P comme Psychanalyse (pourquoi je ne suis pas anti-psychanalyse)
La désacralisation des grands penseurs est une entreprise saine, laïque. Elle est même l’une des conditions de leur apport aux progrès de la raison.
Cette désacralisation peut être fatale à certaines gloires, si la découverte d’un vice caché fait s’écrouler tout l’édifice.
Sinon, il faut examiner sans a priori ce qui reste quand la critique a fait son travail et que la vérité a été faite.
Ce bilan d’après examen suppose que la pensée soumise à examen ait d’abord été présentée dans ses principes fondamentaux.
Voici par exemple ce que je tiens pour les apports fondamentaux de la psychanalyse et à quelles conditions je me déclarerais éventuellement anti-freudien, ou même simplement dé-freudisé. (Je précise que je n'ai jamais tâté du divan).
- Si je ne pensais plus que la sexualité est une source normale du psychisme humain, à laquelle la culture doit bien imposer des barrières, et que le caractère inconscient du sentiment de culpabilité qui résulte de ces interdits doit pouvoir être levé, afin que le sujet examine son désir et décide de son destin en toute lucidité et autonomie.
Je sais que Freud n’a pas découvert le caractère transgressif des désirs, ni leur caractère inconscient. Platon le constate à propos des rêves, et Kant admire que la culture ait placé des interdits devant le désir sexuel.
Aucun des deux n’a cependant reconnu au moyen d’une théorie l’existence de ces désirs dans le psychisme de chacun. Si quelqu’un d’autre, qui ?
Je me déclarerais éventuellement anti-freudien, ou même simplement dé-freudisé si je ne pensais plus que certaines pensées venues du passé qui nous rendent mal à l’aise peuvent être revisitées et travaillées, transformées, ce qui nous donne une prise sur le passé dont nous sommes issus. Platon avait recommandé une certaine forme d’appropriation d’un savoir oublié, la littérature l’a pratiquée, mais personne d’autre que Freud n’a théorisé ce travail sur notre passé psychique. Si quelqu’un d’autre, qui ?
Je me déclarerais éventuellement anti-freudien, ou même simplement dé-freudisé si je ne pensais plus que les actions et les paroles humaines signifient autre chose que ce que leurs auteurs croient y mettre, et si je ne décodais plus les actes manqués ou les dénégations. Si quelqu’un d’autre que Freud a théorisé cet instrument d’interprétation, qui ?
Je reste en attendant reconnaissant à Freud d’avoir inscrit dans la théorie (je ne parle pas de science) la normalité de la sexualité que la morale réprouve, d’avoir inventé la possibilité de modifier notre passé, d’interpréter nos semblables, et surtout, d’avoir fait du sujet individuel le seul décideur légitime de ses pensées, de ses désirs et de ses choix de vie.
Je répète que je n’écris pas cela pour être bien vu lors de ma prochaine séance, puisque je ne me suis freudisé la tête que par absorption des retombées culturelles de la psychanalyse dans les années 70.
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André Sénik