P comme Perversion (dans notre société)
Si on résume le sens de ce mot savant à sa traduction triviale « mal tourné », on comprend mieux sa polysémie gênante, dans laquelle on se perd. « Mal tourné » est déjà un jugement, à partir d’une « normalité » définie au sein d’une société.
« mal tourné » peut décrire un destin : « il (ou elle) a mal tourné ». Ou une singularité psychique (« il (ou elle) a l’esprit mal tourné »), sans conséquence visible sur l’insertion dans la société.
On comprend aussi que les conduites entrant dans cet ensemble, dépendent du niveau de tolérance de la société, de la rigueur de ses normes. Ainsi, les homosexualités, masculine et féminine, ont été extraites de l’ensemble des perversions, dans « notre » société.
Il reste que les perversions conservent un lien avec la sexualité, sous la forme d’une vision particulière que le pervers a de son rapport à l’objet de son désir sexuel. La perversion sous toutes ses formes étant très majoritairement masculine, le choix d’objet et la conduite sexuelle devant être considérés comme pervers, et éventuellement délinquants, impliquent généralement un homme.
Toutes les perversions impliquent que seul le désir du pervers, constituant sa Loi Particulière, compte. La partenaire, parfois le partenaire, doivent l’accepter. Les relations perverses acceptées restent intimes. Le sadisme, le masochisme, les diverses variantes du fétichisme, comme le transvestisme, la nécessité d’accessoires, ou d’un scénario, peuvent constituer l’essentiel d’une relation de couple. Parfois, pendant longtemps. Les fantaisies que des couples utilisent, d’un commun accord, pour pimenter leurs relations, ne font pas une structure. Elles ne sont qu’un emprunt au catalogue des trouvailles humaines.
Dès que le pervers se dispense du consentement de son « objet », qu’il fait même de l’absence de consentement un élément de sa jouissance, on entre de plain-pied dans la délinquance ou le crime.
L’exhibitionnisme, le voyeurisme, les attouchements, entrent dans le cadre des attentats à la pudeur, entendue ici comme constitutive de la liberté individuelle.
L’inceste*, la pédophilie, le viol systématique sont criminels par leur négation de tout droit des victimes, même laissées en vie. Leur meurtre n’est qu’une garantie de leur silence. Les épargner, les abandonner à leur humiliation, à leur souffrance, est un supplément de jouissance.
Le mode de relation pervers peut aussi ne s’exprimer que sous la forme de fantasmes et s’accompagner d’impuissance. Il peut être repéré dans des relations sociales ordinaires, sans connotation sexuelle évidente, sous la forme d’une mise en échec systématique de ces relations : retards répétés, absences, « oublis », l’interposition d’un tiers**.
La relation perverse peut se schématiser de la manière suivante :
S1-à L.P.<--S2
Où la Loi Particulièredu pervers doit être l’objet commun, éventuellement par contrainte, des partenaires.
Pourquoi la perversion ? Pourquoi ce « mal tourné » ? Pendant longtemps, on s’est contenté de juger ce choix du mal, en l’attribuant à l’aptitude spécifique de l’homme au mal délibéré. Freud a soumis les perversions à l’outil psychanalytique, s’extrayant du jugement moral au profit de la recherche d’un sens inconscient. Le mécanisme qu’il propose à l’ensemble des perversions cataloguées est le « désaveu de la castration maternelle ». Le petit garçon, constatant que les filles, et sa mère en particulier, ne possèdent pas de pénis, n’en supporte pas l’idée, et remplace l’organe manquant par une représentation inconsciente et un signifiant de substitution, le fétiche, qui doit être présent dans sa relation avec l’autre. Si dans le vrai fétichisme et ses variantes plus élaborées***, cette proposition n’est pas difficile à accepter, elle est moins évidente dans les autres perversions, le sado-masochisme, l’exhibitionnisme, le voyeurisme. Ce qui caractérise ces dernières, c’est l’absence de partage, de symétrie dans une relation, qui est évitée.
Les perversions criminelles, l’inceste, le viol systématique, la pédophilie, poussent à l’extrême le mépris de l’objet, la négation de ses droits, auxquels s’ajoutent la peur, la douleur, et l’humiliation.
L’époque moderne semble avoir créé un déséquilibre, les « petites » perversions, comme l’exhibitionnisme et le voyeurisme, semblant faire moins parler d’elles, tandis que les affaires réellement criminelles, comme les violeurs en série, la pédophilie, sont en augmentation, médiatique, en tout cas. Le rôle de cette médiatisation serait tout le contraire d’une mise en garde, mais au contraire une invitation au mimétisme.
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Yves Leclercq, psychiatre, psychanalyste
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*Violence sexuelle aggravée par la position dominante de l’autorité parentale.
**Cette interposition d’un tiers ne se limite pas au « ménage à trois ». Elle peut être imposée lors de relations ordinaires.
***Le travestisme, le transvestisme, les accessoires divers, peuvent être ramenés au fétichisme.