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vive les sociétés modernes - abécédaire
5 juin 2013

U comme « Usager usagé ? »

 

L’usager (le mot) sonne « usagé »… obsolète. Ancien vocabulaire administratif. Alors on voudrait – les « Modernes » voudraient -  que l’usager des services publics (usager des services publics : pléonasme…) devienne un client, notion plus sexy, plus à la mode et plus « marketing ». Bref, plus dans l’époque et l’économie de marché. Pour aller vite, et sur le fond, le client (conquis) paie, l’usager (acquis) discute.  

Depuis quelques années le débat fait donc rage.

On met en place dans les administrations et les établissements ou entreprises publics des stratégies de conversion de  l’usager en client à conquérir. Presque des « business plans » que les fonctionnaires un peu hagards et déconcertés essaient de mettre en œuvre. L’usager devient ainsi une part de marché. La prochaine étape sera sans doute, s’il n’existe déjà, la création d’un service marketing à l’Assistance Publique ou à Pôle Emploi. Les Modernes (c’est-à-dire les managers plus axés « clients » se distinguant des anciens « hauts fonctionnaires » old school plutôt orientés « usagers ») rêvent donc de conquérir les clients-feu-usagers en les draguant, en améliorant la qualité de service, en étant soucieux de leur satisfaction, de leur désir d’achat et de consommation heureuse du service public.

Mais la caractéristique complexe de l’usager, de son identité, c’est qu’il est la fois client et en quelque sorte copropriétaire de l’échoppe, si l’on peut dire. Le service public lui appartient aussi ou en partie. Lorsque vous voulez acquérir une machine à laver ou une voiture, vous n’en devenez propriétaire qu’en l’achetant. Lorsque vous êtes usager, vous achetez un service dont vous êtes déjà, d’une certaine manière, le  producteur partiel, le co-financier.  Ainsi, par exemple, votre contribution fiscale, démocratique et citoyenne permet de financer la SNCF. L’établissement public est en outre monopole (jusqu’en 2019). Du coup, l’usager – le client ? -  se considère un peu comme propriétaire du train, des rails et du voyage qu’il a financés doublement par l’impôt et le tarif de « l’usage » (le prix du billet) sans avoir eu la possibilité d’avoir pu choisir parmi d’autres offres concurrentielles. C’est ce qui rend la relation entre les parties ambivalente et passionnelle. Lorsque le train est en retard – « hors d’usage » ou « hors d’usager », ce qui rend ce dernier hors de soi -  c’est un peu de soi-même ou de son patrimoine qui est en retard, et la relation de l’usager aux services publics relève d’un rapport exacerbé très particulier d’amour-haine. Elle est donc toujours explosive.  

 

Jean-Paul GUEDJ

Auteur de Service Incompris (Ed. d’Organisation - 2006).

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Commentaires
Y
À titre d'exemple, j'attire l'attention sur une page d'un numéro du Monde, récent*, consacré au NHS britannique.<br /> <br /> *Déjà parti au recyclage.
Y
Je ne suis pas "contre" les sociétés modernes, bien au contraire, et je me sens très à l'aise avec la définition mesurée de Pierre Gautier. J'en attends qu'elles s'adaptent aux évolutions "modernes", qu'elles restent ouvertes à toutes les critiques, qu'elles respectent toutes les catégories de citoyens, qu'elles prennent en compte la "nature humaine". Que je considère comme une limite.
P
à propos de l'expression "Vive les sociétés modernes", voici ce que j'écrivais dans le texte d'ouverture du blog (2006):<br /> <br /> <br /> <br /> "Cela ne signifie pas que nos sociétés soient parfaites : elles présentent encore maintes imperfections, comme la persistance de poches de misère et de pauvreté, le chômage, même rémunéré, le caractère précaire de trop d'emplois, nombre d'inégalités et d'injustices (parmi lesquelles il faudrait d'ailleurs compter les abus dont se rendent coupables certains privilégiés, ainsi que les détournements de dispositions destinées aux plus démunis : chômage utilisé pour bénéficier d'une année sabbatique ou voyager, aides touchées par de pseudo-mères célibataires, etc.) A ces imperfections corrigibles, s'en ajoutent d'autres qui le sont moins facilement, compléments quasi mécaniques de nos conquêtes : par exemple, dans un premier temps, la scolarisation généralisée ne peut faire que de l'illettrisme un drame, les progrès du droit exacerber le sentiment d'injustice, ceux de la non-violence redonner sens et chance à la violence, l'égalisation des conditions accroître la rivalité entre les hommes… (1) Mais ces limites et ces insuffisances ne doivent pas être utilisées comme des contradictions qui condamnent les sociétés modernes mais comme des problèmes à affronter. Elles ne peuvent non plus nous faire oublier nos succès, et notamment le plus inouï d'entre eux, à savoir le fait que tant d'hommes puissent aujourd'hui avoir une biographie individuelle."
M
Nous partageons l'opinion d'Y.L. Nous n'avons jamais été persuadés de l'excellence des "Sociétés Modernes", et avons toujours trouvé que l'intitulé de ce blog était dithyrambique; nous l'avons souligné à plusieurs reprises.<br /> <br /> Cependant, notamment depuis quelques semaines, il nous semble que plusieurs intervenants , et non des moindres, montrent , à l'égard de l'évolution des démocraties modernes, que ce soit dans leurs aspects sociétaux, ou économiques, un désaccord très profond et une très grande sévérité.<br /> <br /> Nous poserons deux questions:<br /> <br /> 1) Pensez-vous réellement que nous nous dirigions vers une catastrophe du genre "Götter Dâmmerung" ?<br /> <br /> 2) Envisagez-vous de modifier l'intitulé de cet abécédaire ?
Y
Je profite de l'historique de la question rappelé par Pierre Gautier, dans lequel je ne reconnais pas l'évolution actuelle, qui en fait la chose socialiste, ou social-démocrate, et par principe "monopolistique". Ce qui n'est maintenant plus possible dans le cadre de l'Union Européenne, mais à regret.<br /> <br /> La critique essentielle des services publics est d'exclure, autant que possible, la concurrence. Ce qui s'est avéré malsain à peu près partout où le monopole a été effectif. Sans, pour autant que soit réalisé un service public de qualité. Je pense que mes interlocuteurs étaient encore très jeunes en 1958, à la fin de la IVème République. Les services publics étaient alors très en retard pour une raison interne: les besoins de la population étaient évalués par les prestataires.<br /> <br /> La concurrence imposée par l'Union Européenne, a été bénéfique. Les services publics voient aussi, dans les usagers, des clients. Je n'y vois personnellement pas de mal. Ayant été réellement "maltraité" par un fournisseur d'accès à internet, j'en ai changé pour mieux. <br /> <br /> L'état actuel de nos services publics est nettement meilleur, en qualité, sinon en prix. Le souci de l'usager-client y a pris plus de place, une place normale.
vive les sociétés modernes - abécédaire
  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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