N comme Nihilisme (et idéalisme)
On oppose souvent le nihilisme et l’idéalisme. Et c’est compréhensible : le nihilisme[1] est négation de toute valeur (rien ne vaut plus que quoi que ce soit d’autre et ainsi rien ne vaut), alors que l’idéalisme au contraire peut être défini comme l’affirmation d’un certain nombre de valeurs fondamentales et absolues, inconditionnelles et indiscutables.
Il reste que cette opposition, elle, n’a rien d’absolu et que l’idéalisme peut conduire à une forme de nihilisme.
C’est notamment le cas lorsque les valeurs fondamentales affirmées servent moins à orienter les efforts humains qu’à juger les réalisations humaines, et donc à les discréditer : comment pourrait-il en être autrement ? A l’aune de la justice ou de l’égalité ou de la liberté absolues, les réalisations humaines, par définition relatives, ne peuvent apparaître que dérisoires. Utilisé de cette façon, l’idéal est surtout un moyen de disqualifier le réel.
Cette disqualification peut d’ailleurs fort bien ne pas rester théorique. Des peuples , sous le poids de certains idéaux, peuvent finir par méconnaître la valeur, au moins relative, de ce qu’ils ont réalisé, par penser, contre l’évidence parfois, que « jamais les choses n’ont été pires » et par ne plus croire en eux-mêmes. Ce fut par exemple, si on en croit Nietzsche, l’un des effets de la diffusion de l’idéal chrétien dans l’empire romain : « On se vengea de Rome (et de ses « constructions éternelles ») en introduisant un avenir dans lequel Rome ne supporterait pas la comparaison »[2].
Ce qui n’aida sans doute pas les Romains à affronter les problèmes auxquels ils étaient confrontés.
Le modèle des sociétés modernes et imparfaites mérite d’être défendu à Paris comme il l’a été récemment à Téhéran lors des manifestations pour des élections libres.
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Pierre Gautier
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[1] Etymologiquement le mot est formé à partir du latin « nihil », rien. A l’article « Nihilisme » du Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale (PUF), Bertrand Saint-Sernin précise toutefois : « Le terme français se décompose en deux racines : hilum, le hile, et ne, la particule négative. En botanique, dit Littré, le mot désigne « le point d’attache par où la graine adhère au funicule, et en reçoit les sucs nourriciers ». ; en anatomie « le point généralement déprimé où un viscère parenchymateux reçoit ses vaisseaux. Hile du foie, du rein, du poumon, du placenta… » (…) l’image associée à nihilisme est celle d’un fil qui se rompt, d’un être dont les attaches se défont et qui, de ce fait, se trouve libre ou à la dérive ».
[2] Nietzsche : Aurore (I,§ 71)