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vive les sociétés modernes - abécédaire
9 février 2011

Q comme Qualité (des produits et des services )

Le capitalisme rêve. Il rêve d’être ce qu’il n’est pas. Il se voudrait respectable, citoyen, éthique et… qualitatif ! Bref, bien mis, bourgeois.

Le capitalisme a un idéal du moi. Même si le moi ne dure qu’un mois, car le capitalisme, narcissique en diable, aime les modes, éphémères par définition.

Dans les années 80 du siècle dernier, il y avait ainsi une mode dans l’entreprise : la qualité. Aujourd’hui, il y en a une autre : c’est le bien-être des salariés pour qui l’on invente généreusement des conciergeries d’entreprise et une série de gadgets relatifs au bonheur, à défaut de donner du sens au travail et de revisiter les méthodes de management.

On parlait même à cette époque-là de qualité totale, adjectif toujours un peu inquiétant, tant il se rapproche de totalitaire, et l’on inventait en même temps, lyriquement, les cercles dits de qualité à l’instar des joyeuses cellules d’un parti dit anticapitaliste, qui depuis a perdu du poids.

Tout cela émanait évidemment du Japon qui affichait alors un arrogant taux de croissance en devenant une des plus grandes puissances industrielles du monde. Le toyotisme expérimentait ainsi un nouveau modèle d’organisation du travail dans un esprit de productivité plus intelligente en réduisant les coûts et en réaction sans doute aux vertus désormais ridées du taylorisme et du fordisme : les flux tendus (pas ou peu de stocks, « la commande détermine la production »), la prise en charge par les ouvriers de l’information concernant leur poste destinée au poste de travail voisin (« kan ban », petites affichettes par lesquelles ils exprimaient l’état de leur production et de leurs besoins), et enfin la recherche des 5 zéros résumant l’ensemble de la nouvelle méthode et prétendant ainsi rendre le capitalisme moins nul, si l’on ose dire  : 0 défaut, 0 panne, 0 papier, 0 stock, 0 délai.

Hervé Sérieyx écrivait alors, béat d’admiration pour cette nouvelle révolution capitaliste, le regard martien sur le miracle nippon, « L’entreprise du troisième type ! » (1984).

Aujourd’hui le 0 papier, malgré les nouvelles technologies, comme le 0 délai, relèvent du mythe confirmé. Comme le 0 défaut et surtout le zéro panne. Selon une récente étude, publiée par l'assureur américain SquareTrade, un tiers des ordinateurs portables tombe en panne avant la fin de la troisième année. Les statistiques sont issues des pannes constatées sur 30.000 ordinateurs portables neufs couverts par la garantie de l’assureur. Deux pannes sur trois sont ainsi liées à une défaillance de l'ordinateur.

Seul le 0 stock perdure et se développe produisant d’ailleurs certes pour les entreprises une économie d’achat du gros, mais compliquant sacrément la relation avec le client. Ce dernier doit batailler pour obtenir la marchandise tant elle se fait parfois rare et on est alors, plus que jamais, bien loin du 0 délai.

Aujourd’hui, la qualité est remplacée par la certification, notion et méthode plus sobres, plus administratives, plus bureaucratiques aussi, où l’humain et parfois l’essentiel sont ainsi dilués.

La rumeur dit que l’Association Française des cercles de qualité aurait fait faillite, en 1990, semble-t-il. Ils demeurent pourtant dans les esprits comme une vieille pratique un peu ringarde, tant par son côté pseudo-démocratique et manipulatoire – la contribution des salariés à la qualité des produits et services vendus – que son côté naïf. Aucun produit ni service n’est en effet héroïque : ils se démodent, ne correspondent plus au besoin du public, sont vite techniquement dépassés, ne se développent donc pas durablement, et surtout ils sont, et c’est tant mieux, comme ceux qui les ont conçus, qualitativement et définitivement imparfaits.   

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Jean-Paul Guedj (conseil en communication et management)




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Commentaires
J
Ceci n'est pas un commentaire...<br /> <br /> mais une demande:<br /> <br /> je souhaiterais proposer à Jean-Paul Guedj une intervention lors d'un Forum.<br /> <br /> Pourrait-il m'adresser ses coordonnées en m'écrivant à jchaglund@wanadoo.fr ?
Y
Le facteur qui brouille cette vision théorique et puriste est le coût du travail dans les pays développés. Un objet technique fabriqué en série, en partie par des robots, en partie par une main d'oeuvre très peu payée, ne pourrait être réparé que par une main d'oeuvre plus qualifiée et mieux payée, toutes charges comprises.<br /> C'est pourquoi, par exemple, une partie des déchets, "recyclables", que nous faisons l'effort de trier, partent (ou repartent) en Chine, pour être traités au prix chinois, le transport étant payé par l'expéditeur.
P
Gilbert Simondon, l'un de nos meilleurs philosophes de la technique ("Du mode d'existence des objets techniques"), décrit en ces termes l'évolution d'un objet technique:<br /> <br /> "Au point de départ l'objet technique doit être indivisible et n'est pas fait pour se survivre dans l'une de ses parties...; mais un objet conçu de cette manière est un objet qui ne représente que le point de départ et la première étape de la constitution technique.<br /> <br /> Après cela le progrès technique consiste au contraire en ce que l'objet technique doit se diviser, se dichotomiser; une part en lui, une de ses bandes latéraless'adapte au monde extérieur, l'autre à l'utilisateur; une partie a tendance à se pérenniser, l'autre change ou s'use et est destinée à être labile. Si on traite l'objet technique au moment où il devient dichotomique comme un objet où tout s'use en même temps et doit être jeté, il y a là une erreur culturelle fondamentale: par exemple change d'automobile dès qu'elle est démodée et là est le mal.<br /> <br /> La troisième étape de l'objet technique est celle qui fait apparaître l'objet de réseau, c'est-à-dire un objet simplifié; à ce moment-là il doit devenir économiquement facile à acheter et surtout facile à entretenir, car il doit être pluralisé, relativement segmentaire, chaque partie pouvant être échangée en échange-standard contre une autre lorsqu'une avarie intervient." ("Entretien sur la mécanologie" 1968; cet entretien passionnant est visible sur YouTube)<br /> <br /> On ne peut s'empêcher de se demander si les objets techniques qui nous sont de plus en plus proposés aujourd'hui ne constituent pas un retour à la "première étape de la constitution technique".
P
on peut voir sur internet le documentaire consacré par Arte à l'obsolescence programmée et intitulé "Prêt à jeter". Troublant. Je me demande toutefois si on peut mettre sur le même plan l'obsolescence qui résulte de l'apparition de nouveaux produits et celle qu'on obtient en introduisant délibérément dans un appareil (dans le documentaire, une imprimante) un élément destiné à être usé à court terme, rendant ainsi l'appareil inutilisable.
Y
qu'il faut maintenant parler des ampoules à incandescence. Mais il me semble que les ampoules de marque duraient un peu plus longtemps que les mêmes, moins chères, fabriquées en Chine sous des marques de distributeurs. <br /> Connaissant le principe des ampoules à incandescence, je n'ai jamais été étonné de leur mise hors service assez rapide, et je n'ai jamais soupçonné l'entente illicite entre les fabricants sur une façon particulière d'abréger leur durée de vie. Quel était le "truc"?<br /> Les nouvelles ampoules à basse consommation, qui sont des miniaturisations de nos tubes à néon, n'ont pas une vie aussi longue qu'annoncée. Qui passe du temps à calculer l'économie réalisée?
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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