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vive les sociétés modernes - abécédaire
20 octobre 2008

K comme Kant (Emmanuel), philosophe de la société moderne

            Kant est le philosophe dans lequel la société moderne contemporaine peut le mieux se reconnaître.

Profondément religieux, il a voulu que la religion ne puisse pas dicter sa loi ni à la politique ni à la raison, et qu’elle s’oblige même à rester « dans les limites de la simple raison ».

Non content d’être un ardent défenseur de la liberté de conscience, il a exhorté au courage de penser par soi-même.  On lui doit la formule qui résume l’esprit des Lumières: « Sapere aude! » (Ose penser) Aie le courage de te servir de ton propre entendement. Voilà la devise des Lumières. »

Il a voulu que la religion ne puisse même pas dicter sa loi à la morale, qui doit se fonder sur la seule raison, et qui ne doit voir dans le Christ qu’un exemple, et non la source de nos devoirs.

Il a compris que les conflits entre les hommes et entre les nations était ce qu’il y a de plus conforme à leur nature, il qu’il ne fallait pas rêver de moraliser l’homme ou d’éradiquer la cause sociale des conflits. À la place de ces utopies, il a préconisé le règne du Droit. Il a étendu cette solution à l’échelle internationale, et il a annoncé dès 1784 à qu’il faudrait bien un jour que les États  sortent  « de l'état sans lois des sauvages pour entrer dans une société des nations, dans laquelle chaque État, même le plus petit, pourra attendre sa sécurité et ses droits non de sa force propre ou de son appréciation juridique personnelle, mais seulement de cette grande société des nations (Foedus Amphictyonum), de l'union des forces en une seule force et de la décision, soumise à des lois, de l'union des volontés en une seule volonté. »

Il est le penseur qui a le plus rigoureusement insisté sur le caractère universel de la dignité de la personne humaine, en tant que personne et indépendamment de toute autre considération, préparant ainsi la formulation de l’article 1 de la Déclaration universelle des droits et du citoyen adoptée par l’ONU en 1948 : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. » Le mot « dignité » ne figurait pas dans les déclarations antérieures au nazisme. Philosophe des Lumières et penseur de l’universalité et de la dignité de toute personne humains, Kant semble donc bien éloigné des emportements romantiques et des penchants nationalistes qui sont parfois présentés comme des sources possibles de l’idéologie nazie. Adolf Eichmann, de sinistre mémoire, s’est pourtant déclaré « kantien » dans la conception qu’il s’était faite du devoir à accomplir !

S’interrogeant sur cette étrange référence philosophique de la part du bourreau, Hannah Arendt répond que « la déformation qu’Eichmann avait fait subir à la pensée de Kant correspondait sinon à Kant, du moins à une adaptation de Kant »* à l’usage du type d’homme qu’était Eichmann. Le rigorisme moral de Kant, une fois détourné et inversé en rigorisme immoral, aurait développé la conviction que « chaque homme doit faire plus que son devoir ». L’effet pervers du rigorisme moral de Kant était dû à un contresens et constituait une violation des principes kantiens. La cause semblait entendue jusqu’aux récentes accusations portées par Michel Onfray**, selon lequel la philosophie de Kant serait plus que compatible avec le nazisme, Kant étant lui-même un collabo avant la lettre ! Puisque le déni d’humanité des Juifs par le nazisme était légal, Kant l’aurait trouvé juste moralement, en dépit de sa loi morale qui fait un impératif catégorique de ne « jamais traiter autrui seulement comme un moyen mais toujours aussi comme une fin » et qu’il faut agir uniquement en fonction de règles qu’on pourrait ériger en lois universelles.

La mauvaise foi hargneuse d’Onfray a de quoi sidérer tous ceux qui par profession sont familiers de l’oeuvre de Kant, de ses principes et de sa cohérence. L’offensive contre le kantisme s’explique, au mieux, par l’hostilité envers l’Etat de droit qui est le principal rempart des libertés dans les sociétés modernes, au nom d’une conception anarchiste qui réduit la liberté au droit de désobéir à la loi. Résistance civile non dépourvue d’ambiguïtés : les arracheurs de plantes transgéniques s’en réclament, alors même qu’ils la contestent aux commandos anti-IVG, qui croient moral de sauver des vies humaines en formation.. De tout cela, nous reparlerons certainement… A la lettre R !

André Sénik

* Eichmann à Jérusalem (Folio histoire)

**Le songe d'Eichmann : Précédé de Un kantien chez les nazis (Galilée)

PS: pour s'inscrire sur notre liste de diffusion:  pierre.gautier75@wanadoo.fr

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Commentaires
Y
Il y a une logique dans cette traduction: la vraie justice, celle de Dieu, ne peut s'accommoder d'un monde raté. Son avènement postulerait la disparition du monde que nous avons fait.
H
Kant souscrit au principe "fiat justicia, pereat mundus" ("que la justice soit, périsse le monde"): n'y a-t-il pas là un radicalisme moral (et politique) éminemment dangereux? un véritable fanatisme, avec lequel les sociétés modernes ont justement rompu?
B
Comme rappellé plus haut le principe de la liberté se trouve dans la philosophie morale de Kant qui envisage le conflit de devoirs : obéir au souverain et trahir quelqu'un, ou le refuser, en vertu d'un devoir moral à l'égard de cette personne. <br /> Mais ça n'est là(que)une problématique morale qui engage le sujet moral dans la solitude de sa conscience. <br /> <br /> Sur le plan politique, qui est distinct, il est vrai qu'il n'y a pas de droit de résistance chez Kant. Le principe de la citoyenneté, moderne ou non, exige le respect des lois et exige d'obéir, même au tyran. La critiique s'exerce ailleurs et autrement, pour manifester son opposition. <br /> <br /> Mais d'abord, faut-il rappeler cette évidence que la tyrannie n'est pas le système nazi. Système que Kant pas plus que quiconque ne pouvait envisager, ni en pensée ni en imagination. <br /> <br /> De ce simple point de vue la transposition ne vaut pas, qui revient à accuser Kant de n'avoir pu prévoir le nazisme et ce qu'il aurait fallu faire en ce cas, pour un citoyen. <br /> <br /> Mais user, comme le fait Onfray, après Eichmann, de la mise en rapport et du parallèle entre le tyran et le système nazi, et de la transposition de la notion de loi d'un Etat (qui peut être injuste) à la loi nazie soit le Führerprinzip ayant aboli toutes les lois de l'Etat, est une ignominie. Car la loi nazie est le contraire d'une loi, elle est une perversion de la loi et ses commandements sont des ordres pervers, qui précisément ne peuvent relever de l'idée de loi : obligation valable pour tous en son principe. <br /> <br /> Comme est pervers l'argument d'un nazi qui serait strictement kantien (Eichmann) tout autant qu'est complètement pervers celui d'un Kant nazi (Onfray surpasse Eichmann dans la perversion ?)<br /> <br /> Onfray, anarchiste vulgaire, ignore l'idée de loi (aussi bien celle que l'on trouve chez Kant ou chez Freud et Lacan, que la loi mosaïque) et se pose en suffisament malin pour s'autoriser à subvertir la loi, l'idée de loi, et la loi kantienne en la faisant sombrer dans le nazisme. <br /> <br /> C'est assez ignoble mais néanmoins tout à fait pervers.
J
merci à André Sénik pour ce rappel sur Kant qui est nécessaire en effet devant ces attaques délirantes(je ne vois pas d'autres mots)de la part d'Onfray. <br /> <br /> josé le roy<br /> agrégé de philosophie
Y
À travers cette présentation claire et sobre de la vie et de l'oeuvre philosophique de Kant, j'ai d'abord cru reconnaître le mode de penser du protestantisme, de son retour à la liberté d'interprétation de la Bible, et ce faisant, à la tradition juive de la sacralisation du texte, de la liberté d'interprétation, mais de l'obligation corrélative de l'étudier. <br /> Mais une rapide consultation de la biographie de Kant m'a montré qu'il avait été formé dans le "piétisme" qui est une forme de retour vers le primat de la foi , défendu, ou protégé, par le catholicisme.<br /> Et que c'est l'attaque vigoureuse et convaincante de Hume contre la métaphysique qui avait amené Kant à sa critique. Tout en réservant l'obligation de la foi, hors de laquelle aucune morale, aucune éthique ne pourrait plus exister. Une fonction utilitaire de la foi, en quelque sorte.<br /> L'attaque de Michel Onfray est d'autant plus injuste qu'il est lui-même un produit de la liberté de penser (ce qui ne veut pas dire qu'il en produit à son tour!).<br /> On est bien obligé de constater que la liberté de penser produit du meilleur et du pire, encore et toujours. Il est possible de créer une logique en partant de bases fausses ou falsifiées. La liberté (de penser) n'a pas guéri l'humanité(qui en jouit) de sa lourde hérédité. Il n'est pas démontré (et il faut souhaiter que cette démonstration ne se produise jamais) que le nazisme aurait pu naître au sein d'un mode de penser hétéronome. Les reproches faits à la liberté, ou sa mise sous conditions ("Pas de liberté pour les ennemis de la liberté") expriment un refus d'en assumer les risques.
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  • Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque.
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