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vive les sociétés modernes - abécédaire
25 juin 2014

V comme Visage (et modernité)

 

Notre identité est en grande partie basée sur l’identification au visage. Nous pensons être un corps et surtout un visage. C’est bien le visage qu’on trouve sur notre carte d’identité ou notre passeport et pas notre pied ou notre foie. Bien sûr, nous pensons aussi être autre chose, un moi, quelque chose comme une âme mais à la base de cette identité il y a le visage.

Cela ne date pas d’aujourd’hui ; il suffit de penser à l’histoire de Narcisse qui tombe amoureux de son reflet dans l’eau, et la psychologie génétique (voir Piaget) nous a rappelé que le stade du miroir – ce moment où nous nous reconnaissons dans un miroir – est constitutive de notre évolution.

Mais il se pourrait que la modernité bouscule l’évidence selon laquelle je me prends pour un visage.

Il semble d’abord que notre modernité soit l’époque de la plus grande aliénation au visage : on trouve partout des miroirs, des photographies (ce que ne connaissait pas les sociétés anciennes : le miroir en verre apparait surtout à la fin du Moyen-âge, avant il est en étain et assez grossier). Le phénomène du SELFIE (cet autoportrait à l’aide d’un téléphone portable), de FACE-book etc montrent le grand narcissisme de notre époque. Nous sommes plus que jamais visage.

 

Pourtant, la modernité nous amène aussi de manière radicale à nous interroger sur notre identification au visage.

La médecine notamment vient de porter un rude coup à cette croyance. Des greffes partielles ou totales du visage ont été réalisées. Il est désormais possible de changer le visage d’une personne. Il y a neuf ans, Isabelle Dinoire, défigurée par son labrador, fut la première patiente à bénéficier d’une greffe partielle de visage. Depuis près d’une trentaine  d’adultes en France ont subi une semblable opération de greffe. Ces opérations posent des problèmes médicaux bien sûr, mais aussi psychologiques. Retrouve-t-on un visage après une telle opération ?

Le Professeur Lantieri du CHU de Créteil, ayant lui-même réalisé des greffes de visage explique : « L’appropriation est quasiment immédiate. Ils disent très vite « mon visage ». Ce sont des gens qui n’avaient pas de visage humain et là ils se sentent revenir parmi les leurs. »

Le fait que les patients puissent s’approprier ce nouveau visage signifie que ces personnes se reconnaissent dans le miroir alors même que ce n’est pas leur visage inné mais un visage acquis qu’elles observent.

Voici les réflexions que m’inspirent ces greffes.

-         Si nous pouvons nous identifier à un visage inconnu, c’est que nous ne sommes pas un visage. En effet, celui qui croit être un visage n’en est pas un. Nous avons un visage, nous ne sommes pas un visage. De même nous avons un corps, nous ne sommes pas un corps.

-         Nous sommes tous dans la position de ces greffés, en devant nous identifier à un visage acquis (celui que je vois dans le miroir)

-         Le visage que nous voyons dans notre miroir  change constamment : le visage que j’avais à 5 ans est très différent de celui que j’ai à 50 ans ou que j’aurai à 80. Mais celui qui observe ces changements, lui, ne change pas.

 

Le mot personne vient du latin PERSONA qui désignait le masque que portaient les comédiens de théâtre dans l’antiquité. Le visage est un de ces masques auxquels nous nous identifions par ignorance.

Pour découvrir ce que nous sommes, il faut aller au-delà des masques. Mais peut-être a-t-on peur de ce qu’on va y découvrir ?

 

José Le Roy  agrégé de philosophie et auteur de Petit traité de la connaissance de soi, Almora 2013. José Le Roy a également participé récemment à l'émission de la RTBF "Noms de dieux" (http://www.rtbf.be/video/detail_noms-de-dieux?id=1865075).
 

 

 

 

 

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Commentaires
Y
Pour la psychanalyse lacanienne, le Moi n'est pas une réalité, puisque synthèse immédiate et changeante , en fonction du vécu, des affects, des circonstances, mais néanmoins identifié comme tel, sans doute.<br /> <br /> C'est un "adjudant borné"!
J
Sur les selfies, voici une petite réflexion que j'ai menée. Je me permets d'y renvoyer le lecteur.<br /> <br /> http://eveilphilosophie.canalblog.com/archives/2014/01/08/28901607.html<br /> <br /> jlr
J
La différence entre ce que je dis et Lévinas est ici :<br /> <br /> Pour Lévinas, c'est en voyant le visage de l'autre que je m'ouvre à l'éthique.<br /> <br /> Pour moi, c'est en voyant sa propre absence de visage qu'on s'ouvre à l'éthique.<br /> <br /> A noter que Lévinas parle du visage mais ne le voit pas; le visage de l'autre est un signe vers Dieu; c'est un symbole une abstraction. <br /> <br /> jlr
Y
Complément intéressant de la réflexion, mais il ne s'agit pas de son visage, mais de celui de l'autre, qui est évalué, interprété, source de connaissance de l'autre.<br /> <br /> De notre côté, nous savons que notre visage sera vu ainsi par l'autre, et qu'il nous faut donc, si nous en avons le temps, faire bonne figure. Le contraire est rarement spontané, mais plutôt une perte de contrôle.<br /> <br /> Dans cette situation, où est le MOI? Qui est le MOI? Celui qui se montre, ou celui qui est vu?
J
Hier matin, aux Nouveaux chemins de la connaissance était invité le philosophe Dan Arbib qui vient de publier " La lucidité et l'éthique". Il a été question du visage. Le visage au sens de Lévinas est l'apparition de l'autre dans mon horizon. Qui, de fait, ne peut se réduire à son seul contour, à sa seule forme plastique (travers dans lequel tombe indéniablement le selfie contemporain), mais peut tout aussi bien être la nuque d'une personne ou même sa voix comme le souligne Dan Arbib. Ce dernier insiste sur le fait que le visage lévinassien n'est pas un élément du décor, il est d'une toute autre nature : "le visage est sans contexte" dit Lévinas. <br /> <br /> <br /> <br /> Est alors développé un concept qui m'interpelle : "Le visage parle, il est expression, injonction à dire" pour Lévinas, et par conséquent je suis un coupable éternel. Coupable en raison du fait que l'apparition d'autrui devient un impératif : le visage me donne un ordre, par exemple " je suis fragile, protège moi". Je deviens responsable vis-à-vis d'autrui dès qu'il apparaît dans mon horizon. <br /> <br /> <br /> <br /> Cette philosophie du "moi comme conscience bouleversée" de Lévinas est somme toute radicale, mais elle conduit à une véritable réflexion sur le moi qui aujourd'hui semble faire parfois défaut. Selfie et autres pratiques vouées au narcissisme ne se libèrent pas de l'expérience du moi dont il faut impérativement sortir rappelle Dan Arbib.Ce moi là est loin d'être bouleversé…
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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