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vive les sociétés modernes - abécédaire
1 octobre 2009

N comme Nihilisme (et idéalisme)

On oppose souvent le nihilisme et l’idéalisme. Et c’est compréhensible : le nihilisme[1] est négation de toute valeur (rien ne vaut plus que quoi que ce soit d’autre et ainsi rien ne vaut), alors que l’idéalisme au contraire peut être défini comme l’affirmation d’un certain nombre de valeurs fondamentales et absolues, inconditionnelles et indiscutables.

Il reste que cette opposition, elle, n’a rien d’absolu et que l’idéalisme peut conduire à une forme de nihilisme.

C’est notamment le cas lorsque les valeurs fondamentales affirmées servent moins à orienter les efforts humains qu’à juger les réalisations humaines, et donc à les discréditer : comment pourrait-il en être autrement ? A l’aune de la justice ou de l’égalité ou de la liberté absolues, les réalisations humaines, par définition relatives, ne peuvent apparaître que dérisoires. Utilisé de cette façon, l’idéal est surtout un moyen de disqualifier le réel.

Cette disqualification peut d’ailleurs fort bien ne pas rester théorique. Des peuples , sous le poids de certains idéaux, peuvent finir par méconnaître la valeur, au moins relative, de ce qu’ils ont réalisé, par penser, contre l’évidence parfois, que « jamais les choses n’ont été pires » et par ne plus croire en eux-mêmes. Ce fut par exemple, si on en croit Nietzsche, l’un des effets de la diffusion de l’idéal chrétien dans l’empire romain : « On se vengea de Rome (et de ses « constructions éternelles ») en introduisant un avenir dans lequel Rome ne supporterait pas la comparaison »[2].

Ce qui n’aida sans doute pas les Romains à affronter les problèmes auxquels ils étaient confrontés.

Le modèle des sociétés modernes et imparfaites mérite d’être défendu à Paris comme il l’a été récemment à Téhéran lors des manifestations pour des élections libres.

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Pierre Gautier

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[1] Etymologiquement le mot est formé à partir du latin « nihil », rien. A l’article « Nihilisme » du Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale (PUF), Bertrand Saint-Sernin précise toutefois : « Le terme français se décompose en deux racines : hilum, le hile, et ne, la particule négative. En botanique, dit Littré, le mot désigne « le point d’attache par où la graine adhère au funicule, et en reçoit les sucs nourriciers ». ; en anatomie « le point  généralement déprimé où un viscère parenchymateux reçoit ses vaisseaux. Hile du foie, du rein, du poumon, du placenta… » (…) l’image associée à nihilisme est celle d’un fil qui se rompt, d’un être dont les attaches se défont et qui, de ce fait, se trouve libre ou à la dérive ».

[2] Nietzsche : Aurore (I,§ 71)


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Commentaires
R
Question profonde qui dépasse ma capacité à répondre brièvement et rapidement (sans recherches d'appoint, ce que je n'ai pas le temps de faire en ce moment).<br /> Il est clair qu'il est pertinent de séparer les deux (empire romain et valeurs romaines), d'autant que l'Empire romain a fortement évolué au fil des siècles. L'homme romain du temps d'Auguste et des premiers empereurs aurait été fort surpris de constater aux IVe et Ve que les empereurs persécutaient les dieux traditionnels, sans la crainte d'un quelconque courroux ; mais sûrement aurait-il été tout aussi surpris de voir que l'armée romaine était devenue une armée largement germanisée et "barbare". Le renversement des valeurs n'est jamais complet ni total : les barbares se sont intégrés dans l'Empire, ont adopté ses valeurs (et d'ailleurs les premiers rois barbares reconnaissent bien l'autorité théorique de l'empereur d'Orient) de même que les chrétiens ont adopté des valeurs proprement romaines en accédant au pouvoir politique (ainsi en est-il de leur réflexion sur la guerre) puis ensuite germaines. Mais il est clair que le christianisme a largement modifié, au sens anthropologique, le Romain. L'a-t-il pour autant fait disparaître ? Je ne sais pas.<br /> RL
P
Le christianisme n'a certes pas mis un terme à l'empire romain (notamment en Orient): mais à Rome? au Romain?
J
On savait déjà que, dans leur lutte contre le pouvoir du tsar, des nihilistes étaient devenus terroristes. On sait aussi que pour les terroristes, il n'y a rien qui vaille... du moins rien autant que la cause pour laquelle ils donnent la mort, et meurent éventuellement aussi. Sont-ils dés lors nihilistes ou porteurs d'une adhésion à des valeurs à leurs yeux supérieures?<br /> Mais voilà que PG nous amène à envisager que derrière l'idéaliste puisse s'avancer un nihiliste qui s'ignore! Spéculation paradoxale? Ou considération fondée sur les deux faces d'une même idéologie du mépris pour le réel?<br /> L'extrémisme écologique dont parle Sceptique fait peut-être partie de cette Eglise du Pessimisme occidental. Et le titre provocateur d'Yves Paccalet (Arthaud 2006)"L'humanité disparaîtra, bon débarras!" inciterait à le penser. <br /> Mais comme le même a, depuis, écrit "Sortie de secours" (Arthaud 2007) et "Le grand roman de la vie" (Lattès 2009) on peut considérer que la dénonciation des erreurs et dangers sait aussi s'accompagner du souci des remèdes et de la passion pour le monde réel. Il faut dire qu' un auteur qui invoque Démocrite, Epicure et surtout Lucrèce ne peut pas être totalement désespérant!
S
Cette description fait penser à ce qu'on rassemble sous le nom de conspirationisme, sorte de paranoïa floue, qui trouve de nouveaux complots tous les ans, chaque nouveau chassant le précédent. <br /> L'extrémisme écologiste fait le procès permanent de l'homme, accumulant les arguments, et fait apparaître sa disparition comme la solution des malheurs de la planète et du monde vivant non humain.
P
je ne veux pas simplement parler des "idéalistes radicaux" et de leurs méthodes parfois violentes, que vous évoquez; je pense surtout à ceux qui au nom de la cité parfaite diffusent le dégoût pour les cités réelles, un peu à la manière de Chesterton dans "Le nommé Jeudi" où un certain Docteur Bull s’écrie : « Nous ne sommes pas de bouffons ; nous sommes des hommes qui luttons dans des conditions désespérées contre une vaste conspiration. Une société secrète d’anarchistes nous poursuit comme des lapins. Il ne s’agit pas de ces pauvres fous qui, poussés par la philosophie allemande ou par la faim, jettent de temps en temps une bombe ; il s’agit d’une riche, fanatique et puissante Eglise : l’Eglise du Pessimisme occidental, qui s’est proposé comme une tâche sacrée la destruction de l’humanité comme d’une vermine. »
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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