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vive les sociétés modernes - abécédaire
25 novembre 2009

N comme la Nature (objet d’usage ou sujet d’amour ?)

« Fin du monde », « Sauver la planète », « La terre se venge », «  Préserver les espèces en voie de disparition », « Conserver la terre que nous habitons », « Responsabilité à l’égard des générations futures », « Changer nos modes de vie »...

Tout se passe comme si la modernité est mise en question, notamment dans les relations des sociétés humaines à la nature.

Deux livres déjà anciens me semblent pertinents pour orienter notre réflexion : Histoire de l’idée de nature (1969) de l’historien des sciences et  philosophe Robert Lenoble, La nature hors la loi, l’écologie à l’épreuve de la loi (1995) du professeur de philosophie du droit François Ost.

Le premier nous donne à penser sur les deux postures « naturelles » des êtres humains à l’égard de leur mode de vie.

Le second nous donne à penser sur la possibilité d’un dépassement « naturel » de ces deux comportements.

Robert Lenoble : « Il n’y a pas de nature en soi... la nature est une réalité qui, pensée, prend plusieurs sens, et qui, par là, oblige l’humanité à réfléchir sur elle-même... » Et c’est en fonction de deux désirs profonds du psychisme humain qu’hommes et femmes la pensent.

Lorsque les désordres du corps nous accablent, lorsque nous avons un sentiment douloureux d’impuissance..., lorsque nous avons le sentiment de dépendance envers l’environnement physique et biologique..., nous avons le désir d’en être partie intégrante, d’être parent des animaux, des plantes, du lichen, de la bactérie... et des plus lointaines étoiles. Alors la nature est sentie et pensée comme une puissance créatrice, une productrice de vie, une mère de toute chose. Nous voulons alors « suivre la nature ». Nous sommes alors passionnés de nature...

Lorsque c’est notre puissance sur la nature qui s’impose à nous, alors notre connaissance nous présente un autre image : objet sans dessein ni finalité, sans mystère, sans vie, elle est offerte à la manipulation, à l’instrumentalisation, elle est un champ de manoeuvre pour tous ceux qui ont le désir non seulement de s’en rendre « comme maître et possesseur » en intelligence, mais aussi pour tout un chacun qui veut s’en rendre propriétaire. Nous devenons alors maîtres de la nature.

François Ost : Si nous considérons la nature comme ce qui nous environne, alors elle devient « objet d’usage ». C’est là la représentation de la modernité rationaliste, productiviste et instrumentale. C’est elle qui fait de la nature un simple réservoir de ressources, voire un dépotoir de déchets. C’est elle qui construit une surnature faisant régner l’artifice : l’ingénierie génétique produit du vivant sur mesure au laboratoire, l’industrie de la consommation assimile l’homme à l’ordinateur, l’agroalimentaire fabrique des agrumes artificiels...

Si nous pensons la nature comme milieu ou « maison » (oikos) habitée par nous, alors nous la pensons comme la vie même, ce qui anime tout ce qui existe, ce que nous devons respecter comme un personne, un sujet qui a des droits, avec lequel nous devons faire alliance ; alors elle devient « sujet d’amour ». Nous voulons faire retour à la Nature, notre mère que nous avons jusqu’ici négligée, voire souillée, violée, polluée. C’est la représentation des « peuples premiers », ancienne, magique et... romantique.

 

Crise environnementale ? Ou écologique ?

En tous cas si « crise » signifie, selon l’étymologie, en latin médical, « changement subi et généralement décisif en bien ou en mal » et, en grec, « décision », s’il y a crise, c’est en termes de changement de notre relation avec la nature et nous voici dans le devoir d’agir imposé par l’urgence : quel projet avons-nous pour nous avec la nature ?


Edith Deléage-Perstunski

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Commentaires
Y
L'homme moderne, c'est à dire, nous, a depuis toujours fait de la nature un objet d'usage. Simplement, il n'avait pas d'outils assez puissants pour la détériorer gravement. Là où il semble avoir "réussi" à stériliser la terre, comme en Amérique centrale, c'est parce que les terres tropicales non volcaniques s'épuisent très vite. Et le climat alternant pluie et sécheresse ne permet pas une reconstitution rapide de la couverture végétale et de l'humus. Le phénomène de latéritisation contribue à stériliser le sol dénudé. Les régions à sol volcaniques sont avantagées: la dégradation des sols libère des substances fertiles.<br /> Quant aux terres équatoriales humides, dès qu'elles ne sont plus cultivées, elle se recouvrent d'herbes hautes et de jeunes arbres, qui, en quelques années, reconstituent la forêt*.<br /> Les engins fournis par l'industrie moderne démultiplient la vitesse et l'importance du défrichement des zones conquises par l'homme. Nous n'avons pas procédé différemment pour conquérir nos terres cultivables, il y a quelques siècles, mais à main d'homme.<br /> *Les photos qui montrent des forêts dégradées sont toujours prises à l'horizontale, montrent des plaques dépourvues d'arbres, ou des brûlis récents. Elles ne donnent aucune idée de la forêt vue du ciel, et c'est voulu.
P
On associe souvent la nature comme "sujet d'amour" et la nature comme "objet d'usage" respectivement aux sociétés traditionnelles et aux sociétés modernes. Si j'en crois Jared Diamond que je lis actuellement, ces associations sont discutables, notamment la première. Ainsi à propos de l'attitude des "peuples autochtones" à l'égard de la nature, il écrit: "Dans bon nombre de cas, pour ne pas dire la plupart d'entre eux, les historiens et les archéologues ont découvert les preuves irréfutables que cette hypothèse (celle d'un écologisme proche du jardin d'Eden) est erronée". Par exemple, les Hawaïens autochtones et Maoris ont exterminé la moitié des espèces d'oiseaux à Hawaï et en Nouvelle-Zélande et les Indiens Anasazis sont historiquement responsables de la déforestation d'une grande partie du sud-ouest américain... En réalité, selon Diamond, les peuples indigènes anciens ne sont pas fondamentalement différents des peuples du monde industrialisé.(Jared Diamond, "Collapse")
Y
Dans l'état actuel de l'humanité, on peut dire en effet à propos d'un espace, que "dès que l'homme y a part, il n'y a plus de nature". Mais, si on se replace dans un passé lointain, à partir du néolithique, en tout cas, les conditions géographiques, relief, climat, hydrographie, ont, sinon déterminé, au moins contraint les modes de vie des hommes qui s'implantaient. Il n'était plus indifférent de se trouver dans une zone de plaine ou de montagne, sur une terre bien arrosée ou une steppe froide, ou sèche, une zone tropicale ou une zone équatoriale.<br /> À partir d'un certain niveau technologique, l'homme s'est davantage affranchi des contraintes géographiques, mais en y mettant un prix, financier ET moral (esclavage), très lourd.<br /> La présence de l'homme dans les zones polaires n'a jamais rien eu de "naturel", ni de spontané.<br /> Nous avons fait mieux depuis, l'espace, péri-terrestre, pour le moment.
R
Une des tendances lourdes de la géographie actuelle, du moins de ce que j'en connais, est dans la lignée des géographes "culturels" de nier toute dimension naturelle à l'espace. Dès que l'homme y a part, il n'y a plus de nature. Ainsi on ne doit aucunement parler d'espace naturel pour les parcs préservés de l'action des sociétés humaines précisément par l'action (politique) humaine ! Cette attitude a eu du bon, notamment face à une géographie trop déterministe, mais il me semble qu'aujourd'hui nous sommes encore dans les excès du revirement de la pensée. Au point que nous enseignons aux élèves qu'il n'y aucun déterminisme naturel, même dans les cas les plus extrêmes (il y a ainsi des bases scientifiques en Arctique, donc si l'homme le veut, il peut y vivre !).<br /> <br /> Autre tendance, mais plus discrète car politiquement incorrecte, la tentation de considérer les peuples primitifs comme plus proches de la nature, voire dans l'état de nature (comme pour les civilisations africaines jugées par les missionnaires et les sociétés de géographie au XIXe siècle). De telles attitudes intellectuelles peuvent par effet pervers pousser certains à refuser toute modernisation de ces sociétés, et les contenir à un état faussement traditionnel, parfois par devers elles au nom de la préservation de leur identité. Je renvoie à la remarque de Pierre sur les accouchements, mais il y en aurait bien d'autres. Qu'on le veuille ou non, la culture est vivante avant que d'être un musée. Ceci ne signifie aucunement que je me range du côté de ceux qui feraient feu de tout bois pour, au nom de la loi du fric, détruire des patrimoines qu'il faut malgré tout conserver. Lorsque j'écoute le dernier disque "Chamber Music" de Ballaké Sissoko et Vincent Ségal, je n'ai aucunement envie de pleurer de tristesse en entendant les accords de kora se mêler à ceux du violoncelle. Facile comme argument ? Je n'en suis pas si sûr. La musique me semble précisément un espace de mélange des cultures comme le lieu d'une tension permanente entre la tradition et la modernité.<br /> <br /> RL
M
la nature comme maison, pourquoi pas? Mais alors comme maison à construire.
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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