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vive les sociétés modernes - abécédaire
9 janvier 2009

L comme Limite(s) (dans l’imaginaire de l’homme)

Dans une société ouverte, il est politiquement correct de dire du mal des limites, des frontières, des systèmes de défense de soi, et donc des identités, puisque selon Spinoza, « toute détermination est donc négation ».

S’il y a du vrai dans cette proposition préliminaire, ce vrai est de l’ordre du souhaitable, du perfectible, d’une sorte de libération de l’homme par lui-même.

En effet, très communément, le sujet humain se sent, se croit, limité dans ses possibilités et dans ses droits, par la pression d’une société hostile ou indifférente.  Sa place définitive dans la société, l’image que celle-ci va lui renvoyer, va dépendre de ce qu’il aura fait, en tant que sujet, pour se dégager de ses « auto-limites ».

Ces « auto-limites » sont le plus souvent serrées. Les conditions initiales de la vie, le discours tenu par l’entourage familial, puis scolaire, à son sujet, les difficultés ou les échecs rencontrés par la suite, vont imposer à chaque individu une image altérée de lui-même*, dont il pourra ultérieurement découvrir la fausseté et l’aliénation qu’elle constitue.

Dans cette optique, la pétition de principe présentée au début de cette réflexion est indiscutablement positive. Elle va au devant des hommes pour leur affirmer leur égalité de chances, mettre en cause la vision fataliste qu’ils ont d’eux-mêmes, les inviter à saisir l’ opportunité de se forger une nouvelle image.

Ce volontarisme optimiste serait-il capable, appliqué à tout individu, d’effacer définitivement les séquelles des « conditions de départ » qui ont déterminé sa trajectoire ? Et cela, sans rupture avec les éléments satisfaisants de son identité, sans fabrication d’un homme standard, interchangeable ? Y a-t-il une compatibilité entre l’injonction « soyez vous-même » et l’autre : « soyez un homme nouveau » ?

Par sa nature animale l’être humain naît séparé, à jamais différent de ses géniteurs et de ses collatéraux. Mais sa vulnérabilité initiale, la longueur de son développement, le mettent dans la dépendance de son environnement immédiat, dans les conditions habituelles. Il va donc en recevoir un certain nombre de déterminations** : identité sexuelle, nomination, langue maternelle, et quelques autres, essentiellement interactives. Son comportement spontané, naturel, va provoquer en retour un certain nombre de jugements, d’évaluations, et d’injonctions spécifiques***. Il fait partie d’une famille et reçoit la demande de s’y conformer, de ne pas la perturber.  Dans les conditions habituelles, il est aimé et protégé contre lui-même. La prise en compte de ses droits de sujet, est conditionnelle, limitée par la préférence familiale. Cependant le bilan de ces conditions initiales « suffisamment bonnes »(Winnicot), voire « trop bonnes » est toujours préférable à leur contraire, fondé sur des carences.

Même devenue très précoce, la socialisation de l’enfant arrive trop tard pour effacer les déterminations pouvant être considérées comme néfastes. Un tel projet poserait d’ailleurs un sérieux problème éthique, sauf à révéler, à un stade encore réparable, des conséquences de véritables carences affectives et éducatives. Tenir compte, ou ne pas tenir compte, de l’existence de ces signes de carences, a fait l’objet, récemment, d’un débat très violent, parce qu’immédiatement politisé.

Comme les tentatives d’aller à l’encontre de ces conditions initiales nécessaires à l’être humain, soit par la « prévention » (prise en charge très précoce par la société du formatage des tout-petits) soit par le lavage de cerveau des citoyens mal partis, ont globalement échoué dans une déconsidération unanime, l’injonction de l’égalité par desserrement des limites,  n’est finalement qu’un droit à saisir et à réaliser individuellement.

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Yves Leclercq, Psychiatre, Psychanalyste.

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*Dans le cadre clinique des « états-limites » (à ne pas confondre avec le syndrome « border-line », de la clinique américaine), ce sentiment de non-valeur tient une place essentielle, tant pour le choix par le sujet de l’expression clinique (dépression, conduites d’échec) que pour l’orientation thérapeutique.

**L’enfant est « parlé », avant même sa naissance, et avant qu’il parle lui-même (et de lui-même).

***Dans l’autisme précoce, la non réponse de l’enfant à l’amour et à la stimulation de la mère va entraîner rapidement un abandon de tout effort dans ce sens, une réduction à une prise en charge, froide, de l’enfant. C’est ce qui a conduit des psychiatres et des psychanalystes à faire porter par les mères la responsabilité de cette maladie.

                        

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Commentaires
Y
Elle occupe une place centrale dans la "cure" psychanalytique et pourtant sa définition est difficile, elle ne repose pas sur une méthode, et sa place réelle, si elle reconnue comme telle par ses effets, est minime. À bien réfléchir, elle ne me parait pas entrer dans la définition du kairos. <br /> Les autres prises de parole du psychanalyste peuvent être utiles, soutiennent le processus, mais ne sont pas bouleversantes.
V
Il y a un moment pour se taire et un autre pour parler, comme dit l'Ecclésiaste...C'est le "moment propice" si cher aux analystes, qui ne se sont pas penchés paradoxalement suffisamment sur cette notion de "kaïros"...Tout est donc question de discernement.
S
C'est une étude qui utilise des statistiques qui révèlent des liens pronostiques: le risque de délinquance est favorisé par les carences affectives et éducatives de la petite enfance, y compris les maltraitances. Les psychanalystes ne l'ignorent pas. Ils puisent les bases de leur théorie précisément dans les contre-indications: perversions, psychoses, psychopathies, c'est à dire ce qui est foutu pour eux. Leur refus méprisant de prendre en considération ce qu'au fond ils savent bien est pour moi incompréhensible.<br /> Cela me semble ressortir du principe: celui qui n'est pas psychanalyste ne doit pas toucher à ça.<br /> Ta remarque sur les méfaits des voyances est juste. La parole a toujours un impact, surtout quand elle vient de quelqu'un qu'on investit dans ce rôle:"dites seulement une parole, et mon âme sera guérie". C'est pourquoi les psychanalystes se taisent, sans trop savoir à partir de quel moment ils doivent "l'ouvrir".
V
Je voudrais me référer à la première note (astérisque). C'est une "reconstruction" en effet, donc toujours réfutable...qui a prétendu qu'elle est "non réfutable"?? et biensûr que la psychanalyse peut se tromper...Le problème c'est que si on pose dès le début un diagnostic (le dépistage) on va stigmatiser ces enfants et leur poser des limites tout de suite. Le suivi spécifique n'est pas incompatible avec un refus de dépistage. Parce que même s'il y a erreur dans ce pronostic le mal sera fait. C'est comme avec les...voyants: une personne racontait à une amie psychologue, qu'il y a bien des années, une voyante lui avait annoncé des choses sur son avenir professionnel et ses aptitudes qui se sont avérées fausses or, l'impact sur le psychisme de cette personne était tel (c'est elle qui le reconnaissait)qu'elle se sentait incapable de "décoller"professionnellement.
S
-à José le Roy<br /> Les limites données à l'enfant par l'éducation, son intégration à la famille et à la société, selon le modèle parental, sa protection contre lui-même (la mortalité par accident est maintenant, à peu de choses près, la seule cause de mortalité infantile), sont autant d'introjections dans l'esprit de l'enfant. <br /> Que l'enfant ou l'adulte fantasment d'autres façons d'être ou de vivre, éventuellement les réalisent, n'efface pas le socle inconscient et conscient que chacun construit dans un "coffrage" ou soutenu par "l'échafaudage"familial. Même très "libéré", il en reste toujours quelque chose, qui ressort plus tard, dans la vie conjugale, la relation avec les enfants, les rapports professionnels. <br /> Un nouvel équilibre, construit en cours de vie, est habituellement un compromis entre ses rêves et la réalité, l'acceptation de ses limites, l'utilisation à leur plus haut potentiel de ses talents. Comme disait un de mes mentors, la conclusion d'une psychanalyse "réussie" est "bof!" <br /> Les chiens ne font pas des chats, disait un autre.<br /> <br /> - à Vicky:<br /> Le concept de "l'homme nouveau" n'est pas ce qu'il ressent de lui-même, mais ce que la société doit en attendre après nettoyage des traces laissées par son passé. Bien sûr, dans notre société, l'homme peut se sentir "lui-même" et "nouveau" tout à la fois. Cette illusion lui est permise, puisqu'il n'a à en rendre compte à personne. Les périodes pendant lesquelles l'euphorie ne se cogne à rien sont véritablement très agréables.<br /> C'est effectivement dans l'après-coup que la psychanalyse d'adulte peut proposer l'hypothèse* d'une causalité psychique, mais c'est trop tard. La psychanalyse des enfants et les prises en charge des familles en difficulté permettent de les dépister "in live". Pourquoi refuser un suivi spécifique? En tant qu'institution humaine, gardienne de son orthodoxie, "La psychanalyse" peut se tromper**, non?<br /> *Il ne s'agit jamais que d'une reconstruction, non "réfutable".<br /> * "Elle" s'est trompée sur l'autisme, entre autres, comme je le rappelle dans mon billet.
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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