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vive les sociétés modernes - abécédaire
12 novembre 2014

W comme Simone Weil ( ou une philosophie en actes)

 

 

"Enfin on ne saurait trop encourager l'existence de milieux d'idées ne constituant pas des rouages de la vie publique; car à cette seule condition ils ne sont pas des cadavres." (Simone Weil Oeuvres in Quarto p.113)
"...Il faut, tout en essayant d'empècher les haines, encourager les différences. Jamais le bouillonnement des idées ne peut faire du mal à un pays comme le nôtre. C'est l'inertie mentale qui est mortelle pour lui." (id)

 

Simone Weil* (1909/1943) fut ce que l'on pourrait appeler une philosophe en actes. C'est pourquoi on a pu la croire bourgeoise et communiste, anarchiste et mystique, hérétique et traditionaliste, intellectuelle et femme d'action, matérialiste et spiritualiste... Les contradictions sont en effet pour elle le signe même du réel...Accepter la contradiction, c'est refuser de séparer théorie et pratique, d'où son partage de « la condition ouvrière », son refus de lâcher l'individu pour le collectif, son refus des églises, des partis, des Etats et de leurs « raisons », refus de lâcher les plus pauvres, les abandonnés de l'histoire. Elle enseigna la philosophie, défendit des grévistes  et des chômeurs, travailla comme ouvrière chez Alsthom, et décrivit le sort des ouvriers, lutta pour l'unification du syndicalisme,  défendit le pacifisme, partit en Allemagne étudier la situation politique de l'époque  avec une lucidité radicale, crut la paix possible, s'engagea dans la lutte dès qu'elle le jugea nécessaire. Elle partit en Espagne avec les brigades internationales, participa très activement à la Résistance en France, s'éleva contre le colonialisme et rejoignit la France libre à Londres, proposa de créer une unité d'infirmières qui se feraient parachuter sur le front, ne fut pas écoutée, et mourut. Son ami le Père Perrin dit d'elle « qu 'elle n'est pas une solution, mais une question, pas une réponse, mais un appel, pas une conclusion mais une exigence. » Elle se demanda toute sa vie comment lutter contre l'oppression c'est-à-dire le règne de la force.  « Tout groupe humain qui exerce une puissance, l'exerce non pas de manière à rendre heureux ceux qui y sont soumis, mais de manière à accroître cette puissance. C'est là une question de vie ou de mort pour n'importe quelle domination. » Mais on ne peut lutter contre cette domination en utilisant soi-même la force sans changer de camp, car « La justice est toujours transfuge du camp des vainqueurs ». A côté de la force, il y a un autre principe, ou plutôt son envers strict, dont nous pouvons faire l'essai sur nous-mêmes. Le refus de la force, le renoncement à la force, qui est de l'ordre de la pensée. « La pensée, indépendamment du fait d'être ou non révolutionnaire, pour autant qu'elle construit une échelle de valeurs  qui n'est pas de ce monde, est l'ennemie des forces qui dominent la société.  » La clarté de cette pensée, sa radicalité sans concession ne fut connue qu'après sa mort, grâce à Albert Camus. Dans les temps de confusion qui sont les nôtres, il est urgent de la  découvrir.

 

 

Françoise Valon (philosophie, Toulouse)

 

 

 

* Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale (folio essais)

   La condition ouvrière (Gallimard, coll. Espoir 1964)

   L'enracinement (Gallimard Coll Espoir, puis coll. Idées, puis Polio Essais 1990)

   La source grecque (sous le nom d'Emile Novis, éditée par Jean Ballard puis Gallimard 1953)

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Pour aller plus loin, on lira avec profit le texte plus complet que nous a confié Françoise Valon:

 

W comme Simone Weil (ou l'inquiétude de la pensée): http://moderne.canalblog.com/archives/2014/01/11/30935356.h

 

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Commentaires
C
Les "réflexions à propos de la théorie des quanta" (sous le pseudonyme d'Emile NOVIS) décrivent à merveille le "village des savants" dont les physiciens (aujourd'hui essentiellement mathématiciens) ne réalisent plus l'effet incoercible de l'écoulement du temps. Ils ne considèrent ce dernier que comme la quatrième dimension de l'espace et ne tiennent aucun compte de l'irréversibilité de certaines transformations, Notamment celle de la transformation de l'énergie en chaleur, d'où la confusion entre les deux qui conduit à enseigner que "l'énergie se conserve envers et contre tout" c'est le "premier principe" alors que l'on voit et on entend partout parler "d'économies d'énergie". Cette incohérence conduit à des gaspillages fantastiques dont personne ne paraît avoir conscience. Simone WEIL était un merveilleux prophète....
S
Inspirée, passionnée, et donc à discuter froidement avant d'en faire un bréviaire.
P
J'aurais pu ajouter à l'extrait précédent ces lignes qu'on lit quelques pages plus loin:<br /> <br /> <br /> <br /> "L'État est une chose froide qui ne peut pas être aimée mais il tue et abolit tout ce qui pourrait l'être ; ainsi on est forcé de l'aimer, parce qu'il n'y a que lui. Tel est le supplice moral de nos contemporains." SW "L'enracinement")
P
Je n’ai guère lu de philosophe plus inspiré que Simone Weil; chacune de ses pages est inspirée. Un exemple, parmi une multitude, ces quelques lignes sur le déracinement dont souffrent les sociétés modernes, « déracinement qu'on pourrait nommer géographique, c'est-à-dire par rapport aux collectivités qui correspondent à des territoires. Le sens même de ces collectivités a presque disparu, excepté pour une seule, pour la nation » :<br /> <br /> <br /> <br /> « La nation seule (c'est-à-dire l'État ; car on ne peut pas trouver d'autre définition au mot nation que l'ensemble des territoires reconnaissant l'autorité d'un même État. On peut dire qu'à notre époque l'argent et l'État avaient remplacé tous les autres attachements), depuis déjà longtemps, joue le rôle qui constitue par excellence la mission de la collectivité à l'égard de l'être humain, à savoir assurer à travers le présent une liaison entre le passé et l'avenir. En ce sens, on peut dire que c'est la seule collectivité qui existe dans l'univers actuel.<br /> <br /> <br /> <br /> La famille n'existe pas. Ce qu'on appelle aujourd'hui de ce nom, c'est un groupe minuscule d'êtres humains autour de chacun ; père et mère, mari ou femme, enfants ; frères et sœurs déjà un peu loin (...); personne aujourd'hui ne pense à ceux de ses aïeux qui sont morts cinquante ans, ou fût-ce vingt ou dix ans, avant sa naissance, ni à ceux de ses descendants qui naîtront cinquante ans, ou fût-ce vingt ou dix ans après sa mort. Par suite, du point de vue de la collectivité et de sa fonction propre, la famille ne compte pas.<br /> <br /> <br /> <br /> La profession, de ce point de vue, ne compte pas non plus. La corporation était un lien entre les morts, les vivants et les hommes non encore nés, dans le cadre d'un certain travail. Il n'y a rien aujourd'hui qui soit si peu que ce soit orienté vers une telle fonction. Le syndicalisme français vers 1900 a peut-être eu quelques velléités en ce sens, vite effacées.<br /> <br /> <br /> <br /> Enfin le village, la ville, la contrée, la province, la région, toutes les unités géographiques plus petites que la nation, ont presque cessé de compter. Celles qui englobent plusieurs nations ou plusieurs morceaux de nations aussi. Quand on disait, par exemple, il y a quelques siècles, « la chrétienté », cela avait une tout autre résonance affective qu'aujourd'hui l'Europe.<br /> <br /> <br /> <br /> En somme, le bien le plus précieux de l'homme dans l'ordre temporel, c'est-à-dire la continuité dans le temps, par delà les limites de l'existence humaine, dans les deux sens, ce bien a été entièrement remis en dépôt à l'État. » (« L’enracinement »)
S
Comment se définir à titre personnel par rapport à elle? Elle semble porter à l'absolu l'exigence de justice et de vérité, ce qui la rend lucide sur tout ce qui est mal et malheureuse de ne pas être en mesure d'y remédier. Du moins, elle prend la plus grande part possible du malheur. C'est un choix individuel admirable, mais surhumain. Une vie de sacrifice et de souffrance à ne pas prendre pour modèle. La recherche du bonheur en ce monde imparfait n'est pas un mauvais choix de vie.
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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