K comme Kant (Emmanuel), philosophe de la société moderne
Kant est le philosophe dans lequel la société moderne contemporaine peut le mieux se reconnaître.
Profondément religieux, il a voulu que la religion ne puisse pas dicter sa loi ni à la politique ni à la raison, et qu’elle s’oblige même à rester « dans les limites de la simple raison ».
Non content d’être un ardent défenseur de la liberté de conscience, il a exhorté au courage de penser par soi-même. On lui doit la formule qui résume l’esprit des Lumières: « Sapere aude! » (Ose penser) Aie le courage de te servir de ton propre entendement. Voilà la devise des Lumières. »
Il a voulu que la religion ne puisse même pas dicter sa loi à la morale, qui doit se fonder sur la seule raison, et qui ne doit voir dans le Christ qu’un exemple, et non la source de nos devoirs.
Il a compris que les conflits entre les hommes et entre les nations était ce qu’il y a de plus conforme à leur nature, il qu’il ne fallait pas rêver de moraliser l’homme ou d’éradiquer la cause sociale des conflits. À la place de ces utopies, il a préconisé le règne du Droit. Il a étendu cette solution à l’échelle internationale, et il a annoncé dès 1784 à qu’il faudrait bien un jour que les États sortent « de l'état sans lois des sauvages pour entrer dans une société des nations, dans laquelle chaque État, même le plus petit, pourra attendre sa sécurité et ses droits non de sa force propre ou de son appréciation juridique personnelle, mais seulement de cette grande société des nations (Foedus Amphictyonum), de l'union des forces en une seule force et de la décision, soumise à des lois, de l'union des volontés en une seule volonté. »
Il est le penseur qui a le plus rigoureusement insisté sur le caractère universel de la dignité de la personne humaine, en tant que personne et indépendamment de toute autre considération, préparant ainsi la formulation de l’article 1 de la Déclaration universelle des droits et du citoyen adoptée par l’ONU en 1948 : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. » Le mot « dignité » ne figurait pas dans les déclarations antérieures au nazisme. Philosophe des Lumières et penseur de l’universalité et de la dignité de toute personne humains, Kant semble donc bien éloigné des emportements romantiques et des penchants nationalistes qui sont parfois présentés comme des sources possibles de l’idéologie nazie. Adolf Eichmann, de sinistre mémoire, s’est pourtant déclaré « kantien » dans la conception qu’il s’était faite du devoir à accomplir !
S’interrogeant sur cette étrange référence philosophique de la part du bourreau, Hannah Arendt répond que « la déformation qu’Eichmann avait fait subir à la pensée de Kant correspondait sinon à Kant, du moins à une adaptation de Kant »* à l’usage du type d’homme qu’était Eichmann. Le rigorisme moral de Kant, une fois détourné et inversé en rigorisme immoral, aurait développé la conviction que « chaque homme doit faire plus que son devoir ». L’effet pervers du rigorisme moral de Kant était dû à un contresens et constituait une violation des principes kantiens. La cause semblait entendue jusqu’aux récentes accusations portées par Michel Onfray**, selon lequel la philosophie de Kant serait plus que compatible avec le nazisme, Kant étant lui-même un collabo avant la lettre ! Puisque le déni d’humanité des Juifs par le nazisme était légal, Kant l’aurait trouvé juste moralement, en dépit de sa loi morale qui fait un impératif catégorique de ne « jamais traiter autrui seulement comme un moyen mais toujours aussi comme une fin » et qu’il faut agir uniquement en fonction de règles qu’on pourrait ériger en lois universelles.
La mauvaise foi hargneuse d’Onfray a de quoi sidérer tous ceux qui par profession sont familiers de l’oeuvre de Kant, de ses principes et de sa cohérence. L’offensive contre le kantisme s’explique, au mieux, par l’hostilité envers l’Etat de droit qui est le principal rempart des libertés dans les sociétés modernes, au nom d’une conception anarchiste qui réduit la liberté au droit de désobéir à la loi. Résistance civile non dépourvue d’ambiguïtés : les arracheurs de plantes transgéniques s’en réclament, alors même qu’ils la contestent aux commandos anti-IVG, qui croient moral de sauver des vies humaines en formation.. De tout cela, nous reparlerons certainement… A la lettre R !
André Sénik
* Eichmann à Jérusalem (Folio histoire)
**Le songe d'Eichmann : Précédé de Un kantien chez les nazis (Galilée)
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