V comme Votations
A. Définition
Souvent confondue avec celle de référendum, la notion de votation, qui est propre au régime de la démocratie semi directe, obéit à une définition précise : il s’agit d’un scrutin officiel dans lequel les citoyens actifs répondent à la majorité à une question déterminée, par une décision obligatoire. C’est dire que quatre éléments sont présents.
Avant tout, c’est l’organe de suffrage qui se prononce, exerçant ainsi un pouvoir étatique, généralement suprême.
Ensuite, la votation porte sur un objet précis et appelle le peuple à répondre par oui ou par non à la question s’il accepte le projet présenté soit par le Parlement soit par la voie de l’initiative populaire.
Puis la décision se prend à la majorité, normalement absolue, puisqu’il y a seulement deux manières de s’exprimer valablement et que les bulletins blancs ou nuls ne comptent pas.
Enfin, la votation a des effets obligatoires, en ce sens qu’elle permet ou au contraire empêche la mise en vigueur du projet litigieux et qu’elle implique une décision qui s’impose à toutes les autres autorités de l’Etat.
Il saute aux yeux que la votation se distingue nettement de l’élection, puisqu’elle porte sur un point concret, tandis que l’élection revient à choisir entre des partis et des candidats dont le programme est plus ou moins vague et les promesses incertaines. La votation, qui est un acte concret, diverge aussi du référendum qui se caractérise comme un droit reconnu à l’ensemble du peuple de se prononcer sur un texte donné
Si la votation consiste en une série d’actes matériels et n’est donc pas en elle-même un droit à proprement parler, elle a cependant des effets juridiques contraignants et ne doit pas être confondue avec une simple consultation des citoyens ni, à plus forte raison, avec un sondage. Par la votation, le peuple n’exprime pas seulement une opinion, il prend une véritable décision.
B. Les principes
Les multiples opérations qui sont nécessaires à toute votation obéissent nécessairement à des règles strictes, qui garantissent la régularité des scrutins et lui donnent sa légitimité démocratique. Deux principes gouvernent la matière.
Le premier est celui de la majorité, qui découle naturellement du précepte d’égalité et signifie que tous les bulletins ont le même poids. C’est dire que la décision dépend de l’addition des oui et des non, la pluralité devant prévaloir.
Ce résultat n’a cependant de valeur que s’il correspond à la volonté véritable du plus grand nombre. Voilà pourquoi un second principe s’impose : la liberté de vote. Celle-ci, à son tour, a une triple portée. Elle exige d’abord le secret du vote, qui empêche les intimidations et que garantissent diverses formalités : le citoyen doit s’exprimer à la main, seulement par oui ou par non, sur un bulletin officiel et dans des circonstances qui sauvegardent la confidentialité. Puis la loi exige presque toujours la participation personnelle au scrutin, les citoyens étant inscrits dans un registre des électeurs et devant soit déposer eux-mêmes leur bulletin dans l’urne soit voter par correspondance, le système des procurations étant généralement banni en raison des dangers qu’il engendre. Enfin, la liberté du vote suppose que chaque citoyen prenne sa décision lui-même, à l’abri des pressions. Cette dernière exigence est à la fois la plus importante et la plus difficile à satisfaire. Aussi mérite-t-elle un petit développement.
La qualité des scrutins populaires propres à la démocratie semi-directe dépend pour une large part de la valeur des informations que reçoit le peuple, autrement dit de la campagne qui conduit au scrutin. Celui-ci est nécessairement précédé par un affrontement entre les opposants et les partisans du projet. A cette confrontation s’ajoute le rôle naturel des autorités étatiques qui sont appelées à informer les citoyens en expliquant l’objet et la portée de la votation, voire en prenant elles-mêmes position. C’est dire que, pour garantir une décision populaire prise à bon escient, il faut réunir plusieurs conditions. Chaque électeur recevra le texte complet de l’objet de la votation assez tôt pour être à même d’y réfléchir. L’organe étatique compétent, c’est-à-dire directement concerné, publiera un message officiel, qui contient des explications claires, aussi complètes que possible et objectives ; une place sera faite à l’avis d’importantes minorités, notamment du comité de référendum ou d’initiative populaire. Les organes des collectivités publiques qui ne sont pas immédiatement touchées par le vote s’abstiendront de toute propagande. Les simples particuliers, qui ont naturellement vocation à s’exprimer, bénéficient d’une liberté plus étendue, dès lors qu’il serait vain de prohiber les excès ou même les tromperies. Cependant, la presse écrite ou parlée, devrait s’abstenir de diffuser sciemment des renseignements inexacts, car on attend d’elle une certaine rigueur, voire une impartialité relative.
Lorsque ces règles formelles et matérielles ne sont pas respectées, leur violation peut entraîner l’annulation de la votation par les tribunaux. Cependant un jugement aussi grave se conçoit seulement s’il est démontré que l’issue même du scrutin a été faussée par de graves irrégularités. Il faut, autrement dit, que l’écart entre les oui et les non soit très faible et que les vices constatés aient pu vraisemblablement avoir sur l’expression de la volonté populaire une influence déterminante.
Etienne Grisel, professeur honoraire de l'Université de Lausanne.