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vive les sociétés modernes - abécédaire
21 mai 2009

M comme Ménécée (lettre d'Epicure à son ami).

                           Un texte ancien, pour affronter le futur.

Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, celle-ci est capable d'actions dont les effets dangereux sont de dimension cosmique : effet de serre, atteinte à la couche d'ozone, pluies acides, déforestation tropicale, stockage de déchets nucléaires, menace de disparition de maintes espèces vivantes...

La croissance économique des pays industriellement développés ou émergents, et celle du nombre d'habitants que porte la planète, font que non seulement une catastrophe écologique est probable, mais que celle-ci risque d'être accompagnée de tensions géopolitiques de plus en plus violentes pour l'appropriation des ressources naturelles .Et a fortiori en temps de crise du système comme celle que nous vivons aujourd'hui.

La lettre d'Epicure à son ami Ménécée est une invite à chercher un art de vivre, une éthique pour dépasser le malaise de notre civilisation technologique : passer d'une façon de vivre à une autre.

Certes il s'agit d'un art de vivre individuel et non pas de propositions politiques de réforme ni de réorganisation économique de la société ...

C'est un art de vivre « écologique » .Retenons ses 5 règles:

« ne pas craindre les dieux » mais « vivre comme des dieux parmi les hommes »: développer chez chacun le goût de la non-dépendance et la volonté de maîtriser sa vie.

«  ne pas craindre la mort »: vouloir que nos actions quotidiennes contribuent à augmenter le plaisir de vivre.

«  le plaisir de vivre est le critère du bien  »: examiner chaque question (comment se nourrir?

 habiter? quelles études? quel travail? ) non du point de vue de l'avantage économique mais de celui de l'épanouissement de soi. .

« savoir hiérarchiser les besoins »: que notre consommation, nos actions et nos relations aux choses soient davantage déterminés par nos goûts que par la publicité. Et avons-nous besoin de toujours plus?

« la vie de plaisir se trouve dans la tempérance »: la préoccupation des limites dans la recherche des plaisirs aide à bien vivre.

Certes l'éthique épicurienne ne résout pas le problème tragique des inégalités parmi les hommes, et celui de l'augmentation accélérée des risques de la vie sur la terre que nous habitons.

Mais,comme l'écrit J.M.G.Le Clézio dans sa préface à l'Almanach du Comté des sables -le texte fondateur de l'écologisme, écrit par Aldo Léopold - « le sens révolutionnaire de l'Almanach, ... est simple et clair : que dans notre monde d'abondance de biens et d'appauvrissement de la vie , nous ne pouvons plus ignorer la valeur de l'échange et la nécessité de l'appartenance ... ce qui sera le souci du siècle à venir »

Relisons ce texte ancien (310 avant J.C.)!!Parce que....le sens révolutionnaire de l'éthique épicurienne c'est que dans notre société où règnent la loi du profit et les souffrances et les crises , nous ne pouvons plus ignorer la valeur du partage et la nécessité de la solidarité cosmique.

Sauf à penser : après moi le déluge!

Edith Deléage-Perstunski (philosophe)

.

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Commentaires
A
Bonjour,<br /> Une proposition de lien<br /> http://www.editions-ere.net/projet285<br /> ou<br /> http://astouric.icioula.org<br /> Cordialement
E
D'un texte ,plusieurs lectures sont toujours possibles, a fortiori d'un texte grec ancien,de culture ,de situation ,de langue distantes d'un lecteur contemporain...<br /> Cette lettre le plus souvent lue comme une invitation à l'hédonisme égocentré( avec ses nombreuses variantes),traite de la question "Qu'est-ce que bien vivre?"<br /> Cette question concerne et chacun ,et nous tous,et a fortiori à notre époque, dans une situation de catastrophe "probable"(Jean-Pierre DUPUY),à la fois économique, sociale et écologique qui menace même le repli égocentrique.<br /> Le développement des connaissances en écologie scientifique, la montée en puissance de la sensibilité écologiste(avec ses nombreuses variantes) sont des éléments de réflexion actuellement incontournables.<br /> Essayer de penser la mutation aujourd'hui sans doute nécessaire du mode de vie productiviste et consumèriste, (modèle dominant),sans que cela implique de le regretter, ni de le stigmatiser...<br /> La lecture de 2 ouvrages contemporains, celui de Hans JONAS "Le Principe Responsabilité; une éthique pour la civilisation technologique", et celui de Jean-Pierre Dupuy "Le Catastrophisme éclairé" m'ont convaincue de la pertinence d'une relecture "écologiste" de l'éthique épicurienne.
J
La lecture du passage de Lucrèce cité par Pierre m'a irréstiblement fait penser à un poème de Voltaire. Il est le plus souvent, dans les anthologies, présenté sous forme tronquée, et assorti de notes diverses. J'espère que vous aurez plaisir à le retrouver sous cette forme intégrale. Quant à savoir s'il est de veine épicurienne, si Voltaire a toujours pensé de telle sorte et si nous l'approuvons aujourd'hui...on pourrait en débattre longtemps!<br /> Bonne lecture!<br /> <br /> Le Mondain<br /> <br /> Regrettera qui veut le bon vieux temps,<br /> Et l'âge d'or, et le règne d'Astrée,<br /> Et les beaux jours de Saturne et de Rhée,<br /> Et le jardin de nos premiers parents;<br /> Moi je rends grâce à la nature sage<br /> Qui, pour mon bien, m'a fait naître en cet âge<br /> Tant décrié par nos tristes frondeurs:<br /> Ce temps profane est tout fait pour mes moeurs.<br /> J'aime le luxe, et même la mollesse,<br /> Tous les plaisirs, les arts de toute espèce,<br /> La propreté, le goût, les ornements:<br /> Tout honnête homme a de tels sentiments.<br /> Il est bien doux pour mon coeur très immonde<br /> De voir ici l'abondance à la ronde,<br /> Mère des arts et des heureux travaux,<br /> Nous apporter, de sa source féconde,<br /> Et des besoins et des plaisirs nouveaux.<br /> L'or de la terre et les trésors de l'onde,<br /> Leurs habitants et les peuples de l'air,<br /> Tout sert au luxe, aux plaisirs de ce monde.<br /> O le bon temps que ce siècle de fer!<br /> Le superflu, chose très nécessaire,<br /> A réuni l'un et l'autre hémisphère.<br /> Voyez-vous pas ces agiles vaisseaux<br /> Qui, du Texel, de Londres, de Bordeaux,<br /> S'en vont chercher, par un heureux échange,<br /> De nouveaux biens, nés aux sources du Gange,<br /> Tandis qu'au loin, vainqueurs des musulmans,<br /> Nos vins de France enivrent les sultans?<br /> Quand la nature était dans son enfance,<br /> Nos bons aïeux vivaient dans l'ignorance,<br /> Ne connaissant ni le tien ni le mien.<br /> Qu'auraient-ils pu connaître ? ils n'avaient rien.<br /> Ils étaient nus: et c'est chose très claire<br /> Que qui n'a rien n'a nul partage à faire.<br /> Sobres étaient. Ah! je le crois encor:<br /> Martialo n'est point du siècle d'or.<br /> D'un bon vin frais ou la mousse ou la sève<br /> Ne gratta point le triste gosier d'Eve;<br /> La soie et l'or ne brillaient point chez eux.<br /> Admirez-vous pour cela nos aïeux?<br /> Il leur manquait l'industrie et l'aisance:<br /> Est-ce vertu ? c'était pure ignorance.<br /> Quel idiot, s'il avait eu pour lors<br /> Quelque bon lit, aurait couché dehors?<br /> Mon cher Adam, mon gourmand, mon bon père,<br /> Que faisais-tu dans les jardins d'Eden?<br /> Travaillais-tu pour ce sot genre humain?<br /> Caressais-tu madame Eve ma mère?<br /> Avouez-moi que vous aviez tous deux<br /> Les ongles longs, un peu noirs et crasseux,<br /> La chevelure un peu mal ordonnée,<br /> Le teint bruni, la peau bise et tannée.<br /> Sans propreté l'amour le plus heureux<br /> N'est plus amour, c'est un besoin honteux.<br /> Bientôt lassés de leur belle aventure,<br /> Dessous un chêne ils soupent galamment<br /> Avec de l'eau, du millet, et du gland;<br /> Le repas fait, ils dorment sur la dure:<br /> Voilà l'état de la pure nature.<br /> Or maintenant voulez-vous, mes amis,<br /> Savoir un peu, dans nos jours tant maudits,<br /> Soit à Paris, soit dans Londre, ou dans Rome,<br /> Quel est le train des jours d'un honnête homme?<br /> Entrez chez lui: la foule des beaux-arts,<br /> Enfants du goût, se montre à vos regards.<br /> De mille mains l'éclatante industrie<br /> De ces dehors orna la symétrie.<br /> L'heureux pinceau, le superbe dessin<br /> Du doux Corrège et du savant Poussin<br /> Sont encadrés dans l'or d'une bordure;<br /> C'est Bouchardon qui fit cette figure,<br /> Et cet argent fut poli par Germain.<br /> Des Gobelins l'aiguille et la teinture<br /> Dans ces tapis surpassent la peinture.<br /> Tous ces objets sont vingt fois répétés<br /> Dans des trumeaux tout brillants de clartés.<br /> De ce salon je vois par la fenêtre,<br /> Dans des jardins, des myrtes en berceaux;<br /> Je vois jaillir les bondissantes eaux.<br /> Mais du logis j'entends sortir le maître:<br /> Un char commode, avec grâces orné,<br /> Par deux chevaux rapidement traîné,<br /> Paraît aux yeux une maison roulante,<br /> Moitié dorée, et moitié transparente:<br /> Nonchalamment je l'y vois promené;<br /> De deux ressorts la liante souplesse<br /> Sur le pavé le porte avec mollesse<br /> Il court au bain: les parfums les plus doux<br /> Rendent sa peau plus fraîche et plus polie.<br /> Le plaisir presse; il vole au rendez-vous<br /> Chez Camargo, chez Gaussin, chez Julie;<br /> Il est comblé d'amour et de faveurs.<br /> Il faut se rendre à ce palais magique<br /> Où les beaux vers, la danse, la musique,<br /> L'art de tromper les yeux par les couleurs,<br /> L'art plus heureux de séduire les coeurs,<br /> De cent plaisirs font un plaisir unique.<br /> Il va siffler quelque opéra nouveau,<br /> Ou, malgré lui, court admirer Rameau.<br /> Allons souper. Que ces brillants services,<br /> Que ces ragoûts ont pour moi de délices!<br /> Qu'un cuisinier est un mortel divin!<br /> Chloris, Églé, me versent de leur main<br /> D'un vin d'Aï dont la mousse pressée,<br /> De la bouteille avec force élancée,<br /> Comme un éclair fait voler le bouchon;<br /> Il part, on rit; il frappe le plafond.<br /> De ce vin frais l'écume pétillante<br /> De nos Français est l'image brillante.<br /> Le lendemain donne d'autres désirs,<br /> D'autres soupers, et de nouveaux plaisirs.<br /> Or maintenant, monsieur du Télémaque,<br /> Vantez-nous bien votre petite Ithaque,<br /> Votre Salente, et vos murs malheureux,<br /> Où vos Crétois, tristement vertueux,<br /> Pauvres d'effet, et riches d'abstinence,<br /> Manquent de tout pour avoir l'abondance:<br /> J'admire fort votre style flatteur,<br /> Et votre prose, encor qu'un peu traînante;<br /> Mais, mon ami, je consens de grand coeur<br /> D'être fessé dans vos murs de Salente,<br /> Si je vais là pour chercher mon bonheur.<br /> Et vous, jardin de ce premier bonhomme,<br /> Jardin fameux par le diable et la pomme,<br /> C'est bien en vain que, par l'orgueil séduits,<br /> Huet, Calmet, dans leur savante audace,<br /> Du paradis ont recherché la place:<br /> Le paradis terrestre est où je suis
P
Peut-être nous faudra-t-il un jour, très proche éventuellement, pour des raisons écologiques ou économiques, revenir à un mode de vie plus simple, centré sur les seuls "désirs naturels et nécessaires" (selon l'expression d'Epicure dans la lettre à Ménécée), et ainsi par exemple abandonner la voiture individuelle ou les voyages en avion; et si c'est nécessaire nous le ferons. Mais devrons-nous pour autant considérer que la vie confortable dont avons joui auparavant n'était composée que de plaisirs frelatés?
P
Il ne faudrait pas croire que les épicuriens aient été les ennemis du progrès (même si la question de l'ampleur de leur adhésion à celui-ci demeure discutée). En témoignent ces vers sur lesquels se clôt le livre V du "Natura" de Lucrèce (dont chacun s'accorde à reconnaître la fidélité à l'enseignement d'Epicure):<br /> <br /> " Navigation, culture des champs, architecture, lois, armes, routes, vêtements et toutes les autres inventions de ce genre, et celles mêmes qui donnent à la vie du prix et des plaisirs délicats, poèmes, peintures, statues parfaites, tout cela a été le fruit du besoin, de l'effort et de l'expérience ; l'esprit l'a peu à peu enseigné aux hommes dans une lente marche du progrès. C'est ainsi que le temps donne naissance pas à pas aux différentes découvertes qu'ensuite l'industrie humaine porte en pleine lumière. Les hommes voyaient en effet les arts éclairés d'âge en âge par des génies nouveaux, puis atteindre un jour leur plus haute perfection." ("De Rerum Natura", livre V,vers 1440-1455)
vive les sociétés modernes - abécédaire
  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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