quelque part, être fondée…

Sur Jean Zay, les lecteurs de ce blog, auront eu, actualité oblige, la possibilité de lire tant d’articles et de recueillir tant d’informations qu’il n’est sans doute ni nécessaire ni possible d’en dire plus ici. Mais un certain nombre de points peuvent nourrir la réflexion.

Comment ne pas être frappé par le décalage entre la grandeur de l’œuvre ministérielle et l’oubli dans lequel est longtemps resté celui qui fut à l’origine de tant de choses dont nous avons hérité et auxquelles nous nous sommes tellement habitué qu’elles semblent aller de soi ? Je vais citer, dans le désordre et en en laissant de côté :

*la création du CNRS (en octobre 39) et la pérennisation du Palais de la Découverte,

*le projet de loi, en 36, créant pour démocratiser le recrutement des cadres administratifs et moderniser leur formation,  l’ENA, projet bloqué par le Sénat et qui verra le jour en 1945, la création de ce qui est aujourd’hui le CROUS et le système de médecine préventive pour les étudiants,

*le lancement d’un festival de cinéma (2) qui devait se tenir, tout était prêt, à Cannes en septembre 1939,

*le réseau du bibliobus dans le cadre de ce qu’on appelle la lecture publique, la réglementation du droit d’auteur et des contrats d’édition,

*la création de grands musées : musée d’Art moderne, musée des Arts et traditions populaires, musée de l’Homme, musée de la Marine,

*la radio scolaire et le cinéma éducatif, le soutien à la création de la Cinémathèque française

*la prolongation (à 14 ans) de la scolarité obligatoire, le Brevet sportif populaire, l’USEP,

*l’unification des structures d’un système scolaire jusque-là éclaté en filières séparées et socialement ségrégatives (Les Ecoles Primaires supérieures… ça n’était pas le lycée…) par la mise en place, au ministère, de directions unifiant la scolarité selon les âges et les étapes (Direction du Premier degré, Direction du Second Degré). Tout cela non pas par « la » réforme (il n’y eut pas de « réforme Zay ») mais par la démarche de l’expérimentation, le pragmatisme, l’appel à l’initiative des enseignants. Qu’on en juge par cette remarque : « Si nous avions, dans l’histoire de l’évolution scolaire française, quelques lustres aussi riches en innovations hardies que ces deux dernières années, il y aurait quelque chose de changé dans l’éducation française. » C’est Célestin Freinet qui s’exprimait ainsi…

Et combien de mesures peut-être moins prestigieuses ou emblématiques mais tout aussi décisives (3) telles que le doublement du montant des bourses, dès 1936, un programme ambitieux de constructions scolaires, des créations de postes… Des locaux et des moyens à la hauteur des ambitions, certes, mais aussi des nouveautés pédagogiques comme les activités dirigées, les classes promenades, les sorties scolaires pour travaux d’observation active, toute cette modernité pédagogique qui s’illustre dans les Instructions officielles de 1938 (4).

Et la circulaire (5) donnant le cadre légal aux mesures prises pour maintenir les établissements scolaires hors des activités de propagande politique et religieuse qu’il aurait été sage d’appliquer sans s’enferrer dans des querelles byzantines sur « le voile », les signes ostentatoires ou la longueur des jupes !

Et l’élan donné à la Comédie Française par la mission confiée à un auteur, Edouard Bourdet, assisté de metteurs en scène extérieurs à la vieille maison, trois du Cartel, Gaston Baty, Charles Dullin, Louis Jouvet, ainsi que Jacques Copeau… Et la création de la Réunion des théâtres lyriques nationaux, les bases pour la création des ATP !

Et la décoration du musée de l’Air confiée à Robert et Sonia Delaunay… Et la politique de commandes publiques aux plus grands créateurs confirmés (La Fée Electricité de Dufy) ou appartenant à des courants jusque-là moins reconnus (par exemple le Groupe des Six, Darius Milhaud…), l’acquisition par les musées des premiers Kandinsky, Tanguy, des maquettes de Le Corbusier…(6)

Derrière tout cela, un ministère dont les compétences couvrent celles qui sont aujourd’hui celles de l’Education nationale, mais aussi, de la Recherche, de l’Université, de la Culture, de la Jeunesse et des Sports ! Un ministère et donc aussi un ministre et celles et ceux avec qui il travaille : Marcel Abraham, Irène Joliot-Curie, Jean Perrin, Cécile Brunschwig, Jean Cassou, George Huisman,  Paul Rivet, Michel Leiris, Léo Lagrange… Et je mentionne aussi, parmi ceux dont particulièrement il est si proche, un autre député, Pierre Mendès-France, un autre ministre, Pierre Cot avec lesquels il a redonné du souffle au radicalisme et contribué à la création du Front populaire (7).

Tout cela fait ou amorcé en trois années de responsabilité ministérielle… en un temps où dans les Conseils, Jean Zay, tôt conscient des dangers fascistes et nazis, bataille pour une intervention en Espagne et s’oppose aux partisans des accords de Munich. Une telle activité laisse songeur… Il est vrai que le ministère ne gérait pas d’effectifs comparables à ceux d’aujourd’hui : les 150 000 instituteurs étaient gérés par les inspecteurs d’académie, il y avait 260 000 élèves dans le secondaire (moins d’un tiers étant des filles) et dans les 15 000 professeurs, et dans le supérieur… 2000 professeurs dispensaient leur savoir à 75 000 étudiants. Quant au privé, il était totalement indépendant du ministère. La tâche du ministre était donc moins lourde qu’elle ne l’est actuellement.

 

Malgré le nombre d’établissements (5 lycées, 21 collèges, 66 écoles primaires…) auquel son nom a été donné,  la question de l’oubli dont l’action de Jean Zay a été frappée reste posée. Une hypothèse explicative est proposée. A la Libération, deux récits sont construits : celui qui est lié à l’homme de l’appel du 18 juin, au rôle des Français libres et des Compagnons de la Libération… et Jean Zay n’a pas de place, alors, dans ce récit gaulliste, celui qui est lié à l’action du PCF (le « parti des fusillés »…), des FTP, du peuple résistant… et là non plus, Jean Zay n’a pas de rôle. De plus, le discrédit jeté sur la Troisième République par les ennemis de la République subsiste, même après l’effondrement du régime de Vichy et ce discrédit affecte aussi le parti de Jean Zay, le parti radical et radical-socialiste. Aucun courant politique ou médiatique fortement constitué ne portera la mémoire de Jean Zay.

Enfin, si la réhabilitation de Jean Zay après la condamnation inique prononcée par un tribunal militaire aux ordres des partisans de la collaboration est vite prononcée (citation à l’ordre de la nation, statut de Résistant reconnu à celui qui de sa prison communique avec l’OCM Organisation civile et militaire (8), mention « Mort pour la France »), les conditions atroces de son exécution par des miliciens en juin 1944 seront tardivement connues et les procès engagés dans les années 50 ne mèneront qu’à des condamnations d’exécutants à des peines finalement légères en regard du crime commis. L’assassinat de Jean Zay est, dans la période de la guerre froide et de la réconciliation nationale, de ces affaires qui embarrassent… comme l’est la participation de « malgré nous » au crime d’Oradour.

L’effacement de Jean Zay dans la mémoire française des années 50-60 (9) a fait place peu à peu, à une reconnaissance qui a fini par dépasser dans les années 70, l’intérêt maintenu par quelques militants laïques et d’anciens responsables de l’Education nationale(10). Longtemps seule, l’étude biographique de Marcel Ruby (11) a été depuis rejointe par une quantité d’ouvrages, comme, venu d’un responsable politique UMP, le livre un peu inclassable de Roger Karoutchi (12) et l’étude foisonnante de Gérard Boulanger, l’avocat bordelais dont le nom est lié à « l’affaire Papon » et qui étudie minutieusement les procès  ainsi que les origines et les composantes de la haine antisémite dont Jean Zay fut l’objet (13).

Jean Zay, brillant élève boursier, journaliste et avocat, issu de familles juive (par son père) et protestante (par sa mère) fut marqué par ses engagements laïques et son adhésion à la Franc maçonnerie. On peine à mesurer aujourd’hui de quelles attaques moqueuses (le ministre de la « récréation nationale ») et plus encore haineuses il fut l’objet. On lira avec effarement l’article de Lucien Rebatet dans l’action française du 22 avril 1938 (14). Une citation, juste pour donner une idée : « Je suis de ceux qui n’admettront jamais  de voir accolés aussi indécemment le nom d’un Juif tel que Zay et le nom de la France ». Les publicistes de Gringoire et aussi LF Céline (hélas) ne furent pas en reste.

                Le courageux choix de Jean Zay, quittant à la déclaration de guerre le ministère sans autre obligation que sa conscience, n’y fit rien. « Agé de 35 ans, je désire partager le sort de cette jeunesse française pour laquelle j’ai travaillé de mon mieux au gouvernement, depuis 40 mois : je demande donc à suivre le sort normal de ma classe », écrit-il le 3 septembre 1939 au Président du Conseil.

                Pour qui la connaîtrait encore mal, je rappelle la suite dans ses grandes lignes : le sous-lieutenant Zay est affecté en Lorraine… tout en maintenant son activité de député. Il est « volontaire pour les missions les plus périlleuses et les plus délicates » témoigneront ses chefs. Répondant  le 19 juin 1940 à une convocation des parlementaires à Bordeaux, il comprend que certains avec Pétain préparent un armistice qu’il désapprouve et que d’autres entendent continuer la lutte depuis l’Afrique du Nord où le Président de la République a prévu de se rendre aussi et où se reconstituerait un gouvernement. Jean Zay s’embarque sur le Massilia le 20 juin : La signature de l’armistice sous la pression de Laval transforme en « fuyards » les parlementaires officiers du Massilia, qui n’obtiennent pas le retour du navire. Le piège se referme, le gouverneur militaire du Maroc choisit l’allégeance à Vichy. Jean Zay est arrêté le 16 août 1940, condamné le 4 octobre à la déportation et à la dégradation militaire (comme naguère Dreyfus…), peine de fait inapplicable (15).

Il se refuse à tout recours en grâce, ne doute jamais de son bon droit, écarte l’idée de l’évasion, lit, écrit, travaille à des projets pour la reconstruction d’une république après une libération de la France dont il ne doute pas. Pendant ce temps les attaques de la presse collaborationniste sont incessantes. Civilement mort du fait de sa condamnation, il apprend que l’Ordre des avocats l’a radié en anticipant sur les mesures du « Statut des Juifs », que son appartement est pillé, ses meubles et documents volés… Il peut parfois recevoir des visites, voit, par périodes sa famille (et fait passer des documents sous le matelas du landau de sa fille cadette) crée une sorte de jardin dans un coin de cour devant sa cellule à Riom, ne cesse pratiquement pas d’écrire : celui que les miliciens viennent chercher pour l’abattre était en passe de s’accomplir en écrivain, il n’est qu’à lire aujourd’hui Souvenirs et Solitude (16) pour s’en convaincre.

On ne peut refaire l’histoire avec des si… mais on peut imaginer de quel poids aurait été Jean Zay auprès du général de Gaulle s’il avait pu prendre le chemin de Londres plutôt que celui du Maroc, on peut mesurer, comme l’a fait Mendès-France, à quel point un ministre et responsable politique de l’envergure de Jean Zay aurait pu contribuer à la reconstruction de la France et de la République…

Il y a quelque chose de grand et de tragique dans le destin de Jean Zay. Que le corps jeté dans un ravin près de Cusset, corps pendant longtemps disparu et retrouvé par hasard, deux ans après le meurtre, et identifié plus tard encore d’après les aveux d’un des assassins, que ce corps ait pris ces jours-ci le chemin du Panthéon, qui pourrait ne pas trouver juste et riche de sens un tel épilogue ?

 

Jean-Christophe Haglund

Ancien professeur au lycée Jean Zay d’Orléans

Ancien président du Cercle Jean Zay d’Orléans

 

 

1 Jean Zay, le républicain Discours prononcé le 23 novembre pour l’inauguration de l’amphi Jean Zay à l’Université d’Orléans, diffusé par le Cercle Jean Zay d’Orléans

2 Jean Zay, ministre du cinéma, 1936-1939 Documentaire d’Alain Tyr, Francis Gendron et Alain Braun 2015 disponible en DVD

3 I.O. commentées par Antoine Prost Presses de Sciences po Paris 2003

4 Zay Jean (1904-2004) Notice de Claude Lelièvre dans l’Histoire biographique de l’enseignement en France Paris Retz 1990

5 L’interdiction des propagandes politique et confessionnelle dans les établissements scolaires Deux circulaires de Jean Zay en 1936 et 1937 Article d’Olivier Loubes dans Vingtième siècle, revue d’histoire n° 81 janvier-mars 2004

6 La belle illusion. Culture et Politique sous le signe du Front populaire  Pascal Ory Paris Plon 1994

7 Jean Zay entre Jeunes Turcs et jeunes radicaux par Pierre Girard dans Jean Zay et la gauche du radicalisme Presses de Sciences po Paris 2003 Ouvrage collectif sous la direction d’Antoine Prost

8 Jean Zay et la Résistance par Benoît Verny in Jean Zay et la gauche du radicalisme

9 Jean Zay : l’inconnu de la République  Olivier Loubes Paris Armand Colin 2012

10 Jean Zay, un ministre éducateur Maurice Chavardès Paris IPN 1965

11 La vie et l’œuvre de Jean Zay Marcel Ruby Paris Gedalge 1969, repris et enrichi aux éditions Corsaire en 1994

12 Jean Zay, ministre du Front populaire, résistant, martyr Roger Karoutchi et Olivier Babeau Paris Ramsay 2006

13 L’affaire Jean Zay. La République assassinée Paris Calmann-Lévy 2013

14 Le Juif Zay et la musique française reproduit dans Jean Zay, le ministre assassiné 1904-1944 par Antoine Prost et Pascal Ory Paris Tallandier/Canopé/Cuip  2015

15  Jean Zay : le premier procès politique de Vichy Olivier Loubes L’Histoire n°359 décembre 2010

16 Souvenirs et Solitude  Jean Zay Paris Belin 2010

 

19 mai 2015

Z comme Zeus (ou le sens grec du divin)

Zeus est la figure éminente des nouveaux dieux Olympiens, dont W. F. Otto souligne qu’ils ne relèvent d’aucune révélation, d’aucun texte sacré ni d’aucune mythologie : leur présence se manifeste dans le muthos de la parole poétique, laquelle fonde un monde habitable qu’elle exalte comme kosmos, sous le signe de la beauté et de l’ordonnance des choses assignées à leur limite.

Dieu nouveau, Zeus l’est par sa victoire sur les Titans. Ayant pu, grâce à sa mère et aux soins de la chèvre Amalthée, échapper à son père, le Titan Cronos qui dévore ses enfants, il le remplace, renverse les Titans et instaure l’ordre Olympien, auquel vont contribuer aussi ses enfants, tels Athéna, Hermès, Aphrodite… Ce maître du ciel, habitant les hauteurs terrestres, cristallise le nouveau sens grec du divin en ce qu’il concentre en lui trois principes majeurs : la lumière, le masculin et la mesure de la limite. Sa lumière, inscrite dans l’étymologie du nom de Zeus (*dei : briller ; dies, le jour), qui est celle du jour autant que celle de l’éclair, est surtout celle qui resplendit dans l’éclat de la force mûrie et accomplie, qu’incarne à son tour le principe du masculin comme puissance capable de faire régner la mesure : c’est là le sens de la balance, cet attribut de Zeus qui signe la maîtrise du jeu des forces. Immortel, mais non pas éternel ni infini, Zeus se manifeste à la fois comme omniprésence et comme distance. Il établit pour les mortels l’équilibre dans la durée, en les ouvrant au sens de la limite et à la vie du monde, dont il garantit l’habitable stabilité.

Il est ainsi, dit Hésiode, dieu justicier et dieu protecteur. Si l’on évoque les themistes (décrets) du grand Zeus, c’est précisément qu’il s’est uni à Thémis, l’ancienne déesse ancienne de la Justice, union dont sont nées les Moires et les Heures, déesses du destin et du temps. La multiplicité des qualificatifs qui lui sont associés depuis Homère couvre tous les registres dans lesquels s’exerce son pouvoir de gardien des équilibres et des limites. Garant et protecteur, il l’est de la cité (polieus, poliouchos), de l’étranger (xenios), du mendiant et suppliant (hikesios), des limites territoriales (horios), des clôtures et des entrées des maisons (herkeios), de la famille et de la parenté (sunaimos), de la propriété et des biens du foyer (ktésios), ainsi que des serments (horkios). 

 

S’il est donc un dieu salutaire (soter), qui éloigne le mal, Zeus peut être aussi, dans la variété très grecque de ses manifestations, un dieu inquiétant et démonique, comme lorsque, dans l’Iliade, il se retire pour méditer dans un nuage annonçant le malheur, quand il étend une nuit funeste sur la mêlée violente des combattants, « afin que soit plus désastreuse encore cette lutte qui s’engage ». Achille peut ainsi dire à Zeus : « Zeus, père, oui, tu voues les hommes au malheur des grands aveuglements », et Agamemnon dire de lui : « Le Cronide m’a accablé sous le poids d’une folie aveugle. » Pour les dieux eux-mêmes Zeus peut être énigmatique, comme lorsqu’il part d’un grand rire sarcastique à l’annonce de la bataille qui se déclenche entre les Immortels ; et Héra, son épouse, de dénoncer devant l’assemblée des dieux un Zeus « au cœur arrogant et implacable », qui « siège à l’écart et ne s’inquiète pas de nos prières ».

Dieu très grec en ce sens, il est Un et multiple à la fois, et même garant de la multiplicité dans l’unité, capable des métamorphoses les plus inattendues – devenant aigle avec Ganymède, cygne avec Léda, ou encore pluie d’or avec Danaé. Zeus, en tout cas, ne saurait être réduit à la figure toute puissante du Père Un. Dans le mystérieux fragment 32 d’Héraclite – « L’Un, l’avisé, lui seul, ne se prête pas et s’apprête à se laisser dire du nom de Zeus  » –, cette figure du dieu grec, qui ne peut se saisir que dans l’harmonie des contraires, apparaît dans toute son ambivalence – même si Héraclite annonce ou pressent peut-être déjà le devenir prochain d’une déité comprise dans l’unité à venir de l’Un et de l’être.

Mais Zeus omniprésent n’est pas non plus tout-puissant. Dans l’Iliade, Homère évoque un Zeus abusé par le Sommeil, ou par la ruse d’Héra lors de la naissance d’Héraklès. Et Agamemnon peut dire qu’Atè, l’aveugle folie, « a réussi à tromper Zeus lui-même, lui pourtant le plus grand parmi les hommes et les dieux ». Mais surtout, et plus profondément encore, Zeus n’a pas le pouvoir de décider absolument du destin des mortels.  Certes, Homère le dit, Zeus a deux jarres, l’une contenant les biens, l’autre les maux : la part destinée aux hommes est ou bien un mélange du contenu des deux, ou bien exclusivement le malheur. Mais pour la vie et la mort, une autre instance s’affirme comme supérieure à Zeus : Moira, la divinité immémoriale de « l’Échéance ». Si l’Iliade présente Zeus comme gardien de la Moira, et lui conserve le pouvoir de maintenir en suspens l’équilibre vie et mort, s’il peut faire pencher la balance, il reste que la balance elle-même reste supérieure à Zeus, parce qu’il doit s’incliner devant la puissance inéluctable de Moira, qui, elle, a déjà décidé de l’échéance finale. Ajoutons que la puissance d’Éros et l’attraction de la beauté dominent Zeus lui-même, comme le montrent les épisodes avec Héra, Alkmène, Danaé, ou Ganymède. Que le dieu des dieux soit soumis à la puissance du beau et à la liberté qu’elle implique, dans une gaieté et une joie totalement absentes chez les Titans, rien de plus fondamentalement grec. Rien de plus grec, surtout, que le plus puissant des dieux ne soit pas plus le maître de toute sa vie que celui de la mort des hommes : le sens de la limite, essentiel au monde grec, est le partage des Immortels autant que celui des Mortels.

 

Il est étonnant de voir à quelle platitude s’est vue historiquement réduite cette compréhension grecque des dieux dont Zeus est ici l’occasion d’une rapide illustration. Philosophie, religion, histoire des religions, anthropologie se sont généralement entendues pour la caricaturer à l’extrême et pour la reléguer au rang des curiosités primitives. Deux poètes au contraire, Hölderlin et Goethe, chacun à sa manière, ont été les premiers à s’émerveiller de sa singularité inouïe,  et c’est dans leur sillage qu’au XXe siècle le philologue W.F. Otto a consacré sa vie son œuvre à comprendre et à éclairer en quoi le dieu, pour les Grecs, ne relevait ni d’une religion ni même d’une croyance, mais d’une expérience poétique plus haute encore. Alors que le monde moderne prétend s’inspirer politiquement – au prix de quelles simplifications – de la grandeur de la démocratie athénienne (dont le fondateur, le poète Solon, était inspiré par Hésiode), il serait de l’intérêt de la pensée, en ces temps religieusement si troublés, de mesurer combien le sens grec du divin, par delà toute historicité, peut demeurer aujourd’hui fécond, et même riche d’avenir.  

Jean Lauxerois, phiosophe et traducteur (auteur notamment de Walter F. Otto & le sens grec du divin, Éditions du Grand Est, 2009)

8 mai 2015

Z comme Zoologie (ou de la conception moderne des animaux et de l'animalité)

 

La zoologie est la science qui étudie et définit les animaux. Dans les limites de ce court article, nous voudrions centrer notre propos sur une partie de son objet : la conception moderne des animaux et de l’animalité, avec les conséquences sociales et morales qui en découlent.

 

L’animal selon la science *.

 

La conception populaire fait des animaux des êtres vivants « animés », ce qui correspond bien  aux relations que l’homme peut entretenir avec les animaux qu’il rencontre dans son environnement.  L’observation scientifique avait permis d’étendre cette conception à d’autres êtres vivants, ne comportant qu’une seule cellule. Ces êtres « unicellulaires », appelés « protozoaires », sont considérés comme à l’origine de l’évolution des animaux pluricellulaires, appelés « métazoaires », et ils ont donc été longtemps classés parmi les animaux. Mais cette classification tend à changer. Les scientifiques se sont aperçus que les animaux unicellulaires étaient très proches des plantes unicellulaires, avec lesquelles ils devaient former un groupe homogène. De nos jours, selon certains zoologistes, les animaux doivent être principalement compris comme les métazoaires pluricellulaires, ce qui rejoint finalement la conception populaire.

 

L’une des caractéristiques de la plupart des animaux (à quelques exceptions près comme les éponges), c’est de posséder une sensibilité nerveuse, qui leur permet d’éviter les éléments de leur environnement qui menacent leur intégrité physique. Lorsque cette sensibilité est liée à des émotions, on parle alors de « douleur » ; lorsqu’elle est liée à une conscience, on parle  de « souffrance ». Dans l’état actuel des connaissances, au moins deux groupes d’animaux sont capables de douleur et de souffrance : les vertébrés et les invertébrés que sont les mollusques céphalopodes, comme la pieuvre. Le doute persiste pour d’autres animaux invertébrés. Enfin certains animaux évolués, comme, ici encore,  les vertébrés et les mollusques céphalopodes, possèdent des capacités d’intelligence remarquables, que la science du comportement animal, l’« éthologie », a récemment mises en évidence. D’où l’existence d’une proximité intellectuelle de ces animaux avec l’espèce humaine **.

 

Des conséquences sociales et morales

 

Anatomie pluricellulaire, sensibilité à la douleur, intelligence remarquable… : la science moderne montre qu’il n’existe pas de coupure franche entre l’homme et les (autres) animaux. La théorie de l’évolution confirme d’ailleurs que les animaux sont les ancêtres et les cousins des êtres humains. L’homme est un proche parent des chimpanzés, avec qui il partage  98 % de ses gènes et beaucoup de ses comportements. Certes l’homme possède un puissant cerveau qui lui donne des aptitudes particulières, intellectuelles et langagières, notamment celle d’élaborer des morales discursives. Mais alors, dans le cadre même de ce souci moral, les parentés zoologiques ci-dessus amènent à des questions sociales et morales concernant la place que l’homme doit attribuer à ses cousins animaux et la manière dont il doit les traiter***.

 

Cette question du respect de l’animal s’avère d’une extrême actualité. Elle recouvre à la fois des préoccupations, dites « écologiques »,  visant à la préservation des populations animales et des espèces, et des préoccupations visant à respecter l’animal individuel en tant qu’être sensible. De nombreuses controverses existent entre ceux qui pensent que l’homme doit avoir sur l’animal tous les droits, ceux qui pensent qu’on doit protéger les animaux contre la douleur, mais sans pour autant supprimer leur utilisation  par l’homme, et enfin ceux qui refusent toute exploitation de l’animal. Ces derniers ne consomment pas de médicaments et sont, sur le plan alimentaire, végétariens, voire souvent « végétaliens » (c’est-à-dire qu’ils excluent de leur régime tout produit d’origine animale, y compris les oeufs, les produits laitiers et le miel).  D’innombrables variantes existent entre ces trois positions de fond****, qui s’affrontent sur les manières de considérer ou de réformer le traitement des animaux de compagnie, les jeux cruels comme la chasse d’agrément ou la corrida, l’élevage d’animaux pour la viande et la fourrure et leur abattage, ou l’expérimentation bio-médicale sur des animaux vivants. Face aux nombreuses controverses, la Déclaration Universelle des Droits de l’Animal, dans sa version révisée de 1989, cherche à donner une réponse acceptable par la majorité de ceux qui se soucient de la sensibilité animale, même si, de ce fait même, certains la trouvent trop timide, d’autres trop ambitieuse.

 

 

Georges Chapouthier

Biologiste et philosophe

Directeur de Recherches Emérite au CNRS

 

Références bibliographiques :

* Chapouthier G, Qu’est-ce que l’animal ?, Collection “Les petites pommes du savoir”, Editions le Pommier, Paris, 2004

** Chapouthier G et Tristani-Potteaux F, Le chercheur et la souris, CNRS Editions, Paris, 2013

*** Goffy JY, Qu'est-ce que l'animalité?, Editions Vrin, Paris, 2004

**** Jeangène Vilmer JB,  Ethique animale. Presses Universitaires de France: Paris, 2008

 

 

 

 

 

28 avril 2015

L comme Liberté "de ton" et liberté "d'expression"

Après l’attentat contre Charlie Hebdo, on a souvent entendu dire que la liberté “d’expression” avait été attaquée. Cette manière de parler semble confondre deux libertés très différentes qu’il convient de distinguer.

La première estla liberté de ton dont Charlie Hebdo est un magnifique spécimen. Elle comporte le droit de se moquer de tout et de parler avec insolence et humour sans craindre d’être puni. C’est un des droits les plus estimables parmi ceux qui ont pour but de rendre la vie joyeuse et agréable. Mais c’est une erreur de confondre ce droit avec la liberté d’expression dont parlaient les grands théoriciens de la liberté, comme John Stuart Mill et Benjamin Constant.

La liberté d’expression, dont ces auteurs sont les théoriciens, est moins relative au droit de rire et de s’amuser qu’au droit que le peuple possède de connaître la vérité, surtout à propos des décisions qui affectent les aspects les plus importants de sa vie et son bien-être. Le droit de connaître, par exemple, les véritables raisons pour lesquels ses représentants élus l’engagent dans une guerre.

Un exemple pris au Royaume-Uni permet de mieux saisir la différence entre ces deux libertés. Après plus de dix ans de doutes et quatre investigations parlementaires (ainsi qu’une cinquième en cours)[1], le peuple britannique n’a pas réussi à connaître la vérité sur l’enchainement d’erreurs et mensonges qui a conduit son gouvernement élu à l’engager dans la guerre d’Irak. Il est, en revanche, parfaitement libre de faire toutes les caricatures qu’il veut de Tony Blair, y compris de se moquer de sa conversion à la religion catholique.

Si, en suivant Samuel Pufendorf, un des fondateurs de la doctrine des droits de l’homme, on classe les libertés en deux catégories, celles qui sont « absolument nécessaires pour la conservation de la société » et celles qui servent « à la rendre plus commode et plus agréable »[2], il semblerait que la liberté d’expression – dont parlent Mill et Constant – appartient surtout à la première catégorie ; la liberté de ton surtout à la deuxième.

 

Des principes excessifs

Après le crime contre Charlie Hebdo, on a affirmé aussi que la liberté d’expression n’est pas « négociable ». Cette formule n’appartient cependant pas à la doctrine des droits de l’homme défendue en France par Turgot et Condorcet au XVIIIème siècle, Benjamin Constant au XIXème et, plus récemment, Jacques Maritain, Emmanuel Mounier et les autres inspirateurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948[3].

D’après ces auteurs, les hommes possèdent plusieurs ‘droits’ inséparables de leur nature. Parmi ceux-ci, il y a la vie, la liberté, la sécurité, la dignité, la poursuite du bonheur, etc.

Chacun de ces droits, qu’il soit absolument nécessaire ou simplement récréatif, peut entrer en conflit avec les autres droits. L’innocente liberté de jouer de la musique, par exemple, peut heurter le ‘droit de propriété’, si on ne remplit pas certaines conditions[4]. Elle peut aussi porter atteinte au ‘droit à la tranquillité’ lorsqu’elle est exercée à n’importe quelle heure de la journée, avec n’importe quelle intensité ou de manière répétitive. Il en est de même pour le droit de ‘porter plainte’, qui peut, par sa durée ou sa répétitivité, devenir ‘harcèlement judiciaire’ contre la partie faible dans un différend.

Puisque la raison et l’expérience montrent que l’exercice de tous ces droits a des limites, on comprend mal pourquoi la liberté de ton aurait un statut à part et n’en admettrait aucune, même lorsqu’elle produit des effets nuisibles. N’oublions pas que la liberté de ton a probablement contribué plus à exacerber les antipathies ethniques et religieuses qui ont conduit à la décomposition de la Yougoslavie (et aujourd’hui de l’Ukraine) que la liberté d’expression, qui n’a probablement été que très peu exercée dans ces pays.

En quoi consiste la « justice » ?

Lorsque les antipathies communautaires ou religieuses s’emballent, la liberté de ton prend des ailes toute seule ; elle n’a pas besoin d’encouragement public. Celle d’expression devient, en revanche, plus difficile. Ce n’est donc pas irrationnel, dans de tels cas, d’appliquer temporairement une règlementation un peu plus stricte à la première liberté ou de lui imposer une pause ou trêve, comme on fait avec la liberté de circuler en automobile lorsque la pollution augmente. Il ne faut surtout pas l’encourager, en la confondant, par exemple, avec la liberté d’expression (qui elle a vraiment besoin d’être soutenue, comme on a pu le voir dans notre presse lorsque la France et le Royaume Uni ont décidé de bombarder la Libye).

Les deux libertés doivent, bien sûr, être protégées. Mais, comme elles sont différentes, elles ne sont pas menacées par les mêmes dangers. Si la liberté d’expression traverse des difficultés dans les démocraties occidentales, ce n’est pas (ou très peu) parce que nos journalistes ont peur d’être assassinés par des fanatiques religieux. Nous savons tous que des mécanismes plus subtils empêchent la liberté d’expression. Cela vient beaucoup plus de la concentration des media, de leurs difficultés financières, du non respect du secret des sources, de la « proximité entre les pouvoirs politiques, économiques et médiatiques »[5], etc..

 

La doctrine que nous exposons ici n’a rien à voir ni avec le dirigisme étatique ni avec la sensiblerie bienpensante. Il s’agit de la plus pure doctrine libérale. Ainsi Turgot écrivait :

 « La liberté de nuire n'a jamais existé devant la conscience. La loi doit l'interdire … La liberté d'agir sans nuire ne peut, au contraire, être restreinte »[6].

Et Adam Smith écrit:

« lorsque l’exercice de leur liberté naturelle, par quelques individus, met en danger la sûreté de toute la société, il est, et doit être, restreint par les lois de tous les gouvernements, les plus libres comme les plus despotiques »[7].

On peut, bien sûr, utiliser une expression offensante, et dire que ce que nous proposons consiste à « négocier » la liberté d’expression ; mais on peut aussi penser qu’il s’agit simplement d’assurer ‘la justice’, qui consiste – rappelons le – à garantir que tous les droits sont respectés, pas seulement la liberté de ton.

 

Francesco Vergara, auteur de Les fondements du libéralisme, La Découverte/poche, 2002. D'autres écrits de l'auteur peuvent être trouvés sur le site http://fvergara.com


 


 

[1] BBC News, « Sir John Chilcot's Iraq war inquiry », 16 juillet 2012.

[2] Pufendorf, Le Droit de la nature..., Amsterdam (Paris), Briasson : 1734, vol. I, p. 145.

[3] Jacques Maritain, Gandhi, Harold Laski, Teilhard de Chardin, Benedetto Croce, Aldous Huxley, Salvador de Madariaga,  Emmanuel Mounier, E. H. Carr, etc. Problèmes et aspects de droits de l’homme, UNESCO, Paris, 1948.

[4] Comme le montre le récent procès que vient de perdre Pharrel Williams, contre les héritiers de Marvin Gaye, Le monde, 12 mars 2015.

[5] « Régression brutale de la liberté de la presse en 2014 », Lemonde.fr, 12 février 2015.

[6] Turgot, « Deuxième lettre à un grand vicaire » (1754), Œuvres, tome I, ed. Schelle, 1913, p. 424.

[7] Smith, Adam, The Wealth of Nations (1776), The Glasgow Edition, Oxford University Press, 1976, tome I, p. 324, § 94.

13 avril 2015

Y comme Yoga (une sagesse pour l'homme moderne)

 

           En Inde, le terme de yoga a servi à qualifier de nombreuses démarches et a pris très tôt le sens général de discipline, ascèse, voie de libération. L’un des grands textes de sagesse hindous, la Bhagavad Gîtâ, lui donne le sens de "discipline unitive", ce qui rejoint l'étymologie du terme dont la racine signifie : joug, jonction.

            La tradition indienne distingue plusieurs grands types de yoga.

- Des yogas à dominante psychologique, spirituelle : le karma-yoga qui est un yoga de l'action désintéressée, demandant d'agir en se détachant des fruits de l'action, le bhakti-yoga qui est un yoga de l'amour, de l'union à une divinité, et le jnâna-yoga qui est un yoga de la connaissance, visant à la purification de la conscience.

- Des yogas à dominante physique, corporelle : le hatha-yoga qui insiste sur les postures et l’éducation du souffle, le nâda-yoga qui utilise les sons, les mantras, le kundalini yoga qui met en jeu des pratiques utilisant l’énergie sexuelle.

            Il n'y a pas de frontières bien définies entre tous ces yogas qui comportent chacun plusieurs écoles. La Bhagavad Gîtâ donne des textes qui s'apparentent à tous et de grands maîtres indiens les ont rapprochés. Vivekananda, au XIXe siècle,  et Aurobindo au XXe, ont même proposé une synthèse des grands yogas.

Avant eux toutefois, vers le IVe siècle, un compilateur de génie, Patanjali, a présenté, dans un sûtra, un yoga royal (râja-yoga) qui reprend des enseignements plus anciens. Celui-ci comprend huit branches induisant une alchimie transformatrice qui conduit le yogi à la liberté et à la paix. Il préconise un ensemble de vertus restrictives (la non violence, la véracité, l’abstention de vol, la non division, la non appropriation), un ensemble de vertus constructives ( la pureté, le contentement, la pratique ardente, l’étude de soi, l’abandon au divin), la mise en place de postures corporelles, l’éducation du souffle, l’intériorisation, la concentration, la méditation et la contemplation.

            Le yoga, en tant que discipline systématisée, a fini par recueillir toutes les grandes tendances de la spiritualité indienne et a contribué à les faire rayonner dans tous les secteurs de la culture hindoue. Aujourd'hui, c'est encore lui qui les véhicule chez nous à travers des pratiques psycho-corporelles issues du hatha-yoga. Ces pratiques, apparentées à une gymnastique douce, sont bénéfiques pour l’équilibre physique et psychique des pratiquants, mais elles font souvent l’impasse sur la dimension éthique et la finalité spirituelle qui sont pourtant essentielles au yoga.

            Le visage que celui-ci présente aujourd'hui a puisé chez les maîtres indiens mais a aussi évolué en s’adaptant et s’assouplissant. Quel est-il ? Ysé Tardan Masquelier, l’une des responsables de l'École française de yoga, écrit :

« L'époque actuelle voit un partage plus précis entre un yoga authentique, fidèle à l'esprit de ses sources, et des dérives parfois pathologiques dues à une mauvaise information, à la crédulité, à des tendances sectaires, au goût du pouvoir. Dans le secteur du yoga authentique, sérieux, les enseignants se considèrent de plus en plus comme des professionnels, organisés en fédérations qui supervisent leurs programmes de formation. Groupes de recherches, séminaires et journées d'études leur permettent de faire avancer une réflexion scientifique, psychologique et médicale sur les effets du yoga. Cette orientation récente, dit-elle, issue des investigations modernes, donne au yoga une nouvelle armature théorique qui devrait permettre d'en conserver le sens initial : une discipline spirituelle à médiation corporelle."[1]

Dans l'époque consumériste, violente et un peu déboussolée que nous connaissons, le yoga se présente comme une voie d'équilibre, de sagesse. Il montre qu'est possible un mode de vie plus lucide, plus apaisé que celui que tend à nous imposer notre société, une manière d'être qui réconcilie en nous le corps et l'esprit, le monde intérieur et l'extérieur, l'environnement relationnel et la nature cosmique. Il propose des pratiques concrètes pour réveiller et recentrer ses énergies, assouplir ses membres, fluidifier ses gestes, calmer son mental, et, ce faisant y voir plus clair pour agir et s’ouvrir à une solidarité, à une compassion. Ce qu'il propose enfin, et ce n'est pas la moindre des choses par les temps qui courent, c'est "shanti" : la paix.

 

Alain Delaye, docteur en théologie et ancien élève de l’École biblique de Jérusalem.

 

Bibliographie :

- Delaye Alain, Aux sources du yoga, le raja yoga de Patanjali, Almora, 2014.

- Tardan-Masquelier Ysé, L'esprit du yoga, Albin Michel, 2005. Réédition en poche, 2014.

- Silvia Ceccomori, Cent ans de Yoga en France, Edidit, 2001.

 



[1]  Le yoga dont elle parle est pratiqué dans le cadre de la Fédération Nationale des Enseignants de Yoga (FNEY) qui a un site sur le Net : www.lemondeduyoga.org

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