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vive les sociétés modernes - abécédaire
5 janvier 2012

S comme Service (incompris)

 

Le service constituerait-il la mamelle du capitalisme tout autant que celle du christianisme ?

Le mot contient (au moins) deux sens intéressants : il peut signifier un secteur d’activité se distinguant du secteur industriel, ce qu’on nomme aussi le « tertiaire », et il peut indiquer le fait de se mettre à la disposition de quelqu’un (le public, le client, l’usager) pour répondre à sa demande.

Mais, si l’on regarde bien, l’automobile, par exemple, pourtant « produit » industriel et non pas service (premier sens), au contraire de la banque ou l’assurance, est aussi service au client – deuxième sens - au moment de la vente, des conseils prodigués par le vendeur, de la phase d’après-vente. Les deux sens d’ailleurs finissent par se rejoindre  pour évoquer ces activités à part entière de post-production de plus en plus décisives (pour le passage à l’acte d’achat du client) dans le secteur industriel. 

Le capitalisme, par nature, « rend service » (prolongement du deuxième sens), même si cela est payant. C’est parce que le capitalisme rend service qu’il perdure sans doute, même si d’aucuns diront qu’il pousse, de manière purement intéressée, le consommateur plus ou moins niais (ou « aliéné », comme aurait dit Marx) à acheter des produits dont il n’a pas besoin et qui ne lui rendent pas service, le macdo par exemple qui le rend obèse, la rolex qui le fait bling-bling ou le dernier  4x4 qui pollue l’atmosphère. 

Mais le capitalisme rencontre aussi allègrement – alléluia ! – les valeurs chrétiennes du service (deuxième sens). Même si ce sont, paradoxalement, les marchands du temple qui le dispensent ! 

On nous a appris, petits, que rendre service était « bien » (certes, sans contreparties) tandis que ne pas le rendre était « mal ». « Aime ton prochain comme toi-même » et tends lui la main !

Pourtant le service (deuxième sens) à autrui peine à servir le capitalisme post-industriel qui est paradoxalement, en tout cas dans les pays développés, celui du service (premier sens) – il n’ y a qu’à entendre les nombreuses protestations des consommateurs contre les banques, les taxis, ou contre les hotlines d’installateurs de télévision par câble – et  la notion d’entraide ne paraît pas au cœur de nos valeurs contemporaines. Il y a ainsi comme une vraie résistance à servir. Il y a une tension dans l’attention à l’autre. On peut parler d’ailleurs, et sans exagérer, d’une crise occidentale de l’attention.

Les professionnels du service ont donc de plus  en plus de mal à rendre service. La cause en serait-elle précisément l’ingérence perverse du capitalisme dans la valeur chrétienne d’entraide ? Les objectifs de vente des professionnels du service dénatureraient-ils leur éventuel réflexe de pure générosité ? Peut-on aider en comptant ? La recherche de la marge (brute) placerait-elle l’altruisme à la marge ? Ou est-ce la faute à l’étymologie  : servus signifiant esclave ? Et notamment, chez nous, dans le pays de Figaro et de la prise  de la Bastille, le service serait-il associé, par ceux qui servent, à la servitude, voire à l’esclavage, d’autant que les métiers qui le composent ne sont pas toujours suffisamment rétribués, comme si rémunérer les serviteurs n’allait (finalement) pas complètement de soi  ?

C’est dire que les managers du service – dans les deux sens - ont un sacré boulot : comment convaincre leurs collaborateurs, qui font du sourire et de l’humilité leur métier, à être serviables sans pour autant se sentir serviles ?

 

 

Jean-Paul GUEDJ (auteur de Service incompris  Éditions d’Organisation - 2006).

 

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Commentaires
F
1. En économie on distingue, dans la catégorie générale des "produits", les biens et les services; distinction en apparence facile et commode. Durables ou non-durables, les biens sont "matériels", "physiques", "stockables" (une carotte, un bâton, une voiture automobile, un appareil téléphonique, etc.) Les services sont "immatériels", "non stockables", etc.<br /> <br /> Mais, d'une part, la plupart des services, pour être rendus, exigent des biens (des locaux des administrations pour les services publics, des salles de cours, des tableaux, des chaises pour l'enseignement, des routes, des trains, des métros pour les transports, etc.)<br /> <br /> Et, d'autre part, les biens ne valent-ils pas que par les services qu'ils rendent? Une carotte pour se nourrir, une auto pour se déplacer (et/ou donner une certaine image de soi), un téléphone pour communiquer, etc. Toute la production n'est-elle pas orientée vers les services rendus que ce soit par des biens ou des services et que ces biens ou ces services soient marchands ou non marchands ?<br /> <br /> L'utilité d'un bien ou d'un service n'est pas "objective". Dire d'un bien qu'il est utile en économie n'est pas répondre à une question générale du type "A quoi ça sert?" mais à la question "Quelle satisfaction ce produit apporte-t-il à tel utilisateur?". Autrement dit "Quel service lui rend-il?"<br /> <br /> 2. J'apprécie particulièrement cette manière qu'utilise l'auteur de rapprocher les termes, de jouer avec les mots et les multiples sens. Certes il faut s'en méfier mais je trouve que c'est souvent très fécond à condition de rester lucide sur les dérives et les glissements progressifs. Toute connaissance est d'abord un langage et une réflexion approfondie sur les mots est toujours utile pour nous éclairer. Cela rend bien service!
J
"Service sexuel" ? tiens , tiens , voilà un sens du mot "service" que ne mentionne pas le Littré ; quant au Grand Robert , en la matière ,il ne cite que ,(et sous la rubrique "zootechn."): le fait pour l'étalon de servir la jument .<br /> <br /> Que de surprises et de controverses cache ce "S comme service (incompris , bien sûr)!
Y
Dans ma famille, plusieurs médecins ayant fait la rencontre de la gériatrie, vraie spécialité maintenant, se sont passionnés et en ont fait leur métier. Il semble en être de même pour les auxiliaires médicaux qu'on forme, alors que c'est plus dur pour ceux qui y tombent par nécessité. <br /> <br /> Mais, c'est vraisemblable, se représenter, à froid, coincé dans ce métier, peut faire éprouver une forte anxiété.
P
Aucun service n’est sans doute méprisable comme le dit Senik. Il n’en reste pas moins que certains services – par exemple auprès des personnes ayant perdu toute autonomie physique - ne peuvent guère être considérés comme des services ordinaires. Une vie professionnelle entièrement consacrée à ces taches n’est-elle pas dangereuse pour ceux et celles qui y sont astreints durablement ? Ce qui est d’autant plus inquiétant, c’est qu’en raison du vieillissement de la population ces services, certes non méprisables mais très difficiles humainement, sont appelés à se développer massivement. Des millions de jeunes au service des soins du corps de millions de vieillards… Il y a là un problème et il n’est pas sûr que le marché seul puisse le résoudre.
Y
Sur cette question particulière de la prostitution, service "particulier" à divers points de vue, les sociétés oscillent entre des phases de tolérance et de puritanisme. L'alternance se fait plus rapide dans les sociétés modernes où les débats sont permanents et font pression sur la tendance en cours. Il me semble que nous sommes actuellement dans une phase puritaine. Dans les débats imprimés, comme ceux qui paraissent dans le "Monde", les points de vue répressifs l'emportent nettement sur les libéraux ou les pragmatiques. Les projets de lois les suivent.
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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