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vive les sociétés modernes - abécédaire
18 mars 2009

M comme Munich, Munichois (du sens des gros mots historiques)

En douze heures, la conférence de Munich des 29 et 30 septembre 1938 consent en faveur d’Hitler au dépècement de la Tchécoslovaquie, grâce aux complicités de son allié Mussolini, mais aussi de Chamberlain et de Daladier. La Tchécoslovaquie, bien armée, est la plus sûre alliée de la France dans la région. C’est avec la guerre, que la conférence prétendait éviter, que l’évènement prend tout son sens d’abandon honteux et vain. « Ceci est une trahison qui engendrera son propre châtiment » pressent Bénès, le Président tchèque. L’adjectif munichois, souvent substantivé, illustre un syndrome politique alliant la faiblesse de caractère à l’aveuglement. Il a beaucoup servi, en France pendant la crise de Suez, les affaires bosniaques ; aux Etats-Unis contre la France pendant la seconde guerre d’Irak. Les travaux des historiens ne nuancent qu’à la marge la condamnation par la mémoire collective. Ces dernières années Munich est même devenu l’évènement inaugural de cet abaissement donc Vichy a été l’acmé, dans la logique du gommage de la rupture du 10 juillet 1940. Une approche pleine de morale, c'est-à-dire douteuse. Peut-on sortir de ce manichéisme ?

Il est possible de mieux éclairer l’évènement. L’appeasement est une politique permanente du Foreign Office depuis Versailles, et après l’échec de sa politique solitaire d’exécution des traités, la France (de gauche puis de droite) a choisi de ne plus se séparer de sa « gouvernante anglaise », particulièrement rétive à tout engagement en Europe centrale. Le pacifisme des Français est unanime, l’emprise de 14-18 sur les représentations de la guerre l’explique et le justifie (A.Prost). Cette reculade fait suite à bien d’autres, face à la remilitarisation de la Rhénanie puis à l’Anschluss. Plus encore que de son silence face aux péroraisons menaçantes d’Hitler, ou de ses fameuses larmes du Bourget, Daladier est coupable d’avoir maintenu Georges Bonnet aux Affaires étrangères, pour garder un œil sur son principal rival au Parti radical, lequel n’a jamais cessé d’intriguer, de mentir, de manipuler ses interlocuteurs, contre la ligne officielle de fermeté du gouvernement.

Les catégories de munichois et d’anti-munichois sont difficiles à établir et instables. Le 4 octobre 1938, 537 députés votent la déclaration gouvernementale de politique étrangère, contre 75 – 73 communistes, le socialiste Bouhey et le nationaliste de Kérilis , qui dira un peu plus tard qu’il « ne laisse pas (en lui) le bourgeois parler plus fort que le patriote ». Reynaud, Champetier de Ribes et Mandel à droite, Blum, Zay et Mendès France à gauche, tous patriotes et bientôt qualifiés de bellicistes, ont bien été au moins des munichois d’une minute. Pour y voir plus clair il faut établir une typologie (J-P Azéma) et une chronologie.

Sont munichois de conviction les pacifistes intégraux (Giono, Alain), une poignée d’intellectuels, de syndicalistes et de socialistes qui « préfèrent vivre allemands que mourir français ». Les pacifistes de conviction, les tendances Belin à la CGT et Faure à la SFIO, refusent l’engrenage qui conduit à la guerre, alors que les néo-pacifistes apparus à droite en 1935, contre les sanctions à l’Italie fasciste coupable de l’invasion de l’Ethiopie, préfèrent Hitler et surtout Mussolini à Staline, à Thorez et à Blum. Pour d’autres Munich n’est qu’un palier dans une évolution. Convaincus que la guerre est inéluctable ou qu’elle ne peut être évitée qu’en inversant le rapport des forces, ils soutiennent Daladier qui cherche un répit, du temps pour réarmer la France.

Les anti-munichois sont d’abord communistes, quelques nationalistes de droite, des démocrates-chrétiens (Beuve-Méry ou Bidault), des socialistes et des radicaux, tous plus sensibles au fascisme extérieur, bien moins nombreux bruyants et entendus, parmi lesquels se recruteront presque sans exception les chefs de la Résistance. Les partis sont profondément divisés. La division se creuse, mais elle est antérieure. Le Parti Communiste reste sur la ligne définie par Moscou en 1935, la stratégie de Front Populaire est au service de la paix et de la sécurité de l’URSS. Staline, inquiet de la non-intervention en Espagne, l’est plus encore de Munich. Il n’a été ni convié ni consulté, alors même qu’un accord de sécurité lie l’URSS à la Tchécoslovaquie, comme d’ailleurs à la France, et voit avec consternation les « démocrates » consentir à l’orientation de l’expansionnisme nazi vers l’Est. Munich est une étape vers le Pacte germano-soviétique d’août 1939.

Les premiers sondages d’opinion montrent des Français soulagés – la mobilisation avait commencé – et souvent honteux, comme Léon Blum. Mais 57% seulement sont munichois après quelques jours. Assez vite une large majorité se dégage qui est hostile par principe à de nouveaux abandons. Munich ne fait donc pas d’un coup le lit d’un Vichy franchouillard, xénophobe antisémite et collaborateur. Munich amorce un tournant vers une plus grande résolution patriotique, assez bien conduite par Daladier.

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Pierre Girard, historien (Centre d’histoire de Sciences Po)

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Commentaires
R
Particulièrement pour un sujet comme Munich, je ne pense pas que des Mémoires soient très pertinentes pour déterminer l'attitude d'un personnage durant les évènements... et peut-être même particulièrement pour de Gaulle. Néanmoins, cela ne m'étonnerait pas qu'effectivement de Gaulle ait été en 1938 un antimunichois.
P
Dans ses "Mémoires de guerre" De Gaulle évoque "la stupidité des badauds qui acclamaient l'abandon de Munich", ce qui n'était que l"un des "effets d'un profond renoncement national". (Quelques lignes avant, à propos de cette période, il écrit aussi: "La France jouait le rôle de la victime qui attend son tour".)
Y
Les conclusions de JC Haglund et Raphaël Loffreda se complètent. Il me semble que le pacifisme convient mieux aux démocraties que la loi du talion. L'usage de cette loi par l'administration néo-conservatrice de G.W.Bush a prouvé son caractère désastreux, à la fois pour les civils du camp ennemi, et pour les valeurs morales de la nation vengeresse.<br /> Par ses choix budgétaires une démocratie ne peut être prête à faire la guerre comme se le permet une dictature belliciste. Les peuples des démocraties freinent maintenant beaucoup plus les ardeurs guerrières de leurs dirigeants politiques. C'est sans doute un bien.
R
Les historiens disposent de plusieurs sondages célèbres qui permettent de se faire une idée de l'état de l'opinion publique à propos du pacifisme dans cette période. Il faut bien saisir la force du traumatisme de la Première Guerre mondiale si l'on veut comprendre ces résultats. Les pacifistes (ou pacificistes comme les plus radicaux s'appellent) appellent à une "politique par le bas" sur les questions de la guerre, c'est à dire remettant le citoyen au coeur des prises de décision. Ainsi le sondage effectué auprès de 11 millions de Britanniques en 1936 (le Peace ballot) a exprimé une quasi-unanimité de l’opinion autour de la sécurité collective (issue du traité de Versailles et des années 1920). 40% des Britanniques se sont par ailleurs déclarés hostiles à des sanctions militaires pour assurer cette sécurité. On retrouve en France au lendemain des accords de Munich un état d’esprit semblable puisque 57% des Français interrogés s’estimaient satisfaits des accords (contre 37% insatisfaits). Sur ce point il est à noter un profond hiatus entre la population et ses représentants puisque la chambre a voté à 515 voix pour Munich contre seulement 75 contre (dont les 73 communistes). Mais l’opinion française semble évoluer rapidement puisque dans les mois qui suivent, 70% des Français estiment que désormais la France et la Grande-Bretagne doivent « résister à toute nouvelle exigence de Hitler », contre seulement 17%.<br /> Pour les trois questions précises que pose JC Haglund, je n’ai pas de réponse à apporter, à moins de me plonger dans des lectures de livres que je n’ai pas à disposition. Je laisse la main à d’autres, sauf sur un point : il apparaît que nombre de munichois de droite concevait ces accords comme un moyen de contenir le communisme qui avait, selon eux, pris déjà beaucoup trop d’importance en France (Front populaire). En effet, Jusque quelques jours avant les 29-30 septembre 1938, Daladier était plutôt sur une ligne diplomatique ferme (c’est Bonnet et le conseil des ministres qui l’en a dissuadé) qui s’appuyait sur une intervention militaire de l’URSS via la Roumanie et la Pologne (mais ces deux pays refusaient de laisser l’Armée rouge pénétrer leur territoire). Sans compter que même parmi la droite germanophobe la crainte d’un effondrement du Reich ouvrant les vannes de la bolchevisation de l’Europe était un point de vue suffisamment présent pour peser dans une attitude pacifiste. Voici ce qu’écrivait en 1938 à ce propos Thierry Maulnier, un proche de l’Action française : « Une des raisons de la répugnance très évidente à l’égard de la guerre, qui s’est manifestée dans des partis de droite pourtant très chatouilleux quant à la sécurité nationale et à l’honneur national et même très hostiles sentimentalement à l’Allemagne, est que ces partis avaient l’impression qu’en cas de guerre, non seulement le désastre serait immense, non seulement une défaite ou une invasion de la France étaient possibles, mais encore, une défaite de l’Allemagne signifierait l’écroulement des systèmes autoritaires qui constituent le principal rempart à la révolution communiste, et peut-être à la bolchevisation immédiate de l’Europe. » (Je n’ai pas réussi à savoir si le texte a été publié avant ou après Munich). Il y a paradoxalement (mais le paradoxe n’est pas entier) des antimunichois dans l’extrême-droite française. Le PPF (l’un des partis français s’approchant le plus du fascisme, voire étant clairement fasciste) n’est ainsi pas ouvertement pacifiste, mais se rallie tout de même à Munich, ce qui provoque le départ immédiat de ses rangs de Jouvenel. Dans la revue « L’Emancipation nationale » du 28 octobre 1938, Drieu La Rochelle appelle la France à se fasciser pour de bon, réellement, contre l’Allemagne et l’Italie car il estime que seul le fascisme, par sa dynamique belliciste, peut-être efficace (cette analyse, à laquelle bien sûr je ne me range pas, comporte néanmoins une certaine part de vérité, et démontre en tout cas une bonne compréhension du fascisme) : « j’appelle fasciste la seule méthode capable de barrer et de détourner l’expansion des pays fascistes. Et je dis : vous dormirez et vous mourrez en démocrates, ou vous ressurgirez, revivrez et triompherez en fascistes. » Drieu démissionne alors lui aussi du PPF et ce n’est que quelques semaines plus tard que Doriot (chef du PPF) suivra une ligne ultranationaliste. Je vous livre cette déclaration de Mussolini, faite en 1935, qui donne tout son sens à la citation de Drieu La Rochelle : « Le fascisme repousse le pacifisme. Seule la guerre porte au maximum de tension toutes les énergies humaines et imprime un sceau de noblesse aux peuples qui l’affrontent ».
S
Il y a des leçons à tirer de l'Histoire, même si elles ne sont pas des recettes à appliquer automatiquement en ignorant les différences entre toutes les situations. Je crois qu'il est établi que le monde libre a commis une erreur en supposant qu'on pouvait calmer Hitler en lui faisant des concessions, et que Hitler a mené le monde libre en bateau en se présentant comme un homme de paix qui ne voulait que ceci, et cela, mais pas tout. La leçon est selon moi qu'en premier lieu il faut essayer pour vérifier que l'autre veut ou peut se satisfaire, et peut être acculé à se se satisfaire d' un compromis raisonnable. Mais il faut de toute façon fixer des lignes rouges, et avoir à disposition le big stick. <br /> On peut essayer avec certains talibans, mais avec Al Quaïda, non. On peut essayer avec l'Iran, et la Corée du Nord, qui mènent le monde libre en bateau, on peut donc essayer à force de concessions, d'impliquer la Chine et la Russie, Mais si l'un de ces deux régimes dispose un jour d'armes atomiques (lui et les groupes qu'il soutient) la leçon de Munich aura été inutile, et les conséquences en seront épouvantables. Donc, pas de carotte sans bâton et sans lignes rouges. Bonne chance mister Obama, with a little help of your european friends.
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