K comme Krach (et confiance)
Un krach financier ébranle gravement la confiance des divers agents économiques. Chacun s’accorde à reconnaître qu’aucune restauration des équilibres économiques n’est possible sans le retour de la confiance.
Lorsque l’affaiblissement de la confiance est l’effet de la crise, son rétablissement est difficile mais possible et même probable si des mesures énergiques et efficaces sont prises. Ce sera une affaire de temps.
Mais supposons que le krach survienne dans un climat où le doute et l’inquiétude règnent déjà en maîtres ; qu’il ne surprenne pas la confiance (comme dans la période qui s’étend approximativement du 18e siècle aux dernières décennies du 20e) mais confirme la méfiance déjà installée ( avant de l’exacerber), alors les choses risquent d’être considérablement plus périlleuses : même les mesures les plus nécessaires et les plus énergiques peuvent manquer d’efficacité.
Or n’est-ce pas le cas aujourd’hui ? La crise actuelle a certainement pour cause immédiate la dérégulation des marchés financiers, mais sa gravité et sa durée proviennent beaucoup également du climat de défiance généralisée qui s’est emparé petit à petit de nos sociétés depuis plusieurs décennies (qui croit encore au progrès, du moins en Occident ? qui ne pense pas que demain sera pire qu’aujourd’hui ?) : comment un système « fiduciaire » pourrait-il subsister sans un minimum de confiance, non seulement dans la monnaie mais dans l’avenir ?
Reste à savoir si cette perplexité généralisée est justifiée. Peut-être, mais peut-être pas. On a vu des peuples se mettre à douter d’eux-mêmes alors qu’ils étaient au faîte de leur histoire. Pensons par exemple aux Romains du 2e siècle : au moment même où Aelius Aristide déclarait dans son Eloge de Rome (143 ou 144) que « le monde entier a été ( par vous Romains) transformé en un jardin d’agrément » alors qu’ « avant votre gouvernement la vie, je pense, devait être dure, sauvage, peu éloignée du mode de vie montagnard »*, un sentiment de « fin des temps » s’emparait d’un grand nombre de Romains : le monde, c’est-à-dire l’empire romain, avait atteint sa plénitude et on ne pouvait plus attendre que le déclin. Si on en croit les historiens ce doute, pour étrange qu’il soit, a largement contribué à la chute de Rome.**
Conclusions
1/ de Pierre Gautier :
Prenons les mesures ponctuelles et durables requises par la crise : pour la juguler et prévenir son retour dans la mesure du possible.
Mais vérifions aussi avec soin que le doute qui s’est emparé de nous bien avant le krach actuel était suffisamment justifié.
2/ de Philippe Réache :
S’il est vrai que l’Occident est entré dans une période (longue) de doute, on ne peut qu’en tenir compte, justifié ou non. Dépend-il de nous, qui sommes plongés dans cette époque, d’en sortir ?
Si tant est que cela soit possible, c’est à une profonde révision des structures de nos sociétés et de nos modes de pensée qu’il faut se préparer (Que signifie et à quoi sert exactement l’argent ? Qu’avons-nous vraiment besoin de consommer ? Qu’entend-on par progrès ?) ou, si l’on préfère, à un changement de civilisation.
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Pierre Gautier et Philippe Réache (historien)
* Aelius Aristide ajoute : « Avant votre gouvernement (celui de Rome et non de tel empereur) les choses étaient confondues sens dessus dessous et allaient à la dérive ; mais lorsque vous eûtes pris le commandement, la confusion et les discordes cessèrent, un ordre universel s’installa, ainsi qu’une éclatante lumière de mode d'existence et de régime politique ; les lois se révélèrent et les autels des dieux inspirèrent confiance »
** voir sur ce point le beau livre d’Aldo Schiavone : L’Histoire brisée, la Rome antique et l’Occident moderne (Belin 2003)
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PS: si vous souhaitez collaborer à cet abécédaire: pierre.gautier75@wanadoo.fr