S comme Service (incompris)
Le service constituerait-il la mamelle du capitalisme tout autant que celle du christianisme ?
Le mot contient (au moins) deux sens intéressants : il peut signifier un secteur d’activité se distinguant du secteur industriel, ce qu’on nomme aussi le « tertiaire », et il peut indiquer le fait de se mettre à la disposition de quelqu’un (le public, le client, l’usager) pour répondre à sa demande.
Mais, si l’on regarde bien, l’automobile, par exemple, pourtant « produit » industriel et non pas service (premier sens), au contraire de la banque ou l’assurance, est aussi service au client – deuxième sens - au moment de la vente, des conseils prodigués par le vendeur, de la phase d’après-vente. Les deux sens d’ailleurs finissent par se rejoindre pour évoquer ces activités à part entière de post-production de plus en plus décisives (pour le passage à l’acte d’achat du client) dans le secteur industriel.
Le capitalisme, par nature, « rend service » (prolongement du deuxième sens), même si cela est payant. C’est parce que le capitalisme rend service qu’il perdure sans doute, même si d’aucuns diront qu’il pousse, de manière purement intéressée, le consommateur plus ou moins niais (ou « aliéné », comme aurait dit Marx) à acheter des produits dont il n’a pas besoin et qui ne lui rendent pas service, le macdo par exemple qui le rend obèse, la rolex qui le fait bling-bling ou le dernier 4x4 qui pollue l’atmosphère.
Mais le capitalisme rencontre aussi allègrement – alléluia ! – les valeurs chrétiennes du service (deuxième sens). Même si ce sont, paradoxalement, les marchands du temple qui le dispensent !
On nous a appris, petits, que rendre service était « bien » (certes, sans contreparties) tandis que ne pas le rendre était « mal ». « Aime ton prochain comme toi-même » et tends lui la main !
Pourtant le service (deuxième sens) à autrui peine à servir le capitalisme post-industriel qui est paradoxalement, en tout cas dans les pays développés, celui du service (premier sens) – il n’ y a qu’à entendre les nombreuses protestations des consommateurs contre les banques, les taxis, ou contre les hotlines d’installateurs de télévision par câble – et la notion d’entraide ne paraît pas au cœur de nos valeurs contemporaines. Il y a ainsi comme une vraie résistance à servir. Il y a une tension dans l’attention à l’autre. On peut parler d’ailleurs, et sans exagérer, d’une crise occidentale de l’attention.
Les professionnels du service ont donc de plus en plus de mal à rendre service. La cause en serait-elle précisément l’ingérence perverse du capitalisme dans la valeur chrétienne d’entraide ? Les objectifs de vente des professionnels du service dénatureraient-ils leur éventuel réflexe de pure générosité ? Peut-on aider en comptant ? La recherche de la marge (brute) placerait-elle l’altruisme à la marge ? Ou est-ce la faute à l’étymologie : servus signifiant esclave ? Et notamment, chez nous, dans le pays de Figaro et de la prise de la Bastille, le service serait-il associé, par ceux qui servent, à la servitude, voire à l’esclavage, d’autant que les métiers qui le composent ne sont pas toujours suffisamment rétribués, comme si rémunérer les serviteurs n’allait (finalement) pas complètement de soi ?
C’est dire que les managers du service – dans les deux sens - ont un sacré boulot : comment convaincre leurs collaborateurs, qui font du sourire et de l’humilité leur métier, à être serviables sans pour autant se sentir serviles ?
Jean-Paul GUEDJ (auteur de Service incompris Éditions d’Organisation - 2006).