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vive les sociétés modernes - abécédaire
16 avril 2013

U comme Usure

Quel serait l’angle d’attaque pour un billet sur l’usure?

Celui du « technicien » donnant la définition légale de l’usure, c’est-à-dire d’un taux d’intérêt considéré comme excessif et illégal. Est-il utile de donner les différentes manières de calculer les seuils qui déterminent ce qu’on appelle un taux usuraire ou le détail de la réglementation en France qui a d’ailleurs beaucoup évolué ? Non, mais peut-être dire un mot sur la notion de TEG, taux effectif global, qui permet de déterminer le coût réel en intégrant  tous les frais d’un emprunt : frais de dossier notamment et pas seulement les intérêts. Si on avait le temps il faudrait évoquer les « astuces » des prêteurs pour contourner les règles et la jurisprudence sur le sujet.

Angle d’attaque de l’historien montrant l’évolution de l’usure à travers les âges ; s’interrogeant sur la permanence de la figure de l’usurier et de sa condamnation morale voire de son exécration. Faut-il penser que nous sommes probablement passés de la représentation d’une personne, l’usurier, dont les caricatures abondent, à une représentation plus abstraite, une figure plus « impersonnelle », celle de « l’usure », comme un attribut de la « finance ». Autre figure haïe ?

Derrière tout cela faudrait-il évoquer les éternelles questions de la légitimité du prêt à intérêt, de son interdiction dans les religions dites monothéistes et de sa réprobation générale ? Est-ce une des raisons pour laquelle l’activité bancaire et financière s’est largement  « socialisée » ou « mutualisée » ? Une banque sociétaire et à fortiori coopérative ou  mutualiste suscite une vindicte moins personnalisée.  Les opposants peuvent se battre sur un terrain plus institutionnel par exemple en édictant une limitation générale des taux d’intérêt c’est-à-dire de la rémunération du prêteur

Mais pour l’économiste faut-il limiter les taux ? Pourquoi  et comment le faire ? Dans le cadre d’une économie concurrentielle c’est d’abord au marché de réguler le loyer de l’argent comme d’ailleurs l’ensemble des prix.

Cependant le problème de l’usure est autant -voire plus- une question politique, de société et de morale qu’un simple problème économique et financier. C’est d’ailleurs une question au goût du jour, en France notamment. Limitation des salaires, des revenus, des gains, des loyers, des prix…

Au passage on peut tenter d’ouvrir la question.

D’abord en élargissant la notion d’usure et  en la définissant non seulement comme un taux ou un coût excessif mais comme un ensemble de conditions excessives dans le cadre d’une relation déséquilibrée entre un « emprunteur » plutôt en situation d’urgence et de contrainte et un « prêteur » plutôt en situation de pouvoir et même de domination.

Ensuite en élargissant la notion d’usurier. La caricature de l’usurier court toujours, Juif, les doigts crochus, pressurant le bon chrétien. Aujourd’hui ce sont les banques et institutions financières certes mais on oublie que les mafias sont aussi de gros usuriers au sens strict et encore plus au sens large. Plus que les banques elles ont des moyens de pression sur leurs débiteurs ! Les entreprises peuvent avoir des comportements d’usuriers, c’est-à-dire faire payer le prix fort à certains de leurs partenaires. Sans citer des noms, une grande entreprise française, une des toutes premières dans le monde dans le bâtiment et les travaux publics, ne s’est-elle pas  construite en grande partie en étranglant ses sous-traitants dans un jeu de commandes, de négociations léonines, de délais de paiement, de délais de livraison, de pénalités de retard, etc. ? Les États aussi bien sûr peuvent avoir des comportements d’usuriers…

En effet le but de l’usurier (au sens large) n’est pas forcément seulement de gagner de l’argent avec les intérêts générés par un taux très élevé. Le haut niveau d’un taux d’intérêt traduit presque nécessairement une couverture d’un risque lui-même élevé. La réalisation fréquente de ce risque fait que le débiteur ne pouvant remplir les conditions de remboursement abandonne quelque chose (un bien mobilier gagé, un fonds de commerce nanti, un immeuble hypothéqué, un portefeuille de valeurs, etc.). Cela permet à son créancier de récupérer la totalité de sa créance (principal, intérêts et frais) voire plus.

Pour finir une conclusion en forme de provocation. En matière de taux, l’usure n’est pas le danger principal qui guette nos économies. On est en droit de considérer l’usure comme moralement condamnable. On peut l’analyser comme économiquement absurde car exiger un remboursement avec un prix très au-dessus de la rentabilité moyenne de l’économie est macro-économiquement intenable. Mais l’usure reste un phénomène « marginal ». Elle est contrôlée, par plus ou moins de règles et/ou plus ou moins de marché selon l’idéologie dominante et surtout selon les contraintes du moment. En revanche l’endettement à des taux « normaux », avec des PTZ*, des prêts abondés, des taux variables, etc. peut présenter des risques et des défauts Citons notamment le surendettement, l’illusion monétaire et ses conséquences, la mauvaise sélection des investissements donc le gaspillage des ressources par allocation non optimale des capitaux, etc.  C’est moins l’usure qui est l’origine de la crise financière que le contraire : les prêts à bas taux d’intérêt, les fameux sub-prime et tout le mécanisme démentiel mis en place derrière.

 

 

Frédérick van Gaver (économiste)

 

* Prêt à taux zéro

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Commentaires
Y
Merci pour cette sage conclusion.
F
Comme je l’ai dit dans mon « article », on pourrait élargir et considérer l’usure comme une pratique qui va bien au-delà d’un simple taux abusif mais s’étend à des pratiques et des conditions excessives dans tous les contrats et pas seulement les contrats de prêts de deniers.<br /> <br /> <br /> <br /> Alors les prêts hypothécaires aux USA (en général à des taux très bas, loin du taux de l’usure, mais souvent à des taux variables pas toujours capés) pourraient être paradoxalement qualifiés « d’usuraires » non par leur niveau mais par leurs conséquences (l’appauvrissement, voire la ruine de l’emprunteur, son incapacité à rembourser et donc la saisie de son bien, etc.).<br /> <br /> <br /> <br /> Cela étant, dans cette affaire, si certaines personnes ou certaines banques se sont « gavées » pendant que les emprunteurs souffraient, c’est l’économie dans son ensemble qui a finalement supporté le choc consécutif à la titrisation délirante de ces dettes. Il ne faut pas oublier que c’est le gouvernement américain (Clinton) qui avait favorisé ce système, pour aider les ménages les moins aisés à acquérir leur logement et relancer la marché immobilier US avec des prêts à taux inférieurs à la norme (subprime). En quelque sorte de l’usure à l’envers ! Un taux anormalement bas. L’excès dans l’autre sens. Une anti-usure !<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Peut-on donc parler d’usure ? Au sens strict sûrement pas. Au sens large peut-être.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Cependant cette crise va bien au-delà d’un simple problème d’usure ou d’anti-usure.<br /> <br /> <br /> <br /> Il s’agit vraiment d’une crise qui a touché directement beaucoup de monde et indirectement le monde entier ou presque. Alors que les problèmes classiques d’usure sont plus d’ordre « inter-personnel ».<br /> <br /> <br /> <br /> J’aurais donc tendance à éviter ce terme d’usure pour la crise dite des subprimes.
Y
Je pense avoir répondu d'une certaine manière à l'analyse de Gréau, qui me parait...j'ose...erronée. L'usage du prêt hypothécaire dans l'immobilier, capable de satisfaire la demande de logement individuel et privé, ne s'est révélé catastrophique que dans la situation d'une offre subite et surabondante de biens dont les propriétaires étaient devenus insolvables du jour au lendemain, comme aux États-Unis et en Espagne. La crise n'a pas (encore) touché l'Italie et la France avec une intensité comparable. La France a la particularité d'être en déficit permanent d'offre immobilière, ce qui maintient les prix à un niveau élevé. L'accession à la propriété ne concerne plus que les classes aisées.<br /> <br /> Je maintiens cependant la remarque particulière que j'ai faite à propos de la vente par décision de justice: un emprunteur en difficulté doit éviter à tout prix d'en arriver là, car il n'y a pas beaucoup d'acheteurs capables de payer comptant les biens mis en vente de cette manière. Ce sont les marchands de biens qui se pourvoient en liquidités et s'entendent entre eux pour empêcher les enchères de monter, qui récupèrent ces biens pour une fraction de leur valeur. Au moins, tant que cette dernière se maintient au niveau actuel.<br /> <br /> @senik Oui, ce rapport à l'argent est une particularité du christianisme, mais aussi de l'islam. Le catholicisme l'a conservé intact, tandis que la réforme a admis la richesse, tout en lui rappelant son obligation de charité.
S
Pierre Gautier aimerait que certains intervenants réagissent à sa citation de Gréau. Ma réaction est une question. Qu'a changé le prêt sur un bien hypothéqué dans la nature du prêt avec intérêt ? Il a rassuré relativement le prêteur ce qui l'a conduit à prêter à des insolvables. En principe, si le bien est vendu à un prix raisonnable, le prêteur récupère ce qu'on lui doit et l'emprunteur le reste. La crise est due à l'effondrement du marché immobilier, dans laquelle tout le monde a plongé. Il est donc prudent des deux côtés du prête de ne pas prêter à des insolvables.
J
Considérations actuelles, inactuelles et diverses!<br /> <br /> <br /> <br /> 1°) Il est révélateur que les échanges de commentaires relatifs à l'usure (qui à l'origine n'était qu'une forme de prêt avec intérêt... dont la connotation péjorative n'est venue que plus tard) portent en fait sur le caractère éventuellement condamnable (moralement et économiquement) des prêts hypothécaires actuels. <br /> <br /> <br /> <br /> 2°) La lettre de Calvin sur l'usure, à laquelle on fait fréquemment référence (comme Rocard, par exemple...), est le type de texte dont on parle... mais qu'il est plus difficile de lire, de lire dans le texte. Pas plus que PG je n'ai réussi à la trouver sur l'internet et j'ai tenté d'autres moyens pour y accéder. Si quelqu'un peut prêter (gracieusement!) son secours....<br /> <br /> <br /> <br /> 3°) récemment sur France Culture, à propos de la culture des fleurs (aux divers sens du terme culture), un spécialiste évoquait la flambée de la passion pour les tulipes au XVIIème siècle: oignons dérobés en Orient, rôles obscurs de jardiniers/malfrats, montée de la spéculation en Hollande... Les prix avaient pu monter au point qu'un orphelinat accepte d'un commerçant le don de 70 oignons dont la vente suffisait pour garantir la prise enchare de ses sept endfants par un orphelinat. La spéculation avait mené à l'invention de "tulipes papier", de tulipes virtuelles dont on achetait par avance à grand prix la fleur éventuelle et le tout avait mené à la création d'une véritable bulle financière reposant sur des prêts garantis par la valeur escomptée des oignons... jusqu'à ce que le tout, en quelques semaines, s'effondre.<br /> <br /> Cet épisode fait penser à des emballements suivis d'effondrements plus récents!<br /> <br /> A la différence près que dans la protestante et industrieuse Hollande, seule une "élite" sociale et économique avait pris part à ce "commerce du vent": certains s'étaient ruinés, la valeur des oignaons et autres bulbes avait chuté, mais cela n'avait pas entraîné de crise ou de krach à l'échelle du pays ou des partenaires commerciaux de cette capitale économique du monde d'alors... Différence entre le stulipes et les subprimes ou entre la Hollande du XVII ème et notre économie mondialisée?<br /> <br /> <br /> <br /> 4°) Affaire Cahuzac oblige, voilà que nos ministres publient leur patrimoine. Leur patrimoine personnel, pas celui de leurs proches... mais on veut croire que les éléments indiqués sont fiables. Certains sont modestes, d'autres moins, voire beaucoup moins... Mais Laurence Parisot faisait remarquer que ce patrimoine était essentiellement fait d'immobiliers, d'emprunts, de dépôts, de quelques automobiles et bicyclettes etc... et fort peu de parts, d'actions ou de placements dans des entreprises. Par manque de fonds disponibles? par manque de traditions famililiales et d'habitudes personnelles? par héritage d'une désaffection envers tout ce qui s'apparenterait à une manière déconsidérée d'user de son argent et de le faire "travailler"? N'y a-t-il pas, là aussi, quelque chose de révélateur?
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