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vive les sociétés modernes - abécédaire
13 octobre 2010

P comme Prendre soin (ou la notion du « care »)

Depuis longtemps, on prend soin de sa santé, de ses enfants, de ses vieux parents, sans oublier, bien sûr, les plantes vertes du voisin ! Mais la formule, banalisée jusqu’à devenir transparente, a récemment été remise au goût du jour, en particulier par l’évocation (par Martine Aubry) de la notion de « care » comme valeur à promouvoir désormais à l’échelle de la société. On pourrait se demander s’il s’agit là d’un principe nouveau à appliquer au développement des sociétés modernes ou d’une vieille injonction moralisatrice. Mais l’apport d’observations sur le lien entre comportement maternel et développement des capacités d’apprentissage peut aider à envisager comment un environnement social peut provoquer une transformation durable et transmissible des données individuelles. Ce détour par les neurosciences peut éclairer une notion soudain promue au rang de slogan ou de projet électoral : le « care ». 

Des études menées récemment chez le rat ont montré comment le comportement maternel durant les premières semaines de vie influençait de manière décisive le développement neurologique de leur progéniture. Les petits ayant été élevés par une mère de phénotype maternant[1], développent un hippocampe[2] plus volumineux par une croissance accrue des synapses, présentent un nombre de récepteurs cérébraux aux glucocorticoïdes[3] plus important,  montrent un comportement social marqué par des réactions émotives au stress plus mesurées, des capacités d’apprentissage en situation de faible stress plus importantes[4] et un comportement moins agressif vis-à-vis de rats étrangers au groupe, que leurs congénères élevés par une mère de phénotype peu maternant. A l’inverse, ces derniers montrent des capacités d’apprentissage plus importantes en situation de stress élevé. Plus étonnant, le phénotype maternel se transmet à la progéniture, mais peut être modifié par l’environnement. Ainsi, des femelles maternantes mises en situation de stress (rationnement alimentaire) développent un phénotype peu maternant qui se transmet ensuite à leur progéniture (1,2).

Mais c’est la mise en évidence d’un substrat génétique – plus exactement épigénétique[5]- à ces comportements qui passionne le monde des neurosciences depuis le début des années 2000. En effet, en montrant que le phénotype maternant était associé à un phénomène de méthylation de l’ADN[6] qui modulait l’expression des gènes interférant avec le développement synaptique de l’hippocampe, la réponse aux hormones de stress ou encore la survenue de dépression et d’anxiété chez le rat, on apportait pour la première fois la démonstration que l’environnement social pouvait modifier l’expression des gènes d’un individu (2).

Plusieurs observations suggèrent que ces données sont transposables à l’homme (2). Il a été montré en particulier, depuis, que la régulation épigénétique chez l’homme interférait également dans le développement des cancers, de certaines maladies cardiovasculaires, la dépression et la maladie d’Alzheimer (2,3).

Ces résultats semblent donc indiquer que les stress induits par notre environnement social sont capables d’imprimer une trace indélébile dans notre cerveau susceptible non seulement de déterminer dès le plus jeune âge nos comportements en société, nos capacités d’apprentissage et notre santé ultérieure, mais aussi d’être transmise aux générations suivantes. Ce que les sociologues et les psychanalystes savaient depuis longtemps vient donc d’être confirmé par une science « dure ».

Et si les enjeux du «care» pour nos sociétés modernes dépassaient largement le simple slogan électoral ?

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Stéphane Jouveshomme (pneumologue)

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Références :

(1)     DL Champagnet et coll. Maternal care and hippocampal plasticity : evidence for experience dependent structural plasticity, altered synaptic functioning, and differential responsiveness to glucocorticoid and stress. The Journal of Neuroscience, 2008: 6037-45.

(2)     G Miller. The seductive allure of behavioural epigenetics. Science 2010: 24-27.

(3)     M. Esteller. Epigenetics and cancer. The New England Journal of Medicine , 2008: 1148-59.

[1] Ce phénotype est caractérisé de la manière suivante : les femelles lèchent et toilettent abondamment leurs petits, se couchent sur le côté en arrondissant le dos pour leur faciliter l’accès aux mammelles, alors que les femelles de phénotype non maternant ont un comportement indifférent.

[2] Structure cérébrale impliquée dans la mémorisation et l’apprentissage.

[3] Hormone sécrétée en réaction au stress intervenant notamment dans la régulation des phénomènes inflammatoires et immunitaires.

[4] Reconnaissance d’objets et situation dans l’espace.

[5] Ensemble des modifications héritables de l’expression des gènes survenant en l’absence de toute modification de la séquence de  l’ADN lui-même. Un phénotype ne dépend pas seulement de la présence ou non du gène codant pour ce phénotype mais surtout du fait que ce gène s’exprime ou pas.

[6] Ajout d’un groupe methyl à la paire de base nucléique C-G de l’ADN. Ces doublets C-G ne sont pas répartis de manière aléatoire dans le génome, mais sont particulièrement représentés dans les régions de l’ADN qui régulent l’expression de nombreux gènes. Le degré de méthylation de ces zones de régulation va conditionner l’expression des gènes qui en dépendent. Un phénomène analogue est observé au niveau des histones, ces protéines chaperonnes qui sont intimement liées au double brin d’ADN et lui confèrent sa structure spatiale.  L’acétylation des histones (ajout d’un groupe acetyl à certains acides aminés comme la lysine), en modifiant la structure de la molécule d’ADN, participe également à la régulation de l’expression de ses gènes.

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photo "Joueurs d'échecs au Kazakhstan (collection Le tour du monde)

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Commentaires
Y
Dans l'espèce humaine, la relation mère-nourrisson ne peut en rester à l'accomplissement du devoir. Le stade de l'instinct, lui, n'existe même pas.<br /> Comme je l'ai écrit, le simple amour maternel peut être perturbé par des théories ou des modes, qui exercent un contrôle sur l'attitude maternelle, le plus souvent en l'infiltrant de la peur de faire mal (ou pas assez bien). Comme le "je t'aime" est affaibli par "beaucoup", "bien" et même "passionnément"!<br /> Le perfectionnisme peut aussi faire naître les sentiments d'impuissance, d'incapacité, qui pourraient être à l'origine de certains dénis de grossesse* et d'infanticides à la naissance.<br /> Ce qui est sûr, c'est que la grossesse et la maternité, pour les femmes d'aujourd'hui (des sociétés modernes) ne sont plus des "fatalités", et encore moins "un devoir". Plus souvent, "un droit" (qui peut, lui aussi, submerger de rationnel ce qui ne doit pas l'être.<br /> *Les cas de déni de grossesse dont j'ai été témoin lors de ma courte carrière de généraliste de campagne était tous en rapport avec le sentiment de faute qui accablait alors les filles-mères. Le déni de la faute entraînait ipso facto celui de sa conséquence
P
en poursuivant mes lectures sur les sentiments et attitudes à l'égard de l'enfance, je tombe sur ces lignes par lesquelles l'historien de la médecine Edward Shorter clôt son chapitre sur "Mère et nourrissons":<br /> "On ne saurait expliquer l'absence traditionnelle d'amour maternel* par la mortalité infantile élevé, puisque c'était précisément celle-là qui était la cause de celle-ci. Ou du moins en partie. Si les petits mouraient en grand nombre cela n'était pas dû à l'intervention de quelque deus ex machina échappant à tout contrôle des parents. Cela résultait au contraire de circonstances sur lesquelles les parents pouvaient exercer une influence considérable: le régime des nourrissons, l'âge du sevrage, la propreté de la literie et l'hygiène générale dont l'enfant était entouré- pour ne rien dire de facteurs moins tangibles comme le fait de serrer le tout petit dans ses bras, de lui parler, de lui donner le sentiment d'être aimé et de vivre dans un petit univers sûr et stable." ("Naissance de la famille moderne")<br /> <br /> *dans les sociétés européennes d'avant le 19e siècle.
Y
pour les chats!<br /> J'ai le souvenir plutôt lointain(entre 60 et 70 ans) d'une chatte devenue folle. Les abandons de chatons par une chatte épuisée sont fréquents. Sans l'intervention humaine, ils meurent.
J
Depuis bien des années, j'ai vu naître et grandir chez moi bien des chatons... Les deux dernières portées m'ont confronté à une situation inattendue que je rapproche désormais des indications données dans l'article de Stéphane Jouveshomme. <br /> La faiblesse d'une chatte adulte (Macha) m'a amené à devoir me substituer à elle pour l'alimentation d'une jeune chatte.. qui se jetait sur le biberon en me gratifiant de nombreux coups de griffe que je mettais sur le compte de son appétit. La mère, qui perdait la vue avant de perdre bientôt la vie, s'en désintéressait. Ce jeune animal a grandi en manifestant défiance et agressivité au point qu'elle ne s'est jamais laissée prendre dans les bras(pas de câlins, pas d'abandons ronronnants)et a pris ses habitudes dans le jardin et non pas, comme ses congénères, dans la maison. Si elle y pénètre, elle se sauve et se cache dès qu'un être humain la repère et il faut laisser la porte largement et longuement ouverte avant qu'elle ose s'enfuir précipitamment.<br /> Tout se passe comme si elle n'avait jamais accèdé à l'ensemble des comportements des usages et des relations de confiance qui caractérisent la vie des chats domestiques... J'ai bien sûr tenté, le moment venu, de faire stériliser cette bête... mais j'ai abandonné à l'issue d'une tentative infructueuse et douloureuse pour m'emparer d'elle. Elle a donc à son tour eu sa première portée. Par ruse, je m'en suis emparé... et par faiblesse, sensiblerie, émotion... j'ai laissé la vie à ce qui allait devenir une chatte trés semblable à sa mère... en plus sauvage! C'est d'ailleurs ainsi que nous appelons ces deux bêtes: les "sauvages"... ou même les "folles"! Aucune tentative pour les désigner par un nom n'a semblé avoir de sens ni de suite.<br /> Eprouvant quelque panique à l'idée que le jardin se peuple de semblables félins, j'ai employé les grands moyens et réquisitionné deux "trappes". Une seule aurait suffi: les deux chattes se sont précipitées ensemble sur l'appât et se sont trouvées prises au piège et j'ai apporté ces deux bêtes prostrées au vétérinaire qui n'a pas pris le risque de les attraper et les a endormies après qu'elles eurent été bloquées au fond de la cage par une couverture épaisse. Ses propos, quand il me les a rendues après stérilisation, étaient clairs:" la mère est nerveuse et agressive... mais la jeune, monsieur, c'est un vrai petit fauve!"<br /> J'ai vraiment eu, avec ces bêtes, l'expérience d'une rupture du lien de domesticité et d'une incapacité à apprendre les relations, les parcours, les usages qui jalonnent la cohabitation des gens et des chats. J'avais déjà par le passé joué pour des chatons un rôle nourricier et je me suis souvent demandé ce qui, cette fois, s'était mal passé.<br /> Cela dit, malgré l'importance que j'apporte à la relation avec le monde animal, je me demande si la transposition de ces observations sur les rats de laboratoire (ou des chatons nés chez moi!) à la question des apprentissages chez les êtres humains, pour tentante qu'elle soit, est très valide. Le rôle du langage, de l'inconscient, de l'inscription sociale des individus dans le groupe est, à mon avis, tel qu'il existe, entre les comportements animaux et les nôtres, de grandes différences. Leur exemple nous trouble, nous émeut, nous passionne, soit. Il nous renseigne sur eux, sur notre relation à eux... mais sur nous?<br /> JCH
Y
Il me parait important d'ajouter que si on ne peut attendre le résultat escompté d'une éducation, il n'est pas question de renoncer à en donner une, de manière assez pressante pour que l'enfant se structure, même en s'y opposant. <br /> On serait fautif de ne rien avoir donné, on ne le serait pas de sa mauvaise réception.
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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