P comme pause du Progrès scientifique?
SCIENCES FONDAMENTALES ET APPLICATIONS TECHNIQUES
Il n'y a jamais eu au monde autant de chercheurs scientifiques qu'actuellement. Leur nombre dépasse celui de tous les savants ayant jamais existé.
Pourtant, la Science piétine. La découverte de la relativité générale a un siècle, celle de la mécanique ondulatoire, quatre-vingts ans, et celle de la double hélice de la structure chromosomique en a soixante . Bien sûr , il y a eu , et il y a encore, de multiples progrès dans l'application des découvertes du XIX eme et du XX eme siècles, dont la potentialité est loin d'être épuisée. Mais au point de vue fondamental, il n'y a rien de nouveau, et, ce qui apparait pire, les développements actuels des théories débouchent sur des conclusions insatisfaisantes, voire des contradictions.
Par exemple, en ce qui concerne l'infiniment grand et la structure de l'Univers, est-il satisfaisant d'admettre que nous puissions seulement connaître la nature de 5% de sa masse totale ? que nous n'ayons aucune idée de ce qui constitue "la Masse Noire" et "l'Energie Sombre" qui en composent 95% ?
Si nous considérons maintenant l'infiniment petit, ni la théorie des cordes (ou celle des "supercordes"), ni celle de la Gravité Quantique à Boucles (L.Q.G.) n'apportent la moindre réponse aux questions fondamentales sur la nature des forces et les éléments constitutifs de la matière. Si l'on considère, avec Popper, qu'une théorie scientifique doit permettre de faire des prévisions vérifiables, on peut même craindre qu'il ne s'agisse pas là de vraies sciences (malgré leur complexité), car elles sont impuissantes à prédire le résultat de la moindre expérience, étant tout au plus capables de fournir a posteriori une explication approchée des résultats, quels qu'ils soient.
En biologie, la recherche fondamentale montre que la nature est loin d'être aussi simple qu'on avait pu l'espérer, et la notion de "gène" qui fut si utile comme concept de base dans le développement de la théorie de l'hérédité, devient de plus en plus floue. Ici aussi, il n'est guère acceptable d'expliquer vos yeux bleus en disant que vous avez le gène des yeux bleus, quand on ne sait pas très bien ce qu'est un gène, où il se situe, et surtout comment il agit .
Ce blocage dans l'avancement des concepts de base, qui contraste avec les prodigieux développements des siècles précédents, est masqué par le foisonnemennt des applications qui apparaissent constamment et modifient de manière continue notre façon de vivre : les mises en oeuvre techniques de l'électricité, de l'électromagnétisme, de l'électronique, de la thermodynamique, de l'énergie nucléaire .... rendent chaque jour notre existence plus artificielle, en introduisant des "gadgets" qui rapidement deviennent des outils, puis d'indispensables auxiliaires de vie.
Les progrès de la médecine sont, eux aussi, spectaculaires, mais là encore ce sont des développements et des ajustements de techniques de pointe et non des découvertes scientifiques de base .
La situation actuelle représente-t-elle une pause, qui nous laisse le temps d'assimiler les concepts mis à jour au XX eme siècle, avant de repartir en échaffaudant de nouvelles hypothèses ? Ou bien sommes-nous arrivés au voisinage des limites de ce que l'esprit humain est capable d'assimiler ? L'utilisation d'outils de plus en plus puissants, (tel le grand cyclotron du CERN ), la multiplication des scientifiques et des expériences, les sommes importantes investies dans les recherches, ne semblent pas suffisantes pour franchir les obstacles conceptuels qui s'élèvent devant nous . Même si ceci ne va pas tarir, pour de nombreuses années encore, le nombre des inventions techniques et des applications, il n'en reste pas moins que cette impuissance à faire progresser la science fondamentale, impuissance transitoire peut-être, mais prolongée, inhabituelle en tout cas en regard des trois ou quatre derniers siècles, peut soulever quelques inquiétudes quant à nos capacités d'abstraction.
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J.Fauré (Docteur ès Sciences physiques)
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Bibliographie :
1) Evelyn Fox Keller : "Le Siècle du Gène ", préface de François Jacob, (Gallimard 2003)
2) Brian Greene : "L'Univers Elégant", (Robert Laffont 2000)
3) Lee Smolin : "Rien ne va plus en Physique", (Dunod 2007)
4) Gilbert Hottois : "Philosophies des sciences , philosophies des techniques" (Odile Jacob 2004 )
5) Jean-jacques Kupiec et Pierre Sonigo : "Ni Dieu ni gène" (Le Seuil 2000 )
6) Jean Staune : "La science en otage " (Presses de la renaissance , 2010)