M comme Marchandisation (abomination des sociétés modernes?)
Le mot est en lui-même une accusation. Il stigmatise la transformation et la dégradation en valeur marchande d’un bien qui lui est irréductible pour quelque raison que ce soit.
C’est un mot savant qui donne une force neuve aux thèmes d’une ancienne complainte.
« De plus en plus, tout s’achète », même ce qui ne devrait pas. L’amour d’une femme par exemple, ou la santé.
« De plus en plus, tout est réduit à sa valeur marchande », y compris ce qui est d’une autre valeur. Le prix d’un tableau, par exemple
« De plus en plus, tout est produit en vue du profit, et non en vue d’autres besoins plus réels et plus prioritaires, ni en vue des besoins des gens non solvables. » Par exemple les médicaments produits par l’industrie pharmaceutique.
Bref, tout s’évaluerait et se produirait de plus en plus à l‘aune de la seule valeur marchande, et cela forcément au détriment d’autres évaluations et d’autres formes de relations entre humains.
Cette litanie n’est pas d’hier, et elle ne date pas des sociétés modernes. Tout chrétien sait que Jésus chasse du Temple les marchands dont l’activité intéressée lui semble profaner ce lieu saint. Tout esprit teinté de marxisme sait que Marx dénonce le fait que la valeur d’échange l’emporte sur la valeur d’usage, qu’il dénonce « le fétichisme de la marchandise’ , quel que soit le sens de cette expression, qu’il aime citer les tirades de Shakespeare contre le pouvoir de l’argent. Dénonçant le rôle des Juifs dans le règne généralisé de l’argent, il écrit : « C’est en ce sens que Thomas Münzer trouve intolérable « que toute créature ait été proclamée propriété, les poissons dans l’eau, les oiseaux dans le ciel, les plantes sur la terre. »
« Le monde n’est pas une marchandise ». Ce slogan rassembleur de toutes les variétés de l’anti-mondialisation (devenue entre temps l’altermondialisme, et tout récemment " l’anti-capitalisme") ), renoue avec cette inspiration.
Or, qu’est-ce que la marchandisation d’un bien ? Sa mise sur le marché de l’offre et de la demande, son entrée dans la bourse des échanges, où sa valeur d’échange est fixée d’une façon impersonnelle : indépendamment de toute autre considération, indépendamment des jugements de valeur moraux ou esthétiques, la valeur marchande d’un bien à un moment donné c‘est ce que ceux qui le désirent sont prêts à donner en échange pour l’acquérir. En elle-même la valeur marchande ne mesure rien d’autre.
Aucun jugement de valeur émanant d’une autorité quelconque ne vient s’interposer entre l’acheteur et le vendeur. Ils sont seuls juges de la valeur d’échange de ce qu’ils échangent.
C’est ce qui explique que la valeur marchande soit vilipendée par des conceptions religieuses et philosophiques qui placent leurs idéaux au-dessus de la liberté individuelle. La marchandisation est en effet l’application des droits de l’homme individuels à l’économie. Elle marque la fin des privilèges de naissance qui réservaient certains biens à certaines catégories. En définitive, dans l’acquisition d’un bien, l’argent seul compte.
On sait depuis Aristote qu’il fallait bien inventer une unité de mesure commune à des biens hétérogènes, pour pouvoir les échanger. Une fois que cette unité de mesure pour l’échange est mise en place, qui est le mieux à même de fixer la valeur d’un bien que ceux qui sont intéressés à l’échanger ? Tel est le credo du libéralisme.
Il est par définition évident que rien hors la monnaie d’échange ne se limite à sa valeur marchande. Il n’est pas incompatible de fixer le coût, et la valeur d’échange d’un médicament ou d’une thérapie, et de les faire offrir au rabais ou gratis par de bienveillants États philanthropes. La vérité est que puisque tout échange suppose qu’un prix soit fixé, il appartient à ceux qui offrent et à ceux qui demandent ce bien d’équilibrer leurs propositions.
Le reste exprime un mépris aristocratique ou moralisateur envers l’évaluation des biens par les individus eux-mêmes. Dénoncer la marchandisation, c’est refuser les libres échanges entre libres individus. Au profit de quoi d’autre ? C’est à l’altermondialisme de le préciser…
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André Senik