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vive les sociétés modernes - abécédaire
4 avril 2009

M comme Marchandisation (abomination des sociétés modernes?)

Le mot est en lui-même une accusation. Il stigmatise la transformation et la dégradation en valeur marchande d’un bien  qui lui est irréductible pour quelque raison que ce soit.

C’est un mot savant qui donne une force neuve aux thèmes d’une ancienne complainte.

« De plus en plus, tout s’achète », même ce qui ne devrait pas. L’amour d’une femme par exemple, ou la santé. 

« De plus en plus, tout est réduit à sa valeur marchande », y compris ce qui est d’une autre valeur. Le prix d’un tableau, par exemple

« De plus en plus, tout est produit en vue du profit, et non en vue d’autres besoins plus réels et plus prioritaires, ni en vue des besoins des gens non solvables. » Par exemple les médicaments produits par l’industrie pharmaceutique. 

Bref, tout s’évaluerait et se produirait de plus en plus à l‘aune de la seule valeur marchande, et cela forcément au détriment d’autres évaluations et d’autres formes de relations entre humains.

Cette litanie n’est pas d’hier, et elle ne date pas des sociétés modernes. Tout chrétien sait que Jésus chasse du Temple les marchands dont l’activité intéressée lui semble profaner ce lieu saint. Tout esprit teinté de marxisme sait que Marx dénonce le fait que la valeur d’échange l’emporte sur la valeur d’usage, qu’il dénonce « le fétichisme de la marchandise’ , quel que soit le sens de cette expression, qu’il aime citer les tirades de Shakespeare contre le pouvoir de l’argent. Dénonçant le rôle des Juifs dans le règne généralisé de l’argent, il écrit : « C’est en ce sens que Thomas Münzer trouve intolérable «  que toute créature ait été proclamée propriété, les poissons dans l’eau, les oiseaux dans le ciel, les plantes sur la terre. »

« Le monde n’est pas une marchandise ». Ce slogan rassembleur de toutes les variétés de l’anti-mondialisation (devenue entre temps l’altermondialisme, et tout récemment " l’anti-capitalisme") ),  renoue avec cette inspiration.

Or, qu’est-ce que la marchandisation d’un bien ? Sa mise sur le marché de l’offre et de la demande, son entrée dans la bourse des échanges, où sa valeur d’échange est fixée d’une façon impersonnelle : indépendamment de toute autre considération, indépendamment des jugements de valeur moraux ou esthétiques, la valeur marchande d’un bien à un moment donné c‘est ce que ceux qui le désirent sont prêts à donner en échange pour l’acquérir. En elle-même la valeur marchande ne mesure rien d’autre. 

Aucun jugement de valeur émanant d’une autorité quelconque ne vient s’interposer entre l’acheteur et le vendeur. Ils sont seuls juges de la valeur d’échange de ce qu’ils échangent.

C’est ce qui explique que la valeur marchande soit vilipendée par des conceptions religieuses et philosophiques qui placent leurs idéaux au-dessus de la liberté individuelle. La marchandisation est en effet l’application des droits de l’homme individuels à l’économie. Elle marque la fin des privilèges de naissance qui réservaient certains biens à certaines catégories. En définitive, dans l’acquisition d’un bien, l’argent seul compte.

On sait depuis Aristote qu’il fallait bien inventer une unité de mesure commune à des biens hétérogènes, pour pouvoir les échanger. Une fois que cette unité de mesure pour l’échange est mise en place, qui est le mieux à même de fixer la valeur d’un bien que ceux qui sont intéressés à l’échanger ? Tel est le credo du libéralisme.

Il est par définition évident que rien hors la monnaie d’échange ne se limite à sa valeur marchande. Il n’est pas incompatible de fixer le coût, et la valeur d’échange d’un médicament ou d’une thérapie, et de les faire offrir au rabais ou gratis par de bienveillants États philanthropes. La vérité est que puisque tout échange suppose qu’un prix soit fixé, il appartient à ceux qui offrent et à ceux qui demandent ce bien d’équilibrer leurs propositions.

Le reste exprime un mépris aristocratique ou moralisateur envers l’évaluation des biens par les individus eux-mêmes. Dénoncer la marchandisation, c’est refuser les libres échanges entre libres individus. Au profit de quoi d’autre ? C’est à l’altermondialisme de le préciser…

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André Senik

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Commentaires
S
Ce slogan est juste, s'il vaut contre l'esclavage, contre la vente d'organes dont la perte est irréparable, ou contre la mise en vente de droits qui sont inaliénables. Ce slogan est contestable à mes yeux s'il confond travail payé et esclavage. Je suggère de corriger ce genre de slogan confusionniste en adoptant la formulation de Kant : ne jamais traiter autrui SEULEMENT comme un moyen mais toujours AUSSI comme une fin.
N
je voudrais chercher des informations:que pensez-vous de ce slogan:"l homme n est pas une marchandise
P
je me souviens qu'interrogée sur la question des mères-porteuses, Françoise Dolto, avait répondu qu'en tout état de cause cela ne pouvait pas être envisagé sur la base du don; qu'une véritable rémunération était psychiquement indispensable...<br /> (elle ne contestait pas pour autant le don du sang)
S
L'argent est le signe et le moyen du pouvoir sur les choses, et il est le plus neutre qui soit. Appartenir à la Cour du roi ou à la Nomenklatura était un signe et un moyen de pouvoir sur les hommes. L'argent ne "règne" vqu'en un sens métaphorique. L'importance que chacun lui accorde (au sien et à celui des autres) ne dépend qe de lui.
I
Oui. Sans doute l'article de Senik est philosophiquement juste et raisonnable, mais je ne suis pas philosophe et je ne puis m'empêcher d'avoir des sentiments, qui effectivement tiennent à mon passé, mon environnement culturel, mais bon c'est ainsi. Même si nous essayons d'être objectifs, nous savons aussi quelle part joue la subjectivité dans nos vie. L'autre jour, je suis allé à St Germain des Prés. Comme vous, j'ai décidé que j'en avais assez du mépris pour la petite bourgeoisie et pour la bourgeoisie, que j'avais envie de me réjouir de l'enrichissement des gens par leur travail, que je ne tombais plus dans le panneau du mépris aristocratique pour l'argent besogneux, et de la fascination pour les flambeurs (panneau qui avait servi de cadre à ma jeunesse comme à beaucoup de jeunesses d'ailleurs). Mais bon je suis allé à St Germain des Prés. Bien sûr ce ne sont pas en majorité des petits-bourgeois enrichis que j'ai rencontrés là-bas. A toutes les terrasses des cafés c'étaient les jeunes gommeux et les zygomars pâteux pleins aux as du monde entier qui étalaient leur assurance de nantis. J'utilise ces termes car ils m'amusent et je ne perds pas une occasion de m'amuser mais la réalité était en fait plus navrante qu'amusante. Elle aurait pu l'être, amusante, car les dandys sont de toutes les époques et il faut bien que jeunesse se passe. Mais il n'y avait plus un Dutronc pour ne pas avoir peur des petits minets qui mangent leur ronron au drugstore, et c'était à tous les coins de trottoir qu'on voyait des clones avec disons 600 euros de fringues sur eux en moyenne (je suis précis hein !); c'était d'ailleurs leur seule particularité ; ils n'étaient ni drôles, ni originaux, ni rien ; juste riches ; et moi je me sentais pas très bien, disons déclassé. Et je me disais : alors la voiture que je vais choisir « ça l' fait ou ça l' fait pas ? » Woody Allen se posait des questions sur son psy; vingt ans plus tard nos obsessions sont plus concrètes : j'hésitais entre une Dacia et une 307 Peugeot ; y paraît que la 307 « ça l'fait » ( la Dacia, attention danger!), enfin « ça l'fait » pour les ploucs comme moi parce que pour les jeunes gommeux dont je parle ça les ferait doucement rigoler . Et je me disais, mais quand même c'est dingue, j'habite pas si loin dans Paris et là où j'habite ça va encore, j'ai l'impression d'être quelqu'un de normal, de plutôt pas mal même, d'assez chic, chic et simple à la fois, voyez le genre ? Et là un coup de blues, de vraie nostalgie pour un poète fauché qui habitait à St Germain des Prés et qui tous les soirs avait rendez-vous avec Verlaine, nostalgie d'un temps où le peuple c'était Gavroche, un vrai aristo celui-là, un prince de l'élégance. (il est un peu daté mon texte, j'ai l'impression que je pourrai prendre la voix de Jean Gabin pour dire cette phrase.) Je ne sais pas ce que cherchait Gavroche mais sans doute pas à ressembler à tous ces riches de St Germain des Prés, en ayant un I phone ou un I pod ou je ne sais pas quoi qui « l'fait » et qui est à la portée de leur bourse. Je trouve que ce n'est ni princier ni élégant. Un temps où les gens avaient un peu de fierté, ou en tout cas ne la mettaient pas uniquement dans les signes extérieurs de richesse, en pensant naïvement qu'ils y sont arrivés, qu'ils ne sont plus des culs-terreux (plus que les riches, après tout tant mieux ou tant pis pour eux; ce sont ceux qui sont fascinés par la richesse qui m'angoissent). Parce qu'au fond moi ( ce texte est décidément un témoignage subjectif un peu daté) je m'en suis toujours plutôt fichu de ce qui « l'fait » et de ce qui « l'fait pas » ; depuis Warhol on croit que l'art est dans la consommation. Mais je n'en suis pas si sûr. J'en ai assez de Warhol, ça me fatigue de consommer, mais je me sens quand même assez seul avec ce sentiment car même les alters ont des I phones (surtout les alters). J'ai envie de plus de diversité dans les sentiments que juste le besoin de frimer et de « l'faire ». Un quartier comme St Germain grouillant d'activités commerciales et de belles vitrines (à faire se lever le bonheur des fois qu'il pousserait dans les rues ?), c'est sûr, c'est vivant, c'est rassurant, il ne faut pas être paresseux, mais où vont les pauvres ? Et les pas si riches ? Et les poètes ? Et les gens qui s'en foutent ? Et ce n'est pas si drôle non plus. Enfin d'y passer samedi, entre la rue des St Pères et la rue Du Four, moi ça m'a suffi pour un moment. Alors avec tous : le commerce oui, l'argent roi non !
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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