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vive les sociétés modernes - abécédaire
11 novembre 2008

K comme Krach (et confiance)

Un krach financier ébranle gravement la confiance des divers agents économiques. Chacun s’accorde à reconnaître qu’aucune restauration des équilibres économiques n’est possible sans le retour de la confiance.

Lorsque l’affaiblissement de la confiance est l’effet de la crise, son rétablissement est difficile mais possible et même probable si des mesures énergiques et efficaces sont prises. Ce sera une affaire de temps.

Mais supposons que le krach survienne dans un climat où le doute et l’inquiétude règnent déjà en maîtres ; qu’il ne surprenne pas la confiance (comme dans la période qui s’étend approximativement du 18e siècle aux dernières décennies du 20e) mais confirme la méfiance déjà installée ( avant de l’exacerber), alors les choses risquent d’être considérablement plus périlleuses : même les mesures les plus nécessaires et les plus énergiques peuvent manquer d’efficacité.

Or n’est-ce pas le cas aujourd’hui ? La crise actuelle a certainement pour cause immédiate la dérégulation des marchés financiers, mais sa gravité et sa durée proviennent beaucoup également du climat de défiance généralisée  qui s’est emparé petit à petit de nos sociétés depuis plusieurs décennies (qui croit encore au progrès, du moins en Occident ? qui ne pense pas que demain sera pire qu’aujourd’hui ?) : comment un système « fiduciaire » pourrait-il subsister sans un minimum de confiance, non seulement dans la monnaie mais dans l’avenir ?

Reste à savoir si cette perplexité généralisée est justifiée. Peut-être, mais peut-être pas. On a vu des peuples se mettre à douter d’eux-mêmes alors qu’ils étaient au faîte de leur histoire. Pensons par exemple aux Romains du 2e siècle : au moment même où Aelius Aristide déclarait dans son Eloge de Rome (143 ou 144) que « le monde entier a été ( par vous Romains) transformé en un jardin d’agrément » alors qu’ « avant votre gouvernement la vie, je pense, devait être dure, sauvage, peu éloignée du mode de vie montagnard »*, un sentiment de «  fin des temps » s’emparait d’un grand nombre de Romains : le monde, c’est-à-dire l’empire romain, avait atteint sa plénitude et on ne pouvait plus attendre que le déclin. Si on en croit les historiens ce doute, pour étrange qu’il soit, a largement contribué à la chute de Rome.**

Conclusions

1/ de Pierre Gautier :

Prenons les mesures ponctuelles et durables requises par la crise : pour la juguler et prévenir son retour dans la mesure du possible.

Mais vérifions aussi avec soin que le doute qui s’est emparé de nous bien avant le krach actuel était suffisamment justifié.

2/ de Philippe Réache :

S’il est vrai que l’Occident est entré dans une période  (longue)  de doute,  on ne peut qu’en tenir compte,  justifié ou non.  Dépend-il de nous,  qui sommes plongés dans cette époque,  d’en sortir ?

Si tant est que cela soit possible,  c’est à une profonde révision des structures de nos sociétés et de nos modes de pensée qu’il faut se préparer (Que signifie et à quoi sert exactement l’argent ?  Qu’avons-nous vraiment besoin de consommer ?  Qu’entend-on par progrès ?)   ou, si l’on préfère, à un changement de civilisation.

                                                                                -

Pierre Gautier et Philippe Réache (historien)  

 

* Aelius Aristide ajoute : « Avant votre gouvernement (celui de Rome et non de tel empereur) les choses étaient confondues sens dessus dessous et allaient à la dérive ; mais lorsque vous eûtes pris le commandement, la confusion et les discordes cessèrent, un ordre universel s’installa, ainsi qu’une éclatante lumière de mode d'existence et de régime politique ; les lois se révélèrent et les autels des dieux inspirèrent confiance »

** voir sur ce point le beau livre d’Aldo Schiavone : L’Histoire brisée, la Rome antique et l’Occident moderne (Belin 2003)

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PS: si vous souhaitez collaborer à cet abécédaire:  pierre.gautier75@wanadoo.fr

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Commentaires
R
Le lien entre crise économique et crise politique me fait de même toujours frémir. Le manque de confiance en l'avenir ne pousse que rarement à des prises de décision rationnelles et mesurées, ce qui ouvre la voie aux discours les plus démagogiques et intolérants.<br /> <br /> je partage donc vos craintes, et ce malgré le profond optimisme qui me caractérise en général, quant à l'évolution politique dans certaines démocraties (effectivement en France et en Italie). J'espère qu'un jour nous ne relirons pas avec le recul de l'Histoire notre époque comme celle d'une montée des autoritarismes et l'installation de dictatures nouvelles...<br /> <br /> Le climat est à la répression, à l'intransigeance, au mélange des fonctions (justice/police) et à l'abandon de l'éducation (par une réforme dont la méthode est on ne peut plus autoritaire et unilatérale ; et là encore, je ne suis pas du genre à tenir un discours syndicaliste poussé d'habitude).<br /> <br /> Sans vouloir dramatiser, il me semble effectivement que nous sommes dans la merde. Le désintéressement de la chose politique, dans ses formes institutionnelles en tout cas, par le Peuple n'est pas non plus de bon augure.<br /> <br /> PS : je m'associe pleinement à la remarque précédente de Pierre à votre égard.
P
Je viens de vous lire de nouveau avec beaucoup d'intérêt; pourquoi ne contribuez-vous pas aussi à cet abécédaire par des articles? Nous allons aborder la lettre L: un billet sur "Lutte de classes" serait bienvenu.<br /> Si cela vous intéresse: pierre.gautier75@wanadoo.fr
A
La crise est profonde, bien plus qu'une simple "dérégulation des marchés financiers" <br /> ayant détaché toute l'accumulation du capital de la production réelle, elle ouvre un gouffre. D'abord financière, du fait d'une spéculation insensée, elle entraîne une crise économique dont nul ne peut prédire l'ampleur sur fond des inégalités entre pays, entes catégories sociales au sein des pays les plus riches ou les mieux lotis, qui risque d'entraîner des conséquences politiques, institutionnelles, d'une part mais à des révoltes immenses (qu'on pense à la Chine) et à des guerres.<br /> <br /> Elle tombe mal, pas au bon moment, car les démocraties sont en pleine crise, la politique semble disparue (voir le show-bizz vers lequel elle tend en Italie, en France) avec des tentations autoritaires qui menacent (voir les décisions du Ministère de la Justice, de l'Intérieur) et le risque que ne s'installent des régimes de dictature suite à de grandes émeutes dans les périphéries pauvres des villes, ici. Oui, ici, dans les sociétés dites modernes. <br /> <br /> Seront-elles encore des longtemps des démocraties ?<br /> <br /> Vive les sociétés modernes ou défendons la démocratie en danger, que serait-il plus juste de dire ?<br /> <br /> Les philosophes sont en tout cas nombreux à s'interroger sur l'avenir de la démocratie et les dangers qui la menacent.
P
Je n'ai rien contre un changement de civilisation, surtout personnellement: une civilisation où l'on consommerait moins par exemple me conviendrait parfaitement; la baisse de mon pouvoir d'achat ne me trouble nullement. Cela dit tant que je ne verrai pas comment on pourrait construire cette nouvelle civilisation sans faire courir à des millions d'hommes le risque de rester durablement dans la misère ou d'y replonger, je préférerai les efforts qui tendent à améliorer celle-ci. <br /> <br /> P.Gautier
M
les deux conclusions, celle de P.Gautier et celle de Ph.Réache, sont-elles vraiment incompatibles?
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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