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vive les sociétés modernes - abécédaire
9 juin 2010

P comme Perversion (dans notre société)

Si on résume le sens de ce mot savant à sa traduction triviale « mal tourné », on comprend mieux sa polysémie gênante, dans laquelle on se perd. « Mal tourné » est déjà un jugement, à partir d’une « normalité » définie au sein d’une société.

« mal tourné » peut décrire un destin : « il (ou elle) a mal tourné ». Ou une singularité psychique (« il (ou elle) a l’esprit mal tourné »), sans conséquence visible sur l’insertion dans la société.

On comprend aussi que les conduites entrant dans cet ensemble, dépendent du niveau de tolérance de la société, de la rigueur de ses normes. Ainsi, les homosexualités, masculine et féminine, ont été extraites de l’ensemble des perversions, dans « notre » société.

Il reste que les perversions conservent un lien avec la sexualité, sous la forme d’une vision particulière que le pervers a de son rapport à l’objet de son désir sexuel. La perversion sous toutes ses formes étant très majoritairement masculine, le choix d’objet et la conduite sexuelle devant être considérés comme pervers, et éventuellement délinquants, impliquent généralement un homme.

Toutes les perversions impliquent que seul le désir du pervers, constituant sa Loi Particulière, compte. La partenaire, parfois le partenaire, doivent l’accepter. Les relations perverses acceptées restent intimes. Le sadisme, le masochisme, les diverses variantes du fétichisme, comme le transvestisme, la nécessité d’accessoires, ou d’un scénario, peuvent constituer l’essentiel d’une relation de couple. Parfois, pendant longtemps. Les fantaisies que des couples utilisent, d’un commun accord, pour pimenter leurs relations, ne font pas une structure. Elles ne sont qu’un emprunt au catalogue des trouvailles humaines.

Dès que le pervers se dispense du consentement de son « objet », qu’il fait même de l’absence de consentement un élément de sa jouissance, on entre de plain-pied dans la délinquance ou le crime.

L’exhibitionnisme, le voyeurisme, les attouchements, entrent dans le cadre des attentats à la pudeur, entendue ici comme constitutive de la liberté individuelle.

L’inceste*, la pédophilie, le viol systématique sont criminels par leur négation de tout droit des victimes, même laissées en vie. Leur meurtre n’est qu’une garantie de leur silence. Les épargner, les abandonner à leur humiliation, à leur souffrance, est un supplément de jouissance.

Le mode de relation pervers peut aussi ne s’exprimer que sous la forme de fantasmes et s’accompagner d’impuissance. Il peut être repéré dans des relations sociales ordinaires, sans connotation sexuelle évidente, sous la forme d’une mise en échec systématique de ces relations : retards répétés, absences, « oublis », l’interposition d’un tiers**.

La relation perverse peut se schématiser de la manière suivante :

 S1-à L.P.<--S2

Où la Loi Particulièredu pervers doit être l’objet commun, éventuellement par contrainte, des partenaires.

Pourquoi la perversion ? Pourquoi ce « mal tourné » ? Pendant longtemps, on s’est contenté de juger ce choix du mal, en l’attribuant à l’aptitude spécifique de l’homme au mal délibéré. Freud a soumis les perversions à l’outil psychanalytique, s’extrayant du jugement moral au profit de la recherche d’un sens inconscient. Le mécanisme qu’il propose à l’ensemble des perversions cataloguées est le « désaveu de la castration maternelle ». Le petit garçon, constatant que les filles, et sa mère en particulier, ne possèdent pas de pénis, n’en supporte pas l’idée, et remplace l’organe manquant par une représentation inconsciente et un signifiant de substitution, le fétiche, qui doit être présent dans sa relation avec l’autre. Si dans le vrai fétichisme et ses variantes plus élaborées***, cette proposition n’est pas difficile à accepter, elle est moins évidente dans les autres perversions, le sado-masochisme, l’exhibitionnisme, le voyeurisme. Ce qui caractérise ces dernières, c’est l’absence de partage, de symétrie dans une relation, qui est évitée.

Les perversions criminelles, l’inceste, le viol systématique, la pédophilie, poussent à l’extrême le mépris de l’objet, la négation de ses droits, auxquels s’ajoutent la peur, la douleur, et l’humiliation.

L’époque moderne semble avoir créé un déséquilibre, les « petites » perversions, comme l’exhibitionnisme et le voyeurisme, semblant faire moins parler d’elles, tandis que les affaires réellement criminelles, comme les violeurs en série, la pédophilie, sont en augmentation, médiatique, en tout cas. Le rôle de cette médiatisation serait tout le contraire d’une mise en garde, mais au contraire une invitation au mimétisme.

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Yves Leclercq, psychiatre, psychanalyste

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*Violence sexuelle aggravée par la position dominante de l’autorité parentale.

**Cette interposition d’un tiers ne se limite pas au « ménage à trois ». Elle peut être imposée lors de relations ordinaires.

***Le travestisme, le transvestisme, les accessoires divers, peuvent être ramenés au fétichisme.

 

  

  

 

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Commentaires
S
A mon avis,les desirs sexuels sont comme la faim,ils recommencent tous les jours ? :-D <br /> Brimer le sexe, c'est brimer la libèrté des èsclaves .............................lol<br /> A mon avis, il doit etre "normal" que les déviants sexuels pèrsécutés ,rakétés,tués,par les exploiteurs du fric du sexe ,s'oraganisnet de plus en plus et devienent de plus en plus sèrieux,de plus en plus pèrformants et vicieux ?poil aux zieux .<br /> De petites insultes,on en passe a de petites bagarres, et de petits caillassages,en petites fusillades ,puis a de gros massacres ? :-D poil au doigt ;-) lol<br /> pour pincer un exhib, rien ne vaut peut etre une femme acompagné ,gné gné ,d'enfants ,ce qui pèrmet une trés lourde condamnation peut etre ,avec a la clef jolie un bob paquet de billets en domages et zintérets ? poil aux nez lol<br /> Sans rancune et Ha +
Y
J'ai mentionné la possibilité d'une impuissance chez certains pervers, que j'ai rencontrés, et, curieusement, ils ne mettaient pas ce problème au premier plan. Il y a chez tous une impuissance affective, puisque l'autre n'est pas l'objet de leur sentiment, mais leur partenaire, assujetti à leur scénario. Le violeur annule toute possibilité de désir et de plaisir de sa victime. Le père incestueux "récupère" son bien. Le pédophile s'empare de l'enfant, avec lequel il peut établir un lien pacifié, mais exclusif, comme deux affaires récentes l'ont montré. Il n'y a pas d'impuissance au sens médical du terme, mais une incapacité d'avoir une relation réciproque.<br /> La perversion, c'est l'impuissance de l'autre, avant tout, peut-on dire.
P
vous rappelez que la "perversion sous toutes ses formes est majoritairement masculine": ne peut-on la voir du même coup comme un moyen de surmonter une impuissance? cette conception de la perversion a-t-elle été développée?
S
Si les hommes dépendants d'un scénario pervers pour parvenir à la jouissance intéressent les psychanalystes, ils sont rarement demandeurs d'une cure qui viserait à les en débarrasser. Ce sont les conjoints qui en parlent.<br /> Quant à ceux qui débordent de l'intimité et du droit de l'autre, en contraignant leur partenaire à se soumettre à leur Loi Particulière, c'est la Loi tout court qui leur impose l'abord psychanalytique. S'il n'y a pas une demande authentique, c'est l'échec assuré.<br /> Après Freud, qui a effectivement créé une connaissance de la perversion, valable pour tous ses degrés, les psychanalystes ont déchanté quant à leur capacité de les "guérir". Les pervers, ou ne sont pas demandeurs, ou mettent en échec l'analyse par un procédé stéréotypé, reproduisant le schéma que j'ai décrit, la "mise sur la table" de leur théorie, visant à subjuguer le psychanalyste, à le convaincre de leur bonne raison. Les pervers sont les seuls patients auxquels il est nécessaire de notifier un jour, l'arrêt de la cure(quand il n'y mettent pas fin eux mêmes).<br /> Sans aller jusqu'à considérer les monstres comme des extra-terrestres, il est nécessaire aux psychanalystes, auxquels on délègue la capacité de soulager les sociétés de ce problème, de reconnaître leurs limites.
S
Puisque l'article d'Yves Leclercq invite à revenir sur la question de la psychanalyse, c'est l'occasion de dire que, grâce à Freud, nos sociétés ont peut-être un peu mieux admis que les pervers même les plus monstrueux ne sont pas des extra-terrestres, et qu'on peut - s'il le faut- comprendre et guérir. Ce regard justifierait à soi seul la psychanalyse, seule à créer un lieu dans lequel un pédophile cherchant à se libérer d'une obsession trouve une oreille neutre à laquelle il peut tout (se) dire.
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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