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vive les sociétés modernes - abécédaire
4 mai 2012

S comme Satisfaction (le cas français)

La dimension culturelle du bonheur et du malheur français

A l’heure de nombreux pays se mettent en ordre de marche pour mesurer le bien-être « au-delà du PNB », suivant les recommandations du rapport Stiglitz-Sen (2009), l’INSEE vient de rendre public le résultat d’une enquête auprès des Français, confirmant les leçons des enquêtes internationales : sur une échelle de bonheur graduée de 1 à 10, les Français se placent en moyenne à 7.2. Il s’agit d’une très mauvaise note. Ainsi, parmi les treize pays européens qui ont participé à l’enquête European Social Survey depuis 2002, seul le Portugal obtient un score de bonheur moyen plus faible (6.8), avec des conditions de vie matérielles beaucoup plus défavorables. Dans cet esprit, on peut estimer la relation statistique typique entre développement et bonheur. Il apparaît que les Français se sentent bien moins heureux que ne le prédirait leur Indice de développement humain (IDH), qui prend pourtant en compte non seulement le revenu par tête, mais aussi l’éducation et l’espérance de vie à la naissance : une perte d’un demi-échelon sur l’échelle de bonheur, ce n’est pas négligeable pour une variable de ce type. Avec un IDH identique, les Belges sont à 7.7 et les Danois à 8.3. Le fait de vivre en France réduit de 20% la probabilité de se déclarer très heureux, c’est-à-dire au-dessus du septième échelon, et cela depuis aussi longtemps que les statistiques sont disponibles (c’est-à-dire depuis les années 1970). La France connaît également le taux de consommation de psychotropes le plus élevé en Europe, ainsi que l’un des plus forts taux de suicide, notamment chez les jeunes, ce qui n’est pas le cas du Portugal par exemple.

Pourtant le « malheur français » ne s’étend pas aux immigrés. S’ils sont moins heureux que les Français « de souche», ce qui est toujours le cas des immigrés par rapport aux « natifs », les immigrés ne sont pas moins heureux en France que dans d’autres pays d’Europe. Cette remarque suggère que si le malaise des Français est en partie à leurs conditions de vie objectives, il relève peut-être aussi de leur « mentalité », c’est-à--dire de l’ensemble des mécanismes et dispositions psychiques et idéologiques qui constituent le processus de transformation des expériences en bien-être. Enfin, une partie de ces processus mentaux est dotée d’une certaine persistance au cours du temps, et se transmet de génération en génération, constituant une troisième composante que l’on peut qualifier de culturelle. On peut alors tenter d’identifier le rôle respectif de ces trois composantes du bien-être (circonstances, mentalité, culture) propre à chaque pays, en distinguant, au sein de chaque pays, les « natifs » (Français « de souche » par exemple), les immigrés de première génération et les immigrés de deuxième génération. Tous ces groupes partagent la même expérience des circonstances objectives de leur pays de résidence, mais leur « mentalité » ne s’est pas forgée dans les mêmes instances de socialisation primaires (école, famille), de même qu’ils n’ont pas hérité d’une «culture » totalement identique. Ces différences entre groupes et entre pays permettent d’identifier les composantes qui façonnent la spécificité de chaque pays en matière de bien-être ressenti.

On vérifie empiriquement que la mentalité et la culture jouent un rôle très important. En France, elles expliquent la plus grande part de l’écart de bien-être, loin devant les circonstances objectives. On constate également que les Français vivant à l’étranger sont moins heureux que d’autres Européens vivant hors de leur pays d’origine. Enfin, les immigrés ayant été scolarisés en France avant l’âge de 10 ans se déclarent moins heureux que ceux qui ne l’ont pas été. Des exercices de simulation montrent que si les conditions de vie des Français étaient vécues par les Belges (par exemple), elles conduiraient à un niveau moyen de bonheur bien plus élevé. De manière générale, le niveau de bien-être déclaré par les émigrés Européens est corrélé avec le niveau moyen de leurs compatriotes restés au pays, une preuve de la dimension culturelle du bien-être.

Si le bien-être subjectif doit constituer un objectif de la politique publique, il est important de reconnaître le rôle joué par les dispositions culturelles au bonheur, les importantes différences internationales qui existent dans ce domaine, et le rôle particulier de l’école dans leur formation.

 

Claudia Senik (Ecole d'économie de Paris)


Pour en savoir plus :
Senik Claudia. "The French Unhappiness Puzzle: The Cultural Dimension of Happiness", PSE WP n°2011-34. http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/62/88/37/PDF/wp201134.pdf
 

 

 

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Commentaires
P
Il faut donc que les Français (et d'autres sans doute) expriment un jugement de satisfaction très différent selon qu'on les interroge sur leur pays lui-même ou sur leur propre vie. Et l'ampleur de la différence est bien troublante: comment nos concitoyens peuvent-ils se déclarer aussi heureux personnellement dans un pays aussi insatisfaisant?
J
Envoyer Imprimer <br /> <br /> <br /> <br /> Dans le Monde daté du samedi 26 mai, rémi Bardoux signale l'intérêt de la publication d'un indicateur de l'OCDE sur "l'indice du bonheur". On y accède en tapant "Comment va la vie?" OCDE et on doit pouvoir parvenir ainsi à la consultation d'une nouvelle version présentée le 22 mai.<br /> <br /> A titre d'information, je copie ci-dessous une page qui donne une idée du travail entrepris.<br /> <br /> Malheureusement un diagramme montrant par pays la proportion de personnes déclarant éprouver plus de sentiments positifs que de sentiments négatifs n'a pu être copié.<br /> <br /> Il montrait que la France (ou plutôt sa population) se situait dans une zone d'assez grande satisfaction, tout comme la Belgique, nettement supérieure à la moyenne des autres pays de l'OCDE... ce qui ne correspond pas à ce que l'article de Claudia Sénik faisait apparaître d'après une étude de l'Insee. En raison des données prises en compte? de la date de l'étude? de la méthode suivie? Cela reste à savoir... Mais cela incite à être prudent dans l'explication des tendances éventuelles de la possible "sinistrose" française et des facteurs divers qui peuvent entrer en jeu.<br /> <br /> Ci-dessous, c'est l'OCDE qui parle... et non plus JCH.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Octobre 2011<br /> <br /> ISBN 9789264121195<br /> <br /> 310 pages<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Toute personne aspire à une bonne vie. Mais que signifie « une bonne ou une meilleure vie » ? Ce rapport examine les aspects les plus importants qui façonnent le bien-être et la vie des gens : le revenu, l'emploi, le logement, la santé, le travail et l'équilibre vie professionnelle-vie privée, l'éducation, les liens sociaux, l'engagement civique et la gouvernance, l'environnement, la sécurité personnelle et le bien-être subjectif. Il brosse un tableau complet du bien-être dans les pays de l'OCDE et dans d'autres grandes économies, en observant les conditions de vie matérielle et la qualité de vie des personnes à travers la population. Le rapport répond à la fois aux besoins des citoyens pour une meilleure information sur le bien-être et à ceux des décideurs en donnant une image plus précise du progrès sociétal.<br /> <br /> <br /> <br /> Le rapport constate que le bien-être a augmenté en moyenne au cours des quinze dernières années : les gens sont plus riches et plus susceptibles d'être employés ; ils bénéficient de conditions de logements de meilleure qualité et sont exposés à des niveaux de pollution inférieurs ; ils vivent plus longtemps et sont plus instruits ; ils sont également exposés à moins de crimes. Mais les différences entre pays sont importantes. Par ailleurs, certains groupes de la population, en particulier les personnes moins éduquées et à faible revenu, ont tendance à moins bien s'en tirer dans toutes les dimensions du bien-être considérées dans ce rapport. Par exemple, ils vivent moins longtemps et déclarent plus de problèmes de santé ; leurs enfants obtiennent de résultats scolaires moins bons ; ils participent moins à des activités politiques ; en cas de besoin, ils ont moins de réseaux sociaux sur lesquels s'appuyer ; ils sont plus exposés à la criminalité et à la pollution ; ils ont tendance à être moins satisfaits avec leur vie en général que les personnes plus instruites ou plus riches.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Comment allez-vous aujourd'hui ?<br /> <br /> <br /> <br /> Part de la population déclarant éprouver davantage de sentiments positifs que de sentiments négatifs au cours d'une journée normale, 2010<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Note : Les données datent de 2008 pour l'Islande et la Norvège; de 2009 pour l'Estonie, Israël, la Suisse et l'Afrique du Sud.<br /> <br /> Source : Calculs de l'OCDE basés sur Gallup World Poll<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Comment va la vie ? s'inscrit dans le cadre de l'Initiative «Vivre mieux » de l'OCDE, lancée par l'Organisation à l'occasion de son 50ème anniversaire. L'Initiative «Vivre mieux» de l'OCDE vise à promouvoir de « meilleures politiques pour une vie meilleure », s'inscrivant ainsi dans la mission globale de l'OCDE. Un des autres piliers de l'Initiative «Vivre mieux» est votre indicateur «Vivre mieux» (http://oecdbetterlifeindex.org/fr/), un indice composite du bien-être qui vise à impliquer les citoyens dans le débat sur le progrès des sociétés.
J
Voilà un article qui présente une réflexion en tension entre deux horizons: l'un est celui des données démographiques (qu'on peut envisager comme objectives, ou du moins mesurables sans difficultés insurmontables) l'autre celui de la représentation individuelle du bonheur personnel (et on est là dans un domaine éminemment subjectif, où s'entrecroisent des impressions éventuellement ressenties et les discours qu'on tient à leur propos ou que l'on se croit obligé de tenir). Autant dire que Claudia Sénik s'aventure dans un domaine incertain et nébuleux et qu'elle a bien du mérite à tenter d'y voir clair!<br /> <br /> Certes la recherche de l'indice de satisfaction est une activité devenue courante, pour ne pas dire à la mode. Jusqu'à quel point sommes-nous satisfaits du service après-vente du magasin d'électro-ménager, de l'accueil péri-scolaire, des délais d'attente au guichet etc... on ne cesse de vouloir nous le faire dire! Et je n'ai jamais vraiment trop su si cette intense sollicitude visait à améliorer les services rendus ou à agir pour corriger des impressions ressenties... <br /> <br /> La dernière phrase du texte de Claudia Senik évoque le "bien être subjectif" comme objectif possible de la politique publique. Et, certes, on imagine mal que la politique puisse être le moyen de rendre les gens malheureux et, qui plus est, de les en convaincre! Mais je suis méfiant à l'idée d' une politique qui viserait moins à améliorer l'IDH (à supposer d'ailleurs qu'il soit un élément incontournable du bonheur...)qu'à persuader les intéressés qu'ils ont objectivement bien plus de raisons de se sentir heureux qu'ils ne disent en avoir le sentiment!
Y
Très remarquable synthèse, ou mise à jour, qui confirme ce trait culturel étrange, qu'est notre pessimisme. "Les français sont des italiens de mauvaise humeur"(Daninos), "La France est peuplée de N millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement."(Rochefort)."ça eut payé, mais ça paye plus!"(le paysan vu par Fernand Reynaud. <br /> <br /> En plus des immigrés des autres cultures, qui ne trouvent pas notre pays si invivable que ça, les européens qui viennent s'y installer pour y prendre leur retraite y trouvent beaucoup d'avantages, et y sont heureux.<br /> <br /> Autre paradoxe, quand la France s'est lancée, à deux reprises (fin du 16ème, début du 19ème) dans les aventures coloniales (pour ne pas être en reste), elle a eu un mal fou à trouver des volontaires pour aller peupler ses colonies. Le pouvoir a eu recours à de quasi déportations( de pauvres, de prostituées, d'opposants politiques (communards), ou de réfugiés (alsaciens après 1871).<br /> <br /> La base de notre économie a été l'agriculture, qui a bénéficié des meilleurs terres de l'Europe, mais qui a été chargée de nourrir la caste militaire(romaine, puis franque), qui a pris en mains l'administration. L'urbanisation, puis l'industrialisation (résultant de la volonté du pouvoir) se sont imposées, mais ont accentué le fossé culturel qui sépare, encore de nos jours, le monde rural du monde urbain. Pendant des générations, ces citadins ont été issus de l'émigration en provenance des régions les plus pauvres, La misère qui a chassé ces émigrants, celle qu'ils ont trouvée dans les villes jusqu'à la révolution industrielle, et même quelques décennies au delà, ne leur ont pas permis d'oublier les famines ou les invasions qui ponctuaient leur histoire personnelle. Et on ne peut pas dire que l'actualité soit en mesure d'inverser ce point de vue.
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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