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vive les sociétés modernes - abécédaire
31 mars 2011

La religion (sa place dans les sociétés modernes)

 

Les sociétés modernes - au sens de sociétés ouvertes - se sont construites en premier lieu sur la séparation de l’Église et de l’État, sur la dissociation entre le politique et le théologique.

Cette séparation du politique et du religieux a été imposée par les guerres intestines de religion.

Elle représente d’abord un recul pour l’Église, qui doit renoncer à guider toute la vie de ses fidèles : dans les sociétés modernes, les religions se sont pliées à cette coexistence, au prix d’un formidable recul de leurs prétentions originelles. Elles ne peuvent plus imposer de diktats à la politique, à la science, au droit, à l’art, aux valeurs collectives, ni même aux moeurs.

L’État y a perdu de sa sacralité qui bénéficiait d’un soutien religieux. Le Contrat social de Rousseau comporte un chapitre sur la nécessité d’une religion civile, où on lit que « jamais État ne fut fondé que la religion ne lui servît de base. »

Mais le fait est là : aucune religion particulière ne peut s’imposer à tous les citoyens d’une société composite fondée sur les doits de l’homme. En vertu de la liberté de conscience, chaque individu est reconnu libre de croire ou de ne pas croire et, s’il croit, de pratiquer le culte de son choix.

On mesure la révolution introduite par les sociétés modernes à ce simple fait : tout individu est reconnu libre de changer de confession ! C’est en 1962 que l’Église catholique a admis ce droit, et on attendra encore longtemps avant que ce soit le cas pour l’Islam.

Tous les rapports entre les religions, entre les religions et la société, et entre les religions et l’État résultent de deux principes : la liberté de conscience et la neutralité de l’État.

Même dans la sphère privée, chacun est tenu de respecter les lois de la Cité, et ne peut donc pas forcément faire tout ce que sa religion ou sa culture lui dictent : par exemple, priver la femme de l’égalité des droits juridiques, ou la lapider.

Dans la sphère publique, un croyant peut se sentir en contradiction avec les lois et les règles édictées par la société. Il doit pourtant tolérer leur existence: par exemple l’avortement, la guerre, ou le caractère obligatoire d’une éducation rationnelle, y compris à propos de l’origine de l’espèce humaine.

Quant à l’État (et à ses représentants), il doit être neutre et se charger de faire respecter à égalité toutes les options.

Cette neutralité de l’État peut prendre deux formes opposées.

Ou bien la séparation par exclusion : toute manifestation d’une croyance particulière est exclue de la sphère politique. Ou bien la neutralité ouverte : toutes les options particulières y sont acceptées à égalité.

Dans le premier cas, la laïcité peut être accusée de privilégier l’athéisme (qui n’est pourtant qu’une option). Dans le second cas, le multiconfessionalisme menace de soumettre les choix politiques à des conflits confessionnels qui ruinent l’idée de société (le Liban, l’Irak).

Il n’est donc pas facile de définir la forme idéale de la neutralité de l’État.

L’essentiel est de définir et de préserver ce qui n’est pas négociable

1° le respect de la liberté de conscience et de la pratique du culte

2° la séparation des Églises et de l’État

3° la suprématie des choix politiques collectifs sur les convictions confessionnelles ;

4° la non constitutionnalité (et donc l’illégalité) des partis qui proposeraient d’abolir les trois points précédents.

« Vive les sociétés modernes ! » où chacun est libre de penser et de dire ce qu’il veut. Comparer ce régime avec notre passé ou avec ce qui se passe ailleurs, c’est l’adopter avec ferveur, en reconnaissant qu’il a apporté un immense et incontestable progrès.

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André Sénik

 

 

 

 

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Commentaires
Y
La condescendance de cette vision de Kant me semble "datée". Comme tout ce qui nous fait, la religion est un dépôt, au même titre que la langue et la culture, dans notre cerveau vierge, et participe à notre identité, à notre interprétation du monde, par principe univoque.<br /> Quelle est la proportion d'hétéronomie( d'abord exclusive) puis d'autonomie (acquise), en chacun de nous? Individuellement, elle dépend de notre âge, des apports de l'éducation, qui complexifie notre vision du monde, et de la liberté d'interprétation que nous donne notre culture moderne.<br /> Collectivement, notre confrontation à une quantité de langues, de cultures et de religions nous impose la question de la vérité, à sa relativité, qui concerne la nôtre. Cette critique peut aller jusqu'à la troquer pour une autre, ce qui est pour le moins absurde, quand il s'agit de religion. <br /> Soyons indulgents pour nos ancêtres qui s'étripaient pour ces questions religieuses. Les religions avaient alors, dans toutes les sociétés, le statut d'hétéronomie, non discutable.
P
Je ne sais pas si la conception kantienne de la religion est totalement satisfaisante, mais ce que je sais (par expérience de professeur notamment) c'est qu'elle possède une rare vertu clarificatrice et surtout purificatrice; par les temps qui courent, je rêve parfois qu'elle soit étudiée dans toutes les écoles; par exemple ces quelques lignes: <br /> <br /> "Le vulgaire comprend toujours par religion sa croyance d’Eglise, croyance qui lui saute aux yeux, alors que la religion se tient cachée an fond de l’homme et dépend seulement des sentiments moraux. C’est faire trop d’honneur à la plupart des hommes que de dire : ils se reconnaissent de telle ou telle religion ; car ils n’en connaissent et n’en désirent aucune : la foi statutaire d’Eglise est tout ce qu’ils entendent par ce mot. Les prétendues guerres de religion qui si souvent ont ébranlé le monde en le couvrant de sang n’ont jamais non plus été autre chose que des querelles suscitées autour de croyances d’Eglise."
S
Dans la vie des religions, il arrive un moment où les mots ne suffisent plus. Leur relais est pris par des signes d'appartenance et des comportements symboliques, qui "donnent à voir", et qui finissent par se confondre avec le mythe ou la révélation fondateurs.<br /> La religion dominante en France n'en manquait pas. Entrait-on dans une église avec un chapeau si on était un homme, ou sans, si on était une femme? Des rites, comme celui du mariage religieux, sont bourrés de symboles qui rappellent la sexualité enfin permise.<br /> Le vêtement a été porteur du genre de la manière la plus autoritaire. Jeanne Darc a été considérée par les ecclésiastiques comme une pécheresse parce qu'elle portait, sur le champ de bataille, un vêtement masculin. Sans ce vêtement elle aurait été vue et traitée comme une prostituée. Sa transgression, qu'elle disait être ordonnée par ses "voix", en imposait à cet environnement machiste, mais "croyant".<br /> Ces dernières cinquante années ont à peu près entièrement balayé ce langage vestimentaire.
P
Dans les débats sur la liberté religieuse j'ai bien du mal à entendre revendiquer certaines pratiques vestimentaires ou alimentaires comme s'il s'agissait d'exigences religieuses fondamentales. S'agit-il simplement d'exigences religieuses? Associer le mot religion à ces pratiques ne relève-t-il pas d'un abus de langage? Comme l'écrit Kant: "C'est une folie superstitieuse que de vouloir devenir agréable à Dieu par des actions que tout homme peut accomplir sans avoir à être, à proprement parler, un homme de bien.On l'appelle superstitieuse cependant parce qu'elle se choisit de simples moyens naturels (non pas moraux) qui ne peuvent absolument pas agir par eux-mêmes sur ce qui n'est pas la nature (c'est à dire le bien moral)." <br /> <br /> Mais Kant n'est pas le seul à dire cela: outre la Bible, n'est-ce pas aussi le message du Coran:<br /> <br /> "1. Vois-tu celui qui traite de mensonge la Rétribution? <br /> <br /> 2. C'est bien lui qui repousse l'orphelin, <br /> <br /> 3. et qui n'encourage point à nourrir le pauvre."<br /> <br /> (sourate 107)? <br /> <br /> Cela dit je n'ai rien contre la liberté de superstition.
Y
L'histoire familiale rapportée par Marianne illustre la difficulté vécue par les familles pour "assimiler" cette nouveauté qu'a été la laïcité et son corollaire, l'enseignement laïque, concurrent de celui des curés, des religieuses, des "frères des écoles chrétiennes".<br /> Dans les familles, les femmes furent les plus nombreuses gardiennes de la foi et du respect à l'église. Les hommes apprécièrent plus vite la nouvelle liberté. J'ai quelques souvenirs précis des années 40 à 50, au cours desquelles des séquelles étaient encore visibles dans le monde rural. Car ce monde a sûrement été le dernier à tirer un bénéfice de la laïcité. Dans certaines régions il ne volerait pas à son secours!<br /> Il n'y a pas de doute, par ailleurs, que les initiateurs de l'enseignement laïque et de la laïcité avaient bien comme but de lutter contre l'obscurantisme d'une religion pratiquant le "prêt-à-penser". La liberté de conscience eut sa place dans les textes, mais pas vraiment dans les esprits des concepteurs. La situation a-t-elle changé? Hum! <br /> Il fallait probablement que la cure soit brutale, tellement la liberté et le catholicisme sont antinomiques. Il en reste des traces profondes, auxquelles aucun parti politique, aucun mouvement d'idées en France ne peut prétendre avoir échappé complètement.
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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